A Tunis, à l'occasion des JCC de Carthage, une actrice de ciné et de télé algérienne, joue un de ces plus mauvais rôles. Le plus facile. Celui de l'humiliée et de l'éplorée. Et c'est alors le psychodrame lacrymal via l'Internet et la petite lucarne algérienne. Espaces enflammés par des commentaires de fausse compassion qui jouent alors sur la fibre nationaliste et la fierté nationale ! Et on a même failli exiger des excuses officielles des autorités tunisiennes, à défaut de rompre les relations diplomatiques ou encore d'envoyer l'ANP crapahuter du côté de Sidi Boussaïd ! A tel point que les deux ministres de la Culture algérien et tunisien sont intervenus pour apaiser l'actrice et la vox populi notamment sur un Web toujours prompt à la désinformation et la surenchère ! Pis, ou mieux encore, nous dit la presse tunisoise, le président BCE aurait également donné discrètement de la voix pour faire sécher les larmes de crocodile de l'étoile pâle d'un cinéma algérien qui renaît à peine de ses cendres. Une actrice cabotine qui n'était pourtant pas invitée officiellement au festival de Carthage mais qui a été quand même conviée à la cérémonie de remise des prix, assise à un troisième rang, réservé selon sa vision narcissique, à «ma habba wa dabba», c'est-à-dire au tout-venant, voire à la lie du cinéma ! Quel mépris de la part de cette dame qui a manifestement le sens du respect de l'Autre aussi profond que son nombril ! Mais bon passons, car le vrai problème n'est pas tant l'égo de cette pie-grièche mais le cinéma algérien en soi. Et le problème se pose déjà à travers la question de savoir pourquoi nul film algérien n'a été sélectionné par les organisateurs des JCC ? Partant de là, on posera ensuite la problématique du cinéma algérien en tant que tel. Au pays de «Tahya ya Didou», il y a peu de choses permettant de dire que le cinéma existe, qu'il vit et fait vivre ceux qui tentent d'en vivre. On en arrive même à faire appel à un vieux cheval de retour pour lui confier les clés de la maison et surtout celles du coffre. Le laissant surtout seul maître à bord. Mais il y a déjà longtemps que Mohamed Ifticène, auquel on doit d'avoir fait vivre le légendaire «Inspecteur» Tahar, a conclu un jour que «le cinéma algérien est un mythe». Le constat qu'il en établissait, sous forme d'interrogations, est net comme les premiers travellings des Frères Lumières : «Comment pourrait-il exister sans une industrie et des infrastructures qui constitueraient sa base matérielle ? Comment pourrait-il exister sans instituts supérieurs de formation aux métiers du cinéma et de la télévision qui constitueraient sa base humaine ?» Des années après, le constat n'a pris aucune ride. Il est même pire malgré, ici ou là, de correctes prestations de jeunes cinéastes prometteurs ! Le cinéma n'est pas seulement malade. Il se meurt. Et il n'a pas fini de crever de ses maladies infantiles. Notamment de son indigence intellectuelle et artistique et de la misère matérielle dans laquelle croupissent les rares fous de la bobine qui croient encore que le ciné est toujours un rêve à vivre dans un pays qui rêve si peu. Dans le sillage du lucide Ifticène, il faut juste souligner que le cinéma ne peut être une oasis de qualité dans le désert de médiocrité culturelle ambiant. Et c'est même plus noir que ce que l'on pourrait imaginer depuis que le cinéma dispose, paradoxalement, d'une structure de soutien (Fdatic) fonctionnant à coups d'enveloppes distribuées généralement sur le mode népotique. Il y a certes, et c'est déjà l'essentiel, l'absence d'un centre national de cinématographie qui prendrait en charge une véritable politique d'appui et de développement, à l'image du CNC français. Défaut d'autant plus cruellement ressenti que l'ex-Oncic n'a jamais été remplacé par une structure plus efficiente. Se pose ainsi la question à propos de la manière dont les fonds d'aide sont alloués, conformément à la loi du 17 février 2011. Ce texte se distingue en effet par un joli flou artistique qui fait que le cinéma soit peuplé aujourd'hui de requins du ciné et de fauchés du cinoche. D'une part, des malins, toujours les mêmes. Des roublards toujours plus égaux que la masse des créateurs désargentés et désemparés qui ne savent plus à quel saint cinématographique se vouer pour donner leur premier ou leur second coup de manivelle. Donc, de l'autre côté, les intermittents du spectacle. Ces SDF du cinoche qui vivent dans la marge culturelle, et qui ne savent pas comment emprunter les voies impénétrables conduisant à Mme ou M. le ministre et plus précisément encore vers le grand monsieur du Fdatic. Ces crève-la-dalle, qui crèvent d'envie de crever l'écran, ne savent pas comment accéder en effet à l'occulte «Comité de lecture», habilité par la loi de février 2011 à affecter les sous. Ce conclave de nonces artistiques est théoriquement le seul à pouvoir disposer du compte d'affectation spéciale qu'est le «Fonds de développement de l'art de la technique et de l'industrie cinématographique». Un fonds dont on ne connaît pas le fond budgétaire et qui ne publie jamais ses comptes. On ne perd pas de vue en revanche que les techniques de saupoudrage clientéliste de l'argent public sont bien rodées. De façon à ce que ce soit toujours les copains et les coquins qui en bénéficient davantage. Quitte à jeter encore plus dans la marge du dénuement des orphelins de la caméra qui se font exploiter par des margoulins de la production privée qui a contribué, elle aussi, à installer le cinéma dans une zone grise de non droit. Le cinéma fabrique des souvenirs, disait Jean-Luc Godard. En Algérie, il fabrique des éclopés de la pellicule. N. K.