Me Mansour Kisenti est le premier à passer à la barre. C'est le troisième avocat à plaider pour l'accusé Mohamed Chawki Rahal, l'ex-vice-président des activités commerciales à Sonatrach. Ce dernier est poursuivi pour les délits de complicité d'organisation d'association de malfaiteurs, passations de marchés contraires à la réglementation dans le but de l'octroi de privilèges indus à autrui, tentative de dilapidation et mauvaise exploitation de la fonction. Me Mansour a commencé sa plaidoirie en parlant de la longue et remarquable carrière de son client. L'avocat a mis en avant les compétences particulières de l'accusé avant d'affirmer que «c'est humiliant de traiter de cette manière les cadres de la nation». Le défenseur revient ensuite aux faits et expliquera tout au long de son récit que la procédure de passation a été respectée dans les marchés mis en cause avant de se demander : «Quel règlement mon client a-t-il transgressé ?» Me Mansour rappelle au tribunal que c'est l'ex-ministre de l'Energie, Chakib Khelil, qui a donné son accord, document à l'appui, pour poursuivre la procédure liée à la consultation pour la réfection du siège Ghermoul, avec deux soumissionnaires uniquement. Abordant la question de l'offre de la société allemande Imtech pour la réalisation de ce marché, jugée très élevée, l'avocat explique que son client «n'est pas parti les yeux fermés pour dilapider les deniers publics». Il en veut pour preuves toutes les études comparatives demandées par Rahal. «Malgré les résultats de ces études, Rahal a décidé d'entrer en négociations et a réussi à baisser l'offre de plus de 8 millions d'euros ! L'offre est ainsi passée de 73 millions d'euros à 64 millions d'euros.» «C'est humiliant de traiter les cadres de la nation de cette manière» Me Mansour poursuit en rappelant que son «client a reçu une dérogation de signature pour ce contrat. Quelle est sa responsabilité pénale ?» L'avocat va conclure sa plaidoirie en demandant au tribunal criminel de répondre par «non» à toutes les questions concernant «ce fils de Chahid». Me Mohamed Amine Benabes va lui succéder. L'avocat de Mouloud Aït El Hocine, cadre qui a été membre ensuite président de la commission d'ouverture des offres pour le projet de réhabilitation du siège de Ghermoul, poursuivi pour deux délits, sera très concis. Il reviendra sur les faits qui ont amené son client à poursuivre la procédure d'appel d'offres avec deux soumissions, tout en expliquant qu'Aït El Hocine n'avait pas de pouvoir de décision et qu'il a exécuté les directives de son chef hiérarchique, Belabes - témoin dans cette affaire- qui était directeur de l'administration et des moyens. L'avocat insiste sur le fait que la structure chargée du projet de réhabilitation du siège Ghermoul est la SRO (structure responsable de l'opération) dont le responsable est Belabes. Il dira même qu'il y a «dissimulation de documents» car son client «ne faisait qu'exécuter les ordres et les instructions de son chef hiérarchique, seul responsable du respect des clauses de la R15». Me Benabes va rappeler au tribunal que son client a été le premier à avoir fait part du prix élevé d'Imtech, ce qui a amené à une négociation et une baisse de 12%. «Aït El Hocine n'a jamais dilapidé mais a préservé les deniers publics. Il est toujours cadre supérieur à Sonatrach, qui, à ce jour, n'a accepté ni sa démission ni sa demande de mise en disponibilité», dit l'avocat avant de demander l'acquittement. Les deux défenseurs de Mohamed Senhadji, l'ancien vice-président de l'activité centrale, à savoir Me Radia Ikdad et Me Maounis Lakhdari, vont se succéder à la barre. Me Ikdad commence par présenter la direction que présidait son client. Elle parlera de l'instruction du ministre sur l'occupation rapide du siège de Ghermoul. L'instruction, dit-elle, a été confirmée, par le P-dg en personne à Mohamed Senhadji. «Il n'a fait qu'exécuter les ordres de sa hiérarchie comme le stipule le code du travail, d'autant qu'il s'agissait de préserver les biens de la compagnie. La décision qu'il a prise ne viole pas la R15», dit l'avocate faisant remarquer au tribunal que le siège est toujours propriété de Sonatrach. Pour sa part, Me Maounis Lakhdari, qui plaidera également pour Hassani Mustapha, va parler le langage du droit. Il commence par expliquer la notion de l'urgence en disant qu'il s'agit d'un sentiment qui n'est défini par aucune loi. Me Lakhdari insiste auprès du tribunal afin qu'il se remémore que les faits dans cette affaire se sont déroulés il y a une dizaine d'années et qu'à l'époque il y avait un environnement qui suggérait l'urgence en raison de l'explosion dans la raffinerie de Skikda, les incursions terroristes dans certains sites de Sonatrach amenant aux instructions ministérielles. L'urgence, un sentiment qui n'est défini par aucune loi Il revient ensuite sur le statut de Sonatrach et son exclusion du respect du code des marchés publics. Il dira tout simplement : «Je suis un cadre dirigeant. Je suis soumis au respect du règlement intérieur et à la R15.» Il tiendra ensuite à démonter les charges qui pèsent sur Aït El Hocine expliquant que son mandant a été renvoyé devant le tribunal criminel pour avoir octroyé le marché au bureau d'études CAD pour offrir des privilèges indus à autrui. Sur ce point, l'avocat explique que Senhadji n'a aucun lien avec le BET qui était connu déjà par les ingénieurs de Sonatrach depuis l'époque de BRC. Et d'affirmer : «Ce sont les ingénieurs qui ont choisi CAD.» Il soutiendra également que son client a subi des pressions d'El Hamech, l'ex-chef de cabinet de Mohamed Meziane. Pour Me Lakhdari, le fait que l'accusé Abdelwahab Abdelaziz qui a soutenu avoir informé Senhadji de l'annulation d'un appel d'offres pour l'octroi du marché de gré à gré, ne constitue nullement une preuve : «Mon client a déclaré que c'était faux et qu'il n'a jamais été mis au courant. Il ne s'agit donc que de la parole d'un accusé contre celle d'un autre accusé.» L'avocat va juste après parler du délit de passation de marchés contraire à la réglementation pour lequel est poursuivi son client pour avoir signé le contrat de gré à gré avec CAD. Il dit à ce propos que Senhadji a signé pour deux raisons : l'urgence du projet et le fait que l'accusé Abdelaziz Abdelwahab était directeur par intérim. Me Lakhadri va enchaîner ensuite sa plaidoirie pour l'accusé Hassani Mustapha, l'ex-responsable de la direction production et forage, poursuivi également pour passation de marchés contraire à la réglementation. Il parlera de la carrière irréprochable de son client avant de rappeler au tribunal que le DRS, qui a été derrière l'éclatement de cette affaire, a parlé de plus de 1 800 contrats suspects octroyés de gré à gré par Sonatrach avant de s'interroger : «Pourquoi est-ce qu'il n'y a que 5 marchés incriminés ? Il aurait fallu poursuivre la moitié des cadres de Sonatrach qui ont signé les contrats suspects et non pas uniquement Hassani.» L'avocat va à nouveau expliquer la notion d'urgence à l'époque des faits, en revenant sur le discours de Chakib Khelil en date du 19 janvier 2005, ses instructions mais aussi le décret exécutif d'avril 2005 du Premier ministre, Ahmed Ouyahia à l'époque, qui a classé la zone de Hassi Messaoud comme zone de grands dangers. Il dira ensuite : «Si mon client n'avait pas réalisé rapidement le projet et qu'il y aurait eu une catastrophe, Il aurait peut être été devant vous pour manquement et on lui aurait reproché de n'avoir pas exécuté rapidement le projet. Donc c'est la raison pour laquelle je répète que l'urgence est une question de conviction intime». Sur le premier contrat signé par Hassani, à savoir le projet pilote du CIS, l'avocat rappelle que son mandant «a pris le train en marche. Il a été nommé alors que le dossier de réalisation du projet pilote était ficelé et il ne manquait que la signature du contrat. Quel est le tort de Hassani ? D'avoir assumer les prérogatives de sa nouvelle fonction !?» Il citera ensuite les témoins qui ont sans exception déclaré n'avoir jamais pris connaissance que le fils de l'ex-P-dg de Sonatrach était associé dans l'entreprise choisie pour la réalisation du projet. «Les responsables de directions juridiques, ceux des commissions des plis ont tous affirmé qu'ils ne savaient pas pour le fils du P-dg. Il était donc impossible à mon client de le savoir», dit l'avocat, ne manquant pas de rappeler un peu plus loin que son client a respecté la procédure dans l'octroi du marché et a même négocié la baisse de l'offre. «C'est Hassani qui a refusé de signer le dernier contrat avec le groupement portant sécurisation de la base de vie 24-Février, estimant que ce dernier avait des retards dans un autre projet. Il a signé sous la pression de sa hiérarchie», explique Me Lakhdari soutenant qu'il n'est logique de poursuivre un cadre pour dilapidation alors que ce dernier a travaillé à faire gagner à Sonatrach des millions d'euros à travers ses négociations. En conclusion, Me Lakhdari demande l'acquittement de son mandant. «Avec 1 800 contrats de gré à gré suspects, il aurait fallu poursuivre la moitié des cadres de Sonatrach et non pas uniquement ces accusés» Me Aïnous Hakim va également plaider pour Hassani. Brièvement, l'avocat va revenir sur les charges de son client comme son prédécesseur. Il évoquera ensuite le réquisitoire du procureur général. Il dira que le magistrat ne s'est pas trompé en déclarant : «Pauvre Hassani qui a été mêlé à cette affaire et enfoncé...». Car, «Hassani a réellement été entrainé dans une affaire où il n'a rien à voir.» Le procureur a aussi assuré que le problème dans ce dossier n'est pas en soi l'erreur qui peut être commise par un cadre dirigeant dans le respect d'une procédure, mais l'existence d'intérêts liés aux contrats signés. «Et je dis tant mieux parce que Hassani n'a aucun intérêt.» Le parquetier a dit aussi que la dérogation n'annule pas la responsabilité, mais «il oublie que la délégation de signature est exercée dans les limites du pouvoir délégué et le signataire n'est considéré responsable que dans le cas où il transgresse ces limites. Ce n'est pas le cas de Hassani». Après avoir démontré que Hassani ne pouvait être au courant pour les statuts du groupement, que son mandant n'est intervenu dans les marchés octroyés que pour baisser les prix et qu'il n'a jamais bénéficié d'une quelconque récompense, cadeau ou autre privilège, l'avocat va demander l'acquittement. Vont se suivre ensuite quatre des sept avocats de Meliani Nouria, la propriétaire du bureau d'études CAD. Rappelons que le premier à avoir plaidé pour l'accusée, au premier jour des plaidoiries, est Me Miloud Brahimi. Jeudi dernier, c'était au tour de Me Belnouar, Chaïb, Menouar et Laïb de présenter leurs arguments pour démonter les charges qui pèsent sur leur cliente, à savoir passation de contrats contraire à la réglementation avec une entreprise publique en bénéficiant du pouvoir et de l'influence des agents de l'entreprise dans l'objectif d'une surfacturation, complicité de dilapidation de deniers publics, blanchiment d'argent et trafic d'influence. Me Belnouar s'avance en premier à la barre. L'avocat va s'étonner du renvoi de sa cliente devant un tribunal criminel comme accusée alors que c'est elle qui a subi un préjudice pour n'avoir été payée qu'à hauteur de 50% pour un travail accompli. Il reviendra sur le rapport établi par Sonatrach après l'éclatement de l'affaire où il est souligné que la compagnie n'a subi aucun préjudice dans le cadre de l'étude menée dans le projet Ghermoul. Sur l'octroi du marché de l'étude dans le cadre du gré à gré, l'avocat explique que les études sont des services non quantifiables et donc non soumis à la R15. Il en veut pour preuve la réponse d'un grand bureau d'études étranger sur cette question à la suite d'une demande d'avis de Sonatrach. Me Belnouar dit : «Le contrat pour une consultation est libre et n'est soumis qu'au code civil. Donc la question qui s'impose est quelle est l'infraction ? En plus est-ce que le BET pouvait juger de la régularité de la procédure suivie ?» Il continue pour affirmer que sa cliente est accusée de surfacturation alors qu'elle a facturé ses honoraires en dessous de ce que permet le décret 88 qui règlemente le montant des études proposées. «Ma cliente avait la possibilité de facturer ses services entre 3,5 à 4,5% du prix de la réalisation du projet. Elle a estimé le projet à 100 milliards de centimes et n'a facturé qu'à hauteur de 3%. Où est la surfacturation ? Faut-il rappeler aussi que c'est le BET CAD qui a affirmé que l'offre de la société Imtech qui devait réaliser le projet était élevée. C'est une information qui était contre ses propres intérêts parce que Meliani Nouria aurait pu demander un alignement de ses honoraires sur le montant réel de la réalisation a postériori. Est-ce que cela est le comportement d'une personne qui a surfacturé ?», a expliqué le défenseur avant de s'attaquer au chef d'inculpation de trafic d'influence. Meliani Nouria, «le dommage collatéral» pour qui plaident 7 avocats Me Belnouar fera rappeler au tribunal que sa cliente n'a pas nié sa connaissance d'El Hamech, mais que l'ex-chef de cabinet de Mohamed Meziane n'a nullement usé de son influence pour l'aider sinon «elle n'aurait pas été payée à moitié pour Ghermoul. Elle aurait aussi réussi à se faire payer plus de 12,8 milliards de centimes, toujours bloqués au niveau de Sonatrach». L'avocat chevronné explique ensuite que la dilapidation veut dire dépenser sans limites, mais exclue tout enrichissement personnel. Il se demande comment sa cliente aurait pu participer à la dilapidation alors qu'elle a, contre ses propres intérêts, attiré l'attention sur le prix élevé d'Imtech. Me Belnouar va terminer en disant «les PV du DRS ont fait état de plus de 1 800 contrats de gré à gré suspects, pourquoi avoir choisi ceux de ma cliente ? On est en train de faire à ma cliente un mauvais procès avec de mauvais arguments ! Nous demandons l'acquittement». Me Chaïb va choisir une autre stratégie de défense. Cet avocat va insister sur le travail accompli par sa cliente en présentant au tribunal, l'étude du projet de réhabilitation et en parlant des nombreux autres projets réalisés avec d'autres organismes publics. Cela dans le but de démonter les capacités et le haut niveau du BET CAD, «accusé à tort de manquements pour le travail accompli et d'être non qualifié». L'avocat qui va certifier que Nouria Meliani représente «les dommages collatéraux» dans cette affaire avant de revenir sur le parcours professionnel de «la seule femme poursuivie, une architecte de renom qui a été major de sa promotion en décrochant son diplômé à l'Epau d'El Harrach». Me Chaïb va également rappeler à l'adresse du tribunal que sa cliente, qui a la double nationalité, des biens et des affaires en cours en France où elle était installée avec sa famille, a répondu de son propre gré à la convocation de la justice pour se retrouver depuis, sous contrôle judiciaire, interdite de rejoindre sa famille. «Cette mère de deux enfants a même été emprisonnée pendant 20 mois après 3 ans de contrôle judiciaire pour l'affaire Sonatrach 2!». L'avocat va parler des faits et expliquer que sa cliente ne peut être poursuivie de passation d'un marché contraire à la réglementation à partir du moment où le contrat de l'appel d'offres pour ce marché n'a jamais été signé. «L'accusation a affirmé que ma cliente a obtenu un contrat de gré à gré, il ne s'agit donc pas de passation de marchés. En plus, la R15 stipule clairement qu'en cas d'annulation de marché, les soumissionnaires doivent être dûment informés. Cela n'a pas été le cas et ma cliente ne pouvait donc savoir qu'il y avait une transgression dans la procédure.» «La justice doit comprendre avant de punir. Dans cette affaire, pour abattre un arbre on a brûlé une forêt.» Me Menouar Abdelmalek a choisi de parler des témoignages liés au projet mettant en cause sa cliente Meliani Nouria. Il rappellera alors les déclarations des cadres accusés de Sonatrach qui ont tous nié avoir une quelconque relation avec sa cliente. «Meziane Mohamed et Senhadji ont totalement nié leur lien avec ma cliente. L'accusé Abdelaziz Abdelwahab, qui a émis les réserves sur le travail du bureau CAD, ne pouvait avoir un lien proche avec l'accusée Meliani. Ce qui m'amène à conclure que ma cliente n'avait aucun lien avec les cadres de Sonatrach qui auraient pu l'aider pour lui permettre de bénéficier de privilèges indus et de surfacturer ses honoraires. Donc, ce chef d'inculpation n'est pas fondé». En ce qui concerne le blanchiment d'argent, c'est Me Laïb, quatrième et dernier avocat à plaider pour Meliani Nouria, pour la journée de jeudi dernier, qui va en faire son cheval de bataille. L'avocat va expliquer que ce chef d'inculpation est fondé sur trois conditions : l'identification et l'évaluation, l'infraction principale et une infraction de conséquence. «Sur quelle base a-t-on identifié et évalué le blanchiment pour ma cliente?», demande Me Laïb avant de dire que «le blanchiment c'est transformer l'argent illicite en argent propre. Où est l'infraction principale ? Nouria n'a ni volé ni détourné. Peut-être que l'accusation parle de la surfacturation, mais elle n'a été payée qu'à hauteur de 50% ! Elle n'a effectué aucun transfert à l'étranger et tous ses biens acquis à l'étranger datent d'avant ce contrat. En France, elle a deux sociétés : une de transports et une autre d'exportation. Elle a travaillé comme chef de mission au Soudan, au Liban.... Elle a été sollicitée par de grandes sociétés. Nouria Meliani a du talent, on ne peut pas lui en vouloir pour ça ! C'est devenu classique, à chaque fois qu'il est question d'un dossier économique, on colle le chef d'inculpation de blanchiment pourtant c'est une accusation difficile à établir.» Me Laïb, qui va évoquer son amitié avec le défunt père de l'accusée, conclu sa plaidoirie en disant : «La justice doit comprendre avant de punir. Dans cette affaire, pour abattre un arbre on a brûlé une forêt. Vous avez devant vous des gens qui ont été humiliés. Des gens de talents qui ont consacré leur vie pour ce pays comme Rahal qui a perdu 5 personnes de sa famille à cause de la main rouge. Et aujourd'hui, il subit les humiliations. Même ces jeunes qui ont démontré leur savoir-faire, il faut leur donner leur chance. Osez monsieur le président et acquittez-les.» Le procès reprendra demain pour la poursuite des plaidoiries. H. Y.