Les manuscrits, jalousement conservés dans la bibliothèque de l'Université des sciences islamiques Emir-Abdelkader de Constantine, représentent bien plus qu'un témoignage sur le savoir acquis par les aïeux : ils résument la mémoire de toute une nation. Patrimoine unique, représentant l'expression même de l'âme algérienne, ses différences et sa nature profonde, ces trésors sont chargés d'histoire et de savoir et constituent aussi un reflet de la résistance d'un peuple que l'on voulut, en vain, asservir. Les invités de tout le monde arabe que l'antique Cirta accueillera dans le cadre de la manifestation « Constantine, capitale de la culture arabe 2015 », et qui s'intéresseront à ces manuscrits, sauront que pour préserver ces trésors des pillages des troupes coloniales, des Algériens, jaloux de leur patrimoine, ont dû les enterrer profondément, les sauver des flammes au risque de leur vie ou les conserver discrètement dans des zaouias. Des œuvres récupérées des bibliothèques privées des chouyoukh D'un style calligraphique maghribi ou machriki, écrits avec de l'encre noire, encadrés de rouge, en langue turque transcrit en caractères arabes, sur des feuilles volantes ou assemblées, enluminurés ou sans décor, ces manuscrits constituent l'essentiel d'une collection totalisant 1.028 œuvres, a affirmé à l'APS le responsable du laboratoire des manuscrits de l'université Emir-Abdelkader, Adel-Saïd Toumi. Les ouvrages conservés traitent de différents thèmes et disciplines à l'image du fikh malékite, des hadiths, de la sira (conduite) du Prophète (QSSSL), de la philosophie, de la médecine, de l'histoire, de la langue et littérature arabes, de la poésie et de la culture. Le plus ancien manuscrit de cette collection remonte à l'an 583 de l'hégire (1187) traitant de la logique, œuvre de Abou El Abbas Ahmed Benyahia. Les manuscrits de la bibliothèque de l'Université Emir-Abdelkader sont, dans leur totalité, des dons des familles de grands érudits. Ils proviennent de la bibliothèque privée du Cheikh Naïm Naïmi (1909-1973), un des membres de l'Association des oulémas musulmans algériens, de la zaouia du cheikh El Hocine de Sidi Khelifa (Mila), de la bibliothèque du cheikh Mohammed-Tahar Tlili (1910-2003) ou encore de citoyens soucieux de préserver, dans de meilleures conditions, un legs ancestral. La numérisation des manuscrits pour préserver la mémoire collective La préservation des ces manuscrits, véritable repère du niveau intellectuel qu'a pu atteindre la société algérienne, à travers leur réhabilitation et leur numérisation, requiert, par conséquent, la plus grande importance. L'Université Emir-Abdelkader avait lancé l'expérience de la numérisation vers la fin de l'année 2011, avec l'aide d'un expert américain, dans le cadre d'une collaboration avec l'ambassade des Etats-Unis d'Amérique à Alger. Le premier volet de ce partenariat a permis à une équipe de l'Université des sciences islamiques de suivre une formation axée sur le traitement et la digitalisation et l'assemblage des manuscrits dont la majorité a été rédigée il y a plus de trois siècles. Trois ateliers de réhabilitation, d'entretien et de numérisation ont été mis en place, dans une seconde étape, dans l'otique d'œuvrer à valoriser, à pérenniser et à universaliser un héritage faisant partie du patrimoine de humanité. Jusqu'à aujourd'hui, plus de cent manuscrits ont été numérisés. Le responsable du laboratoire des manuscrits souligne que la priorité est donnée aux œuvres rares, à celles dont l'état de conservation laisse à désirer ou encore aux titres demandés par les chercheurs et les universitaires. Des « perles rares » comme le livre traitant du fikh malékite de Hamdane Lounissi, l'un des maîtres spirituels de l'imam Abdelhamid Benbadis, adepte de la confrérie des Tidjaniya qui marquera durablement le cheikh, ont pu être « ressuscitées ». L'opération de numérisation se poursuit et le projet de doter l'Université des sciences islamiques Emir-Abdelkader d'une bibliothèque virtuelle d'anciens manuscrits se précise de jour en jour avec l'ambition de valoriser un patrimoine à la valeur incommensurable et qui ne devrait pas manquer de susciter l'intérêt des hôtes de la ville du Rocher.