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Nabil Farès : «J'ai mal ‘‘au'' pays et je n'ai pas le mal ‘‘du'' pays…»
La résurrection du figuier
Publié dans La Tribune le 26 - 06 - 2008


Entretien réalisé par Azeddine Lateb
LA TRIBUNE : Nabil Farès a disparu de la parole publique algérienne depuis quelques années, comment expliquez-vous cette absence, soulignant qu'en France, par exemple, vous occupez une grande place dans le débat public ? Est-ce qu'elle est volontaire ou l'expression d'une occultation ?
Nabil Farès : Je pense n'avoir jamais eu d'autre parole publique et présence publique à l'université lorsque j'y ai enseigné ; que j'ai quittée à partir de l'année 1984-1985, puisque, dans le courant de cette année, j'ai connu une suspension de salaire dès le mois de mai et une intrusion militaire dans l'appartement qu'un ami m'avait laissé à la cité des Sources ; j'ai très bien compris que j'étais une personne non tolérée, pour ne pas dire intolérable, comme si mes insistances sur la liberté de paroles, d'analyses de textes littéraires, mes fonctions au département d'enseignement du français, en tant que langue et littérature –d'ailleurs, on ne se contentait pas d'analyser que des textes francophones, il y en avait d'autres qui touchaient à la littérature noire américaine, spécifiquement d'Amérique latine, anglo-saxonne, espagnole, italienne, et blanche aussi, puisqu'on y parlait de Faulkner, et de bien d'autres ; j'analyse, à l'époque, d'une façon assez originale et neuve les textes de Mouloud Feraoun et de Kateb Yacine pour que quelques traces en soient restées dans les approches actuelles ; j'ai quitté l'université, et, je dirais plus, l'Algérie, puisqu'il semblait que ma place s'y trouve, de fait, contestée, et, comme tout travail mérite toujours salaire, surtout lorsqu'il est bafoué, et que l'Algérie n'est pas un pays si exceptionnel que cela pour y mourir de faim ou de culture, alors, bon voyage et à la revoyure… Quant à l'occultation, vous pourriez et devriez poser la question aux personnes, si elles existent, qui s'en chargent… Quant à participer à la «gloriole» petite-nationale du qui rend service à qui, je vous avouerai que ce monde m'échappe, ne m'intéresse pas beaucoup et tant mieux : je suis profondément meurtri et désolé de ce qui est arrivé ces vingt dernières années à l'Algérie, aux Algériennes et Algériens, à qui on a fait délibérément subir ce qu'ils ont subi et ce qu'ils sont amenés à subir… cela m'a donné le mal du pays, à l'inverse, j'ai mal «au» pays et je n'ai pas le mal «du» pays…
Votre œuvre est souvent en marge, disons dès le départ il y a cette rupture, mais ce qui est frappant, c'est la culture d'exclusion dont Mammeri, par exemple, était la cible. L'honnêteté fait peur, il y a un poème de Djaout dédié à Feraoun qui nous revient à l'esprit et qui résume peu toute la question, nous citons : «Je pense à Feraoun, sourire figé dans la circoncision du soleil, ils ont peur de la vérité, ils ont peur des plumes intègres, ils ont peur des hommes humains», qu'en pensez-vous ?
Oh, vous évoquez Tahar Djaout, vous voulez donc parler d'assassinat, à quel moment un peuple et ses poètes, artistes, peintres, hommes de théâtre et autres sont assassinés… à quel moment la vie politique et culturelle devient assassine : eh bien, c'est à partir du moment où la vie culturelle et politique devient un terrain de chasse, oui, le terrain de chasse des destructeurs de culture, lesquels vivent sur le cadavre des assassinés, des personnes ayant souhaité et désiré qu'en ce pays naissent justice et dignité, non pas enrichissement à tout prix; non, ce qui a primé dans ma génération, ce n'était pas cette sourde et hypocrite notion de sacrifice, de martyrologie, non, c'était la disponibilité à l'œuvre nouvelle pour qu'un peuple et ses citoyens, femmes, enfants, hommes, vieilles, vieillards, soient respectés, traités avec dignité, après avoir été traités avec tant de mépris : vous pensez que nous sommes arrivés à créer ce pays digne et juste pour ses habitants ?
Dans un article paru dans les colonnes d'El Watan, sous le titre de «Réflexion d'un écrivain psychanalyste écologue», vous écriviez ceci : «Cette trajectoire me ramène à une responsabilité de paroles et d'écritures.» N'est-elle pas l'exigence éthique qui caractérise votre œuvre et votre parcours d'intellectuel impénitent ?
Peut-être, mais, je dirais, d'une façon détendue, et non «abrutie», pour autant que, ma foi, mon travail de psychanalyste et d'écrivain me convoquent à cette perception de la parole et de la responsabilité ; c'est pourquoi, je me suis très éloigné de ce que l'on nomme aujourd'hui, j'insiste sur ce «aujourd'hui», le politique qui ne sert qu'à créer de la dissimulation, de l'irresponsabilité, du semblant, de la richesse pour ceux qui s'y emploient et beaucoup de malheurs pour les autres…
L'éthique est un maître mot dans votre œuvre, peut-on dire que la crise de l'Algérie relève de cette absence d'éthique ?
C'est un peu la même question, oui, quelque chose de l'humain s'est absenté du politique et du social ; ce qui n'est pas simplement propre à l'Algérie qui, comme d'autres lieux de ce terrible monde, vit la déliquescence du politique et de la violence ; je crois même que la violence naît de la déliquescence du politique, de sa façon de baratiner si fortement qu'il finit par rendre l'air nécessaire à notre respiration irrespirable ; en Algérie, il existe une éthique de la corruption, du rapt, du meurtre, de l'envie, de la jalousie, du m'as-tu-vu, de l'inculture, tout comme ailleurs. Quand vous pensez au nombre d'institutions existantes nationales et internationales dont les buts, les finalités, les nécessités sont de construire, de préserver, d'aménager, de faire valoir la dignité, la paix, la solidarité et le bonheur humain, vous êtes tout de même étonné que tout cela n'existe pas encore ; alors, vous vous dites qu'elles sont faites pour les personnes et les fonctionnaires qui y sont à l'intérieur et qu'elles ne fonctionnent que pour elles-mêmes, avec, bien sûr, quelques soucis, de temps en temps, quand ça commence à aller trop mal, ce pourquoi ces institutions ont été instituées…
La blessure est source, selon le mot d'Octavio Paz. La littérature peut-elle cicatriser cette blessure ? Etes-vous parvenu à guérir de la blessure de la guerre ?
Non, la guerre reste une plaie ouverte, parce qu'elle témoigne des impasses dans lesquelles arrivent les sociétés, surtout les pouvoirs politiques, qui, bien souvent, ne les représentent pas, comme on le fait croire à chaque fois, mais, surtout, les gèrent, c'est-à-dire s'emparent de la capacité qu'ont les sociétés, de celles et ceux qui travaillent, vivent, font des enfants, se développent, croissent, créent de la richesse, dont ces gouvernants-gestionnaires s'emparent pour le dire une deuxième fois…
L'exil est essentiellement la source d'où découle toute votre parole poétique. La poésie est liée à la blessure de l'enfance. Nous pensons aux magnifiques lignes de Jean El Mouhoub Amrouche dans les Chants. Quelle a été votre expérience ?
De deux mots : égale et sans égal, pour maintenir ma liberté et ma singularité de jugement et de création.
Mais quelle a été, pour vous, la conscience du poème, en revanche, où commence, dirions-nous, le projet et la sensibilité proprement poétique ? Quel a été votre premier «désir poétique» ?
Pourriez-vous nous en parler ?
Mon premier désir poétique, je peux vous le dire assez brièvement, et, sans vouloir offenser quiconque, «échapper à la connerie».
La figure de l'ogresse occupe une place prépondérante dans votre œuvre romanesque et poétique, voire critique, vous avez même écrit un livre sur l'ogresse dans la littérature berbère. Elle est symboliquement liée à l'enfance et à la femme. Est-ce que les significations de l'ogresse, nous reprenons votre mot, changent selon les époques, aujourd'hui, par exemple, avec l'urbanisation qui a «bouffé» le pays, ces figures seront-elles touchées par ce phénomène ?
Oh, c'est une façon de faire de l'histoire et de restituer au matrimoine l'enchantement des contes, l'enchantement des enfants et de certains adultes pour les contes ; c'est d'un très grand bénéfice thérapeutique dans les moments de terrible déficience imaginaire et culturel, «le pays des ogres qui tuent», cela existe malheureusement, et les enfants ont bien raison d'avoir peur lorsqu'on évoque ces terribles histoires, cela leur permet d'identifier qui sont et où sont les ogres, du côté de ces adultes qui les tuent, les empêchent de rêver, d'imaginer, de travailler et, surtout, d'être libres, comme des enfants doivent le devenir et l'être pour le plus grand bien de leur pays où ils vivent, sans s'exiler tout de suite, dans la folie où la vie devient impossible…
La marge n'est pas uniquement ce que les mots créent ? Mais ils sauvent, sincèrement, «en marge des pays en guerre». Dès le commencement de votre œuvre, ce problème est posé, nous citons : «Les mots, ça peut devenir étouffant», dit Yahia à Mokrane...
Oui, on peut être enfermé par un discours, c'est même toujours le cas, celui du dedans ou du dehors… alors, la marge, j'écris dans les marges de ces histoires de guerres, de mésestimes, de vanités et de forfanteries.
Il y a une filiation poétique avec Bonnefoy, si nos souvenirs sont bons, vous le citez même dans Miroir de Cordoue, le lieu, le pays sont constamment interrogés dans vos textes, nous pensons particulièrement à une analyse sur Kateb Yacine, publiée dans la revue Awal, «le Pays d'Amalu». Après un tour d'horizon, le lecteur aura constaté que ce qui est questionné dans votre espace littéraire relève de la marge. Cette force de rupture n'est-elle pas associée à votre parcours intellectuel ?
Parcours au carrefour de différentes interrogations, ignorances et constats : un seul pays ne suffit pas, une seule langue ne suffit pas, une seule vie ne suffit pas, et beaucoup de choses encore ne suffiront pas…
La «nostalgérie», pour reprendre la belle formule de Derrida, grince-t-elle des dents ?
Petit hommage à Derrida : la nostralgérie, non plus, ne suffira pas…


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