L'Assemblée générale des Nations-unies veut « normaliser » et « moraliser » le commerce international des armes conventionnelles, un marché estimé à plus de 80 milliards de dollars par an. Elle a adopté, mardi, un traité, par 154 voix pour, 3 contre (Syrie, Corée du Nord, Iran) et 23 abstentions (Chine, Egypte, Inde, Indonésie, Russie...). Le principe de ce traité de quinze pages, qui couvre huit catégories d'armements, dont les tanks, les missiles ou les armes légères, est simple : chaque pays évalue, avant toute transaction, si les armes vendues risquent d'être utilisées pour contourner un embargo international, commettre des violations des droits de l'homme, ou être détournées au profit de terroristes ou de criminels. Si c'est le cas, la transaction ne doit pas être autorisée. En sus, il contraint juridiquement les Etats qui l'auront ratifié à faire état de leurs transferts d'armements. Ce texte sera ouvert aux signatures à partir du 3 juin et entrera en vigueur à partir de la 50e ratification sans obligation légale pour ceux qui ne l'auront pas fait. « Les résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU ne sont pas juridiquement contraignantes, mais il y a une obligation politique de s'y soumettre », explique Nikola Jovanovic, porte-parole de l'Assemblée générale. « Cela prendra un an ou deux », estime, pour sa part, Peter Woolcott, le diplomate australien qui a présidé les négociations à New York. « C'est un succès diplomatique historique qui devrait donner un nouvel élan à d'autres efforts de désarmement », soutient Ban Ki-moon, se félicitant que ce texte suivra l'évolution technologique de l'armement pour intégrer, par exemple, la vente des drones à l'origine de la mort de très nombreux civils afghans, pakistanais et yéménites. « Le monde a attendu longtemps ce traité historique qui peut empêcher que des armes aillent à des pays où elles seront utilisées pour commettre des atrocités », déclare Brian Wood, responsable du dossier à Amnesty International. « Ce texte envoie un signal clair aux marchands d'armes qui approvisionnent les dictateurs et les seigneurs de la guerre. Ils ne pourront plus agir en toute impunité », affirme Anna MacDonald d'Oxfam. LES OUBLIS DU TEXTE Ce traité semble avoir quelques lacunes. Il ne s'appliquera pas aux armes vendues, échangées ou données dans le cadre des accords de coopération et de partenariat stratégique. Au nom de ces « accords », des pays pourraient continuer à vendre leurs stocks d'armes. Il ne souffle aucun mot sur les « livraisons d'armes » aux « acteurs non-étatiques » comme l'opposition syrienne armée. Il ne précise pas non plus les « critères » d'évaluation du risque. « Il aurait mieux valu qu'un système indépendant évalue le risque lié à l'utilisation des armes, pas les pays exportateurs eux-mêmes », affirme Patrice Bouveret, directeur de l'Observatoire des armements. Enfin, il n'existe aucun mécanisme de sanction pour ceux qui n'auraient pas respecté le traité. Autre limite du traité : la transparence du rapport annuel à fournir par les pays exportateurs. « Tous les éléments cruciaux peuvent être gardés confidentiels au prétexte qu'ils sont soumis au secret-défense », relève Patrice Bouveret. Autre lacune : la possibilité donnée à deux Etats signataires du traité de poursuivre sans restriction leurs accords de coopération militaire. Last but not least, ce traité n'engage que les pays qui l'ont signé. « Ce serait mieux de ne pas avoir de traité, dans la mesure où ce texte légitime les exportations d'armes et fournit des justifications aux gouvernements », indique Ann Feltham, coordinatrice de la campagne contre le commerce des armes. Des organisations de défense des droits de l'Homme, comme Amnesty International, demandent l'adoption d'une deuxième mouture de ce texte pour réduire les « possibilités d'échappatoires » aux commerçants d'armes et permettre le contrôle de son application par la société civile.