La prestigieuse Mosquée de Paris a pris, en ce début de mois de décembre, des allures d'hospice offrant journellement des repas chauds aux démunis. Dès dix heures, les couloirs jouxtant les jardins de cette mosquée, construite en 1926, sont pris d'assaut par des centaines de personnes, essentiellement des Maghrébins, qui viennent s'y restaurer en ces temps d'hiver rigoureux. «Au départ de l'opération, le 2 décembre, on a reçu une soixantaine de personnes et leur nombre ne cesse de grossir depuis», a confié le chargé des moyens généraux à la Mosquée, M. Salhi. Bravant le froid et alignés deux par deux dans une queue interminable, mais néanmoins disciplinée, ces démunis, dont l'apparence ne renseigne aucunement sur le statut social supposé, ont chacun une histoire à raconter. «J'ai quitté mon pays il y a quelque mois avec l'espoir de me reconstruire ici, mais une fois arrivé en France mon rêve a tourné court et mes espérances ont fondu comme neige au soleil», a dit Houari, la trentaine à peine entamée. Pour lui, la «pitance» que lui procure son emploi dans une station de lavage dans la région parisienne lui permet «à peine de s'acheter quelques habits». «Je compte toujours sur des amis du bled installés en France», a-t-il ajouté, estimant que le repas chaud offert par la Mosquée «allège sa petite bourse». Parmi les premiers à prendre place dans la queue, Mohand, un sexagénaire à l'humour provocatrice. «Vous êtes journalistes, joignez-vous à nous, c'est moi qui paye aujourd'hui», ironise-t-il sous le regard amusé des «chaînards». Immigré depuis une vingtaine d'années en France, Mohand, père d'une famille laissée au bled pour «ne pas ajouter à sa misère», travaille comme maçon manœuvre dans un chantier à Boulogne-Billancourt. Emmitouflé dans un coupe-vent, la tête enfoncée dans un bonnet, il se présente comme un «habitué» des lieux. «C'est un vrai coup de pouce que donne la Mosquée de Paris aux démunis. Ce que je gagne en numéraires, je l'envoie à ma famille via des connaissances et ce repas gratuit me permet de faire des économies», a-t-il confié. Comme Mohand, ils sont nombreux à demander que cette action caritative s'inscrive dans la durée. Selon M. Salhi, cette opération destinée aux démunis, indépendamment de leurs origines ou confessions, s'étalera jusqu'à mars prochain et intervient après celle initiée au mois de Ramadhan, soit une période de couverture de quatre mois et demi. Entre-temps, Mohand et Houari scrutent d'autres horizons à la recherche d'âmes charitables pouvant «supporter» leur précarité. «Durant cette période de l'année couverte par la Mosquée, nous nous satisfaisons de manger halal, autrement nous sommes obligés de nous rabattre sur le haram (illicite) pour subsister», a confié Saïd, pensionnaire dans un centre d'accueil. Pour lui qui doit arriver tôt à la Mosquée pour en repartir aussi tôt (les places dans les centres d'accueil étant limitées), la vie est «tellement difficile en France, qu'on est parfois contraint de faire abstraction de certains principes pour ne pas crever de faim». En plus des aides, essentiellement en nature, apportées par les bienfaiteurs, la Mosquée de Paris se charge du complément «toujours plus important» à procurer, selon M. Salhi. «Le coût global de l'opération - hors dons des bienfaiteurs qui ne sont pas chiffrés - a été estimé cette année à 170 000 euros, contre 141 000 euros en 2009, au regard du nombre sans cesse croissant des demandeurs et l'engagement d'un personnel rémunéré», a-t-il expliqué. Selon lui, la Mosquée a d'autres obligations à remplir et doit répondre à des priorités «encore plus pressantes». «La Mosquée est inscrite depuis 1983 dans l'inventaire complémentaire des monuments historiques à restaurer. Le coût de toute opération envisagée dans ce contexte est supportée à hauteur de 38 % par les pouvoirs publics», a indiqué M. Salhi. Cela n'a pas empêché la Direction de la Mosquée de poursuivre son action caritative envers les démunis, «accompagnée par la Direction de l'action sanitaire et sociale ‘‘DAS''», a-t-il fait remarquer. Pour cette année, marquée par un hiver précoce, «la Mosquée n'a pas attendu la contribution de la DAS (35 000 euros en 2009), en puisant dans ses propres ressources et en comptant sur l'engagement de fidèles». Pour M. Salhi, «il n'est pas facile de renoncer à une tradition vieille de 24 ans et l'islam mérite sa splendeur». L'action envers les démunis a été initiée la première fois par Cheikh Abbes, recteur de la Mosquée de Paris, en 1986 - 1987, année durant laquelle la France a connu un hiver des plus rigoureux. La Mosquée a offert, durant les trois ans qui ont suivi, gîte et nourriture aux démunis. Mais l'irrespect par certains des mesures d'hygiène a contraint la Direction de la Mosquée à se contenter d'offrir un repas chaud après avoir constaté une dégradation de certains de ses locaux, a indiqué M. Salhi pour qui «il n'était plus possible de laisser la clochardisation des lieux». APS