Alors que l'industrie s'est emparée du marché en offrant des produits abordables, la distillation traditionnelle est jalousement gardée par une poignée de familles et surtout par des artisans qui remportent un grand succès auprès d'une clientèle qui cherche avant tout la qualité. En pleine saison de distillation des eaux florales, qui dure généralement une vingtaine de jours, entre avril et mai, nous avons rencontré Zoubir Boubarbara à l'occasion du salon dédié aux plantes, tenu il y a moins d'un mois à la place du 1er-Novembre (ex-la Brèche). Boubarbara est un paysagiste de formation qui a fait de la distillation un métier artisanal qu'il exerce depuis près de vingt-cinq ans. « J'ai commencé en 1989 à une époque où cette tradition était menacée de disparition et où les produits industriels commençaient à prendre le dessus. Seules quelques familles nostalgiques perpétuaient cette tradition. Nous avions quelques rosiers à la maison, et c'est ainsi que j'ai eu l'idée de faire de la distillation. J'en ai alors parlé à mon père qui m'avait dit à l'époque, tu ne vas pas réussir. » Notre ami, têtu, ne s'est pas du tout découragé. Il se procure un alambic et part à la rencontre de femmes âgées qui lui transmettent la recette idéale. Il élargit son expérience et commence à faire parler de lui, le succès est immédiat. Il expose ses produits dans plusieurs villes et la presse commence à s'intéresser à ce métier de distillation que peu de gens pratiquaient. « A l'époque, c'était difficile, il y avait le manque d'eau, le manque de temps, les gens n'avaient pas les moyens d'acheter les alambics et enfin certaines familles ne voulaient pas distiller chez elles, parce qu'elles croyaient au malheur, elles faisaient appel à des femmes pour faire le travail à leur place. J'ai commencé ici même à Beb El Oued, à l'époque certaines femmes étaient enthousiastes tandis que d'autres étaient contre. » Le plus important, c'est aussi d'avoir un qattar (alambic) et sa tandjera (la marmite), tous deux en cuivre. La marmite est nettoyée ou blanchie chaque année. A priori, le procédé paraît simple, la tandjra est soumise à une chaleur produisant de la vapeur qui va traverser les fleurs placées dans le qettar, puis cette vapeur condensée sera récupérée dans un récipient et se transformera en eau florale. Boubarbara nous révèle que tout est une question de calculs et de techniques, le travail doit être précis, comme pour un chimiste, l'eau doit être propre et les roses et les fleurs d'oranger doivent être de qualité. « La première et la deuxième eau récupérées appelées kaba et ghama sont meilleurs, la troisième est, quant à elle, de moindre qualité et est utilisée généralement pour la préparation des chrik (brioches) ou le mahalbi (crème dessert au riz) », nous explique Zoubir. La matière première, c'est-à-dire les boutons de bigaradiers et de rosiers, de préférence de la vallée de Hamma-Bouziane, est chère et pas assez produite. Environ 5.000 DA les trois ramiet (mesure représentant le contenu d'un tamis), ce qui explique le prix assez élevé du litre d'eau de rose ou de fleurs d'oranger, 1.400 DA le litre tous les deux. Et cette année, Boubarbara nous précise qu'en raison de la chaleur qui est venue tôt, il y a eu moins de vingt jours de cueillette, ce qui rend le produit rare et cher à la fois. La relève est donc assurée pour ce métier ancestral qui se transmet de génération à génération. Aujourd'hui, à l'instar de Zoubir Boubarbara qui est considéré comme l'un des artisans pionniers de ce métier, beaucoup de jeunes ont flairé la bonne affaire et apprennent les secrets du métier. Et ce n'est pas un hasard si l'on voit à chaque printemps des expositions et des salons dédiés à la distillation organisés dans toute la ville. « Le zhar est bon pour les maux de tête, fièvre et les palpitations, alors que le ward est préconisé pour les soins des yeux, sans toutefois en abuser », précise Boubarbara qui ajoute fièrement que « Constantine est la seule ville qui compte encore des artisans distillateurs et nous ne sommes pas près de s'arrêter ».