Le ministre de la Communication honore les lauréats du baccalauréat et du BEM parmi les enfants des travailleurs du secteur    Lettre du Président français : le MOUDAF dénonce "une dérive stigmatisante et unilatérale"    Le Général d'Armée Saïd Chanegriha inaugure le siège du Commandement des Forces de Défense Aérienne du Territoire    Renforcer la production pharmaceutique avec des médicaments innovants et s'orienter vers l'exportation    Algérie-Qatar : examen des préparatifs pour l'organisation d'une foire des produits algériens au Qatar    CHAN-2024/Algérie-Afrique du Sud: les "Verts" pour se rapprocher des quarts    Classement féminin FIFA: L'Algérie se hisse à la 80e place    Basket : la FABB organise une deuxième formation en statistiques et analyse de performance    Le Chargé d'Affaires de l'ambassade de France en Algérie convoqué au ministère des Affaires Etrangères    Ablation réussie d'une tumeur abdominale géante de 14 kg au CHU Bab El-Oued    Adrar: le PDG de Sonatrach s'enquiert du plan de développement de la production énergétique    Chaib souligne depuis le Turkménistan l'importance de développer la coopération Sud-Sud    Sahara Occidental: discussions à Londres entre le ministre sahraoui des Affaires étrangères et le ministre d'Etat britannique pour la région MENA    L'armée sahraouie cible deux bases de l'armée d'occupation marocaine dans le secteur de Farsia    «L'injustice ne doit pas devenir la nouvelle situation normale !»    L'Algérie remporte la première édition    CHAN 2024 Des sélectionneurs veulent ressusciter l'offensive    Les six raisons du faible impact de la revalorisation de l'allocation devises en Algérie de 750 euros sur le cours du dinar sur le marché parallèle    Chantage à l'antisémitisme pour justifier le Palestinocide    Tissemsilt : commémoration du 64e anniversaire du martyre du colonel Djilali Bounâama    Une étude sur le lectorat de la langue amazighe finalisée (HCA)    ANP: mise en échec de tentatives d'introduction de plus de 4 quintaux de kif via les frontières avec le Maroc    Quelle est la structure du commerce extérieur en Algérie pour 2023, selon les données officielles du Gouvernement ?    34 morts et 1.884 blessés en une semaine    «66 % des bacheliers ont opté pour les filières des sciences et des technologies»    Plus de 200 journalistes exigent l'accès à Ghaza et dénoncent un blackout sioniste    Réception de la tranche restante du projet de la pénétrante de l'autoroute Est-Ouest prévue fin 2026    « Hommage à Abdelhamid Mehri : Un homme d'Etat, une conscience nationale »    Voyage au cœur d'un trésor vivant...    CHAN-2025 : Ouganda 0 – Algérie 3 Du jeu, de l'engagement, du ballon et une belle victoire    La Protection civile déplore cinq blessés    Jane Austen, une écrivaine toujours actuelle    Abdelmadjid Tebboune préside la cérémonie    Boudjemaa met en avant les réformes structurelles et la modernisation du système judiciaire    La "Nuit des musées" suscite un bel engouement du public à Tébessa    Le président de la République honore les retraités de l'Armée et leurs familles    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Le blues des enfants de l'ANC
Publié dans La Tribune le 03 - 07 - 2010

Jane Lipman a quitté précipitamment l'Afrique du Sud quand elle était bébé, en 1963, lorsque ses parents ont fui vers Londres.
Les parents de Jane, blancs, étaient militants (combattants serait plus exact) de l'African National Congress (ANC). Ils sont rapidement devenus des cibles du régime répressif. Ils ont combattu l'apartheid avec des mots, avec des actions politiques, mais aussi avec des bombes.
Nul doute que la famille Lipman aurait été éliminée, comme tant d'autres, si elle était restée à Johannesburg.
Jane Lipman, devenue jeune adulte, est retournée brièvement en Afrique du Sud en 1976. Elle y est restée 10 mois, à aider les Noirs opprimés et démunis. Elle a été suivie par des agents du régime. Elle a été violée deux fois. Elle a été révoltée, comme ses parents deux décennies plus tôt, par l'apartheid. Elle a compris à ce moment qu'elle voulait se battre pour les pauvres des townships. C'est la principale raison pour laquelle elle est revenue définitivement dans son pays natal, en 1997, après avoir vécu à Londres et à Toronto. Elle habite maintenant à Johannesburg avec son fils de 12 ans. Ses parents, âgés de plus de 80 ans, sont revenus aussi il y a quelques années.
Pourtant, Jane avait, comme elle le dit elle-même, «une belle vie à Toronto», où elle a travaillé pendant 10 ans pour la télévision de CBC, notamment à l'émission The Journal de feu Barbara Frum. Une ville paisible et sûre, un bon réseau d'amis, une bonne paye et une riche carrière…
Le retour n'a pas été facile. Et, 13 ans plus tard, ça ne l'est toujours pas.
Malgré la libération des Noirs, le combat de ses parents puis, plus tard, le sien, malgré la nouvelle ère de démocratie, malgré la transformation de son pays, les choses ne changent pas assez vite pour Jane. Pis, certaines choses ne changent pas, point.
Jane Lipman adore son pays, mais elle est amèrement déçue par ce qu'elle voit tous les jours. Plus que déçue, en fait. Elle est en colère.
«Bien sûr que je suis fâchée, m'a-t-elle répondu avec émotion quand je lui ai dit que je sentais de la colère dans son témoignage. Ça me fâche, toute cette pauvreté, toutes ces inégalités criantes, les pauvres de plus en plus pauvres, les riches de plus en plus riches, les ravages du sida, le taux de chômage à 40%, tous ces gens qui ne profitent pas de l'économie, bien sûr que ça me fâche. Ça m'enrage, même. Tu ne trouves pas ça enrageant, toi ?»
Il existe encore un mur entre les Noirs et les Blancs, en Afrique du Sud, selon Jane Lipman. Moins évident qu'avant, mais toujours présent.
«Tous les jours, à l'école de mon fils, je rencontre des parents blancs qui n'ont jamais mis les pieds dans un township et qui vivent ici depuis toujours», déplore-t-elle. L'inaction du gouvernement et la corruption galopante enragent aussi cette femme passionnée. Jane a l'impression accablante que l'on est train d'annihiler la bataille de ses parents et de tous ceux qui ont mené la lutte, The Struggle, comme on dit ici.
«Mes parents et leurs compagnons de combat sont tellement déçus, dit-elle. Toutes ces luttes, tous ces sacrifices, ces morts, ces exils, ces familles brisées, tout ça pour que l'ANC prenne le pouvoir et se montre aussi cupide ? Ça ne peut pas être seulement pour l'argent, pour le pouvoir ?»
Sur la terrasse du restaurant où j'ai rencontré Jane, les silences étaient parfois aussi longs que les réponses. Et aussi éloquents. Visiblement, on ne sort pas indemne d'une telle expérience familiale.
Jane est revenue notamment parce qu'elle a le sentiment de devoir «continuer le travail» commencé par ses parents. Cela dit, la guerre qu'ils ont menée a aussi laissé des cicatrices.
Elle avoue d'ailleurs avoir des «choses à régler» avec eux.
Par pudeur, je ne me suis pas aventuré de ce côté-là, mais nous avons parlé de la lutte de ses parents… et de ses effets sur la famille.
«Nos parents, dit Jane en parlant des enfants du Struggle, se sont battus pour la bonne cause et ils avaient raison, mais de telles batailles laissent nécessairement des traces. Il y a eu l'exil, le danger, les menaces, les meurtres, les bombes… Nos parents ont fait des choix. Personne ne raconte jamais l'histoire des enfants des militants anti-apartheid de cette époque…» Jane essaye de comprendre avec sa caméra. Dans ses documentaires, elle explore le processus de réconciliation, notamment en racontant l'histoire d'anciens tortionnaires blancs repentants. Elle montre aussi de petits miracles en Afrique du Sud (on peut voir certains de ces documentaires sur cbc.ca).
Comme beaucoup d'autres Sud-Africains interrogés ces derniers jours, Jane Lipman se questionne aussi sur les raisons de la violence
hallucinante qui règne dans son pays.
Il y a beaucoup de crimes en Afrique du Sud, c'est bien connu. Les braquages de domicile, en particulier, ont augmenté de 180% depuis l'an dernier. Mais c'est surtout la violence de ces crimes qui frappe.
«Pourquoi toute cette rage ? Est-ce à cause de la frustration, de la colère d'une partie de la population laissée pour compte ? demande-t-elle. Je ne sais pas. C'est troublant.»
Bonne nouvelle, toutefois, la criminalité est en forte baisse depuis le début du Mondial. Selon la police, cela s'explique tout simplement par le fait que les criminels sont occupés à suivre le soccer !
Mais cette violence reviendra. Elle ne disparaîtra pas du jour au lendemain.
Pas plus que les cicatrices à l'âme des enfants des combattants de l'ANC.
V. M.
In le quotidien la Presse du 2 juillet 2010


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.