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Histoires vraies
Une balle perdue (2e partie)
Publié dans Info Soir le 30 - 09 - 2004

Résumé de la 1re partie Lucy ne demanderait qu?une seule chose au monde : que son mari ne travaille pas la nuit.
Lucy est maintenant sur un chariot, qu'un infirmier propulse à travers les couloirs de l'hôpital. Un chirurgien de nuit court en même temps que le chariot. Personne ne sait ce qui est arrivé. Personne n'a compris. Le vieux M. Tucker a simplement dit : «Elle accouche.» Mais une femme qui accouche ne commence pas par perdre autant de sang. Sur la table d'opération, on déshabille Lucy.
Le médecin s'affaire, demande une transfusion et s'aperçoit immédiatement que la jeune femme n?est pas du tout prête à accoucher. C'est beaucoup plus grave. Sur le ventre rond, il y a un petit trou rond, par où le sang s'échappe avec une régularité inquiétante. On dirait une blessure par balle. Une balle, en effet, a pénétré l'abdomen et elle n'est pas ressortie. Lucy est dans le coma et le médecin cherche à localiser la balle, en radioscopie. Il la distingue enfin nettement : une petite tache sombre, légèrement à droite. Il est impossible pour l'instant de savoir quels dégâts elle a faits sur la mère, mais par chance l'enfant, lui, ne semble pas avoir souffert. L'auscultation laisse entendre les battements de son petit c?ur, réguliers, et la première chose à faire est de le sauver, lui. Le chirurgien décide de pratiquer une césarienne. L'opération se passe bien. Lucy est passée de l'évanouissement à l'anesthésie sans s'en rendre compte, et elle accouche maintenant sans s'en rendre compte, elle qui s'en faisait une telle joie et une telle angoisse.
Les deux mains gantées du chirurgien tirent le bébé, coupent le cordon ; c'est une petite fille, en avance de deux ou trois jours sur la date prévue, mais vivante et normalement constituée, à part une blessure à la joue droite que la balle a dû effleurer. L'enfant a eu une chance fantastique.
Le chirurgien l'abandonne aux mains des infirmières et cherche maintenant la balle dans le ventre de la mère. Il l'a vue nettement à la radio, sur la droite, tout près du rein. Et pourtant il ne trouve rien. C'est insensé. Il ne va pas refermer sans retirer cette balle ! Elle est entrée là et il l'a vue ! C'est une regalopade dans la salle d'opération et une reradio. Mais rien ! Non seulement rien... plus rien ! Le chirurgien n'en croit pas ses yeux. Où est passée cette fichue balle ? C'était bien une balle pourtant ! Il a bien vu un petit trou, en plein milieu de l'abdomen, et il n'a trouvé de lésion nulle part. Or, il y avait un petit trou, il a vu la balle et elle n'est pas ressortie. Alors, si elle n'est pas ressortie, c'est qu'elle est... «Bon sang ! gueule le chirurgien, le bébé ! Où est le bébé ?» On a emporté le bébé à la nursery, pour le mettre en couveuse. Le chirurgien court comme un fou dans les couloirs, pendant que ses assistants terminent l'opération de la mère ; ils recousent d'ailleurs, car il n'est plus question d'elle. Il est là, le bébé, dans sa petite cage de verre, poings serrés, grimaçant, avec sa blessure à la joue droite. On l'arrache de son nid. On le scrute aux rayons X en commençant par la tête. La balle n'y est pas, elle n'est pas dans le cou, pas dans la poitrine, elle est dans l'estomac ! L'opérateur radio est suffoqué : comment est-ce possible ? Mais, soulagé, le chirurgien explique : «La balle est entrée dans le ventre de la mère déjà amortie, elle a fini sa course dans la joue du bébé, l'a traversée, s'est retrouvée dans sa bouche et l'enfant, par réflexe de déglutition, l'a avalée. C'est la seule explication ! Les bébés sucent bien leur pouce dans le ventre de leur mère, pourquoi n'avaleraient-ils pas une balle ?» Quand Lucy s'est réveillée, on ne lui a pas tout expliqué immédiatement pour ne pas l'affoler. C'était facile, car elle non plus n'avait rien compris. Elle avait juste ressenti un petit choc au ventre, de quoi couper le souffle, et puis plus rien, le néant. Elle a réclamé son mari et George est arrivé en courant comme un fou.
L'aube se levait sur Brooklyn et la police patrouillait le quartier à la recherche d'un tueur invisible. Mais il n'y avait pas de tueur. Rien qu'un imbécile, dans un immeuble à plus de deux cents mètres de la terrasse où Lucy, cette nuit-là, prenait le frais. Un imbécile qui nettoyait sa carabine avec une balle dans le canon, un 22 long rifle pour le tir à la cible de compétition. Il a bien voulu reconnaître qu'un coup était parti et qu'il avait eu peur. Mais quelle idée de nettoyer une carabine en pleine nuit à sa fenêtre, juste dans l'axe de l'appartement d'une femme enceinte, à deux cents mètres et sans obstacle ! Pour un tireur de compétition, ça n'était pas malin. La balle perdue avait franchi le terrain vague pour atteindre Lucy en plein ventre. Cette balle de 22 est restée deux jours dans l'estomac de Nelly Wittman, le bébé tant espéré de Lucy et George Wittman. Elle en est ressortie sans dommage, par les voies naturelles, en même temps que son premier biberon. (à suivre...)


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