Nouveauté - Chambre d'amis est l'intitulé de la pièce proposée, jeudi, par le Théâtre régional de Sidi Bel Abbès dans le cadre du Festival international du théâtre de Béjaïa. La pièce, écrite et mise en scène par Sadek El-Kebir, est exceptionnelle. Exceptionnelle, parce qu'elle renvoie à une expérience théâtrale inhabituelle pour le public. Elle est jouée par des non-voyants et dans le noir total. Le public est déjà plongé dans l'obscurité avant même le lever de rideau. Et c'est une fois que tout est prêt, que le jeu peut commencer. L'assistance, nombreuse et curieuse, est mise en situation, c'est-à-dire que le public se met dans la peau d'un non-voyant. Il est invité à découvrir le monde tel qu'il est ressenti par les non-voyants. Chambre d'amis est un conte didactique. L'histoire se joue dans une tribu de singes dont le roi, arrivé à un certain âge, est détrôné par ses enfants. Contraint à l'exil, il fait connaissance avec une tortue. Cette relation est désapprouvée par la tribu des tortues qui exigent à voir le singe pour le tuer et manger son cœur. La tortue invite alors le singe à l'accompagner. Gagnée par le remords, elle lui avoue en chemin ce qui l'attend à l'arrivée. Ce à quoi le primate se désolera de ne pouvoir rendre ce service aux tortues sachant, lui expliquera-t-il, «qu'un singe voyage toujours sans son cœur»... Dès le début de la pièce, le public, habitué à une expérience théâtrale courante, se sent gêné, un peu frustré, car il ne peut rien voir du jeu, puisqu'il est, à l'évidence, plongé dans l'obscurité. Mais au fil du jeu, il se met progressivement à l'aise et s'adapte aussitôt à l'environnement – qui est nouveau pour lui – dans lequel le jeu évolue. Si le public apprécie la pièce, c'est parce qu'il est amené à avoir recours à son imagination pour combler ce manque – et cet handicap pour les non-voyants. Seul, dans sa tête, il commence à imaginer la scène, à l'habiller. Chacun conçoit l'univers où se déroule l'histoire selon ses propres catégories mentales. C'est la sensibilité de chacun qui lui donne cette possibilité de composer une image du jeu. Le public est guidé dans l'obscurité et à travers le jeu par les voix des comédiens et comédiennes. Le jeu en soi est focalisé sur la voix : intonation des mots, ondulation vocalique, accent circonstanciel..., le tout est soutenu par les bruits générés par les déplacements sur la scène. Cela alimente instantanément l'imagination du public, et la représentation mentale de la pièce se révèle fort démonstrative. Plus tard, à la fin du spectacle, l'on constate que le jeu s'est déroulé sur une scène vide, sans scénographie. Seule chose à constater : la corde accrochée d'un bout à l'autre de la scène. Sa disposition laisse penser à un repère pour ces derniers. Pour leur éviter de sortir de l'espace scénique. La pièce était formidable. Chambre d'amis est adaptée d'un livre de Sadek El Kebir qui a pour titre L'homme malin voyage sans son cœur, inspiré de L'homme qui voyage sans son cœur de l'écrivain arabe, Ibn El-Moqaffaa (6e siècle), auteur d'ouvrages célèbres à l'instar de Kalila wa dimna. Ce livre est en voie d'édition dans trois langues (arabe, tamazight et français) avec une version en braille.
