« Mes mains, mes mains ne tremblez pas, la sardine est revenue ! », aurait pu s'écrier pour pasticher J. Brel, s'il a de la culture. En effet, la sardine est de retour sur les étals, avec un prix qui a mis de l'eau à la bouche des Béjaouis, dont l'appétit est dopé par le jeûne. D'abord cédée à 300 DA le kilogramme les premiers jours, son prix n'est plus qu'entre 250 et 200 DA, plongeant quelque fois jusqu'à 140 DA, contre 600 DA et plus auparavant. Une aubaine pour les consommateurs, sevrés depuis longtemps de la chair de ce poisson, et qui s'empressent autour des cageots pour se faire servir en premier. Une frénésie qui a ainsi empreint au coin poisson du marché du quartier Lekhmis une ambiance soudaine qui jure avec la somnolence ambiante de ces chaudes journées de Ramadhan. Deux kilos, par ci, trois kilos pour celui-là, les annonces fusent sans discontinuer. Les poissonniers sont tous aussi contents d'écouler à tire de bras leur marchandise, même si, habitués à un rythme plus poussif, le jeûne et la chaleur aidant, ils trouvent l'effort harassant, au point d'en ahaner. Cette manne soudaine, venue agrémenter de manière si bienvenue le menu d'un consommateur malmené par la pauvreté des produits disponibles sur le marché et leur cherté éhontée, va-t-elle durer ? C'est bien parce que le consommateur en doute, qu'il profite de veine inattendue. Il faut savoir, selon les chiffres de la direction de la pêche de Béjaïa, que le ratio de consommation de poisson est très faible, à peine trois kilos par habitant et par an, pour une production halieutique moyenne locale de 3.000 tonnes par an, toutes espèces confondues. En 2015, cette production, qui a fortement baissé, n'a été en fait que de 2.386 tonnes. Pour atteindre le ratio préconisé par l'OMS, c'est-à-dire 6,4 kg, il faudrait que Béjaïa puisse plus que doubler sa production. La flottille de pêche locale se composait, en 2015, de 52 sardiniers, 23 chalutiers et 202 petits métiers, soit 277 embarcations, contre 116 en 2003 où la production s'est élevée à 3.140 tonnes. De plus, le seul port opérationnel est celui de Béjaïa. Il y a bien deux autres ports de pêche en construction, l'un à Tala Ilef et l'autre à Beni K'sila, mais ils tardent à entrer en fonction. Sur ce plan donc, Bejaïa n'a pas de quoi pavoiser. Et le consommateur devra attendre ainsi ces rares jours de sardines grasses pour festoyer et, le reste de l'année, se lécher les babines à leur souvenir !