Plus d'un million de visiteurs ont sillonné les différents stands du 19e Salon international du livre d'Alger (Sila-2014). En termes de statistiques, c'est un beau record, de l'avis des organisateurs et du ministère de la Culture. Même si la courbe des achats n'y est pas allée de concert. Le baromètre indique plutôt une bonne santé livresque avec un intéressement accru. Les projections portent désormais sur la capacité à mettre les livres partout en Algérie, jusqu'aux plus éloignées contrées, et de redonner à la lecture ses lettres de noblesse. «Désormais, il faudra diffuser les ouvrages en simultané dans toutes les contrées afin que le maillage soit optimal. Et que les lecteurs, tous profils confondus, ne soient pas privés de nouveautés», ont recommandé les éditeurs lors d'une rencontre organisée au salon. C'est la pierre angulaire pour la relance de la lecture. Et, pour construire ce que le colonialisme a déconstruit et que nous n'arrivons toujours pas à ériger, il faudrait que cette lecture intègre comme objectif la construction justement de ces référents culturels, identitaires et civilisationnels que la France a détruit pour mener à terme son projet de colonialisme de peuplement, qui passait par une déculturation du peuple pour en faire des indigènes pouvant être phagocytés par la culture française. L'histoire de l'Algérie contée et les études des chercheurs et historiens vulgarisées sont une bonne voie pour socialiser l'histoire et entamer la construction de ces référents. À ce titre, l'histoire doit tenir une bonne place dans ces supports éditoriaux et expliquer que le pays a vécu, ou plutôt survécu, à des tentatives incessantes de déculturation menées par le colonisateur. Kateb Yacine, Malek Haddad, Rachid Boudjedra,... excellaient dans la langue de Molière qu'ils avaient repris pour dire leur algérianité. Ils ont fait de la langue du colonisateur un vecteur de la culture algérienne. Cet héritage nous est transmis comme le fut avant lui la langue arabe, et les deux, auxquelles s'ajoutera tamazight, doivent raconter l'histoire de l'Algérie et porter la culture algérienne. Il s'agit en fait d'imiter ces pionniers de la littérature algérienne en donnant au passé sa place, sans miner le présent ni hypothéquer l'avenir. C'est évidemment le rôle des spécialistes, des universitaires et de toute cette matière grise, d'exploiter ces données à bon escient pour réussir cette noble mission. Mais avant cela, prônent certains professionnels qui ont blanchi sous le harnais, il est nécessaire de permettre aux responsables de l'éducation, d'abord, et de la culture, ensuite, d'ouvrir le chemin au livre à l'école et dans la société. Il appartient aux éditeurs de produire des œuvres de qualité, ce qui n'est pas toujours le cas. Les organismes culturels publics ne cessent de se recroqueviller sur des concepts, pourtant, vains. Ils verrouillent les passerelles avec les véritables promoteurs du livre dans cette ère d'ouverture, alors qu'une synergie aurait pu rendre toutes les villes florissantes en lecture. D'où les échecs répétitifs en matière d'audience consacrée à la lecture publique ou a fortiori à des rencontres littéraires, qui n'attirent qu'une poignée d'initiés dans des salles officielles. L'option d'omniprésence des ouvrages partout en Algérie doit être précédée par une culture locale de proximité, amorcée par des associations, des écoles, des parents d'élèves avec l'implication des directions de la culture, qui ne devraient pas se contenter du nombre de livres acquis via les circuits du ministère. Mais en songeant à une bonne incitation à la lecture en dégageant des ressources humaines assez rompues à cet exercice. À titre d'exemple, les festivals «Lire en fête» qui sont organisés un peu partout battent de l'aile et peinent à s'imposer, malgré tous les moyens déployés par les gestionnaires du secteur. Les pseudos salons du livre antérieurs ont vécu, à l'exception du Sila qui a mûri au fil des années. Ainsi, l'idée de densifier l'édition livresque pour grossir le lectorat n'a jusque-là rien donné. Le recul de la lecture publique est flagrant et constitue à chaque fois un frein à tout essor. Du coup, le satisfecit affiché par un microcosme, pour diverses raisons, arguant que l'acte de lire reprend du poil de la bête ne trouve pas confirmation dans les librairies, qui se comptent sur les doigts d'une seule main, des bibliothèques et autres espaces comme les jardins publics, qui jadis respiraient roses et lettres. Hier, les lecteurs cherchaient le livre, aujourd'hui c'est le livre qui cherche les lecteurs. C'est toute la complexité de l'équation. N. H.