Photo : M. Hacène Par Hassan Gherab «Donnez-moi un théâtre, je vous donnerai un peuple extraordinaire». Cet aphorisme qu'on attribue à Eschyle (526 – 456 av. J.-C.), le plus ancien des grands tragiques grecs (Sophocle et Euripide), illustre le poids et l'influence que pourrait, devrait, avoir le 4ème art au sein de la société. L'usage du conditionnel s'impose, car le tout n'est pas d'avoir un théâtre. Il faut aussi avoir le peuple, dans le sens sociologique et politique, auquel ce théâtre s'adresserait, et qui comprendrait les messages contenus dans le texte, le jeu, le décor et la scénographie. Autrement dit, l'existence d'un théâtre dépend d'abord et surtout de sa capacité de se constituer un public. On peut construire tous les théâtres qu'on veut et avoir tous les budgets qu'on demande, si on n'a pas de public, ce ne sera que des bâtiments vides, sans âme, et de l'argent jeté par la fenêtre.Le 4ème art a, certes, contribué à l'éveil des consciences et de la société. Mais il a aussi connu des périodes d'errements. Le théâtre algérien est monté au front contre la déculturation et l'acculturation menées par le colonisateur français et a participé à insuffler le nationalisme aux Algériens. Mais, institutionnalisé, il s'est aussi fait le porte-voix des discours officiels lénifiants et démagogiques de l'après-indépendance. Toutefois, même administré, mis sous tutelle - sous perfusion devrions-nous dire, le théâtre a toujours su préserver une forme de liberté de ton et d'expression pour critiquer, revendiquer et/ou dénoncer, ouvertement ou en empruntant les détours que lui offrait la dérision. Et quand il cautionnait l'ordre établi, il s'en trouvait toujours des agitateurs d'idées pour, mine de rien, le pourfendre.Après une traversée du désert dans laquelle l'a plongé le désengagement de l'Etat appliquant les directives du Plan d'ajustements structurels (PAS) imposé par le Fonds monétaire international (FMI) et la déferlante terroriste dans les années 1990, le théâtre a essayé de reconquérir sa place. Mais, après plus de dix ans de non-culture, le public n'était plus là. Les citoyens avaient perdu le goût des sorties. Ils sont devenus casaniers et n'osaient plus s'aventurer dehors la nuit tombée. Pour inhiber de tels «réflexes», il n'y a d'autres moyens que de produire beaucoup et bien, en se garantissant d'une large diffusion, médiatisation et promotion. Et c'est là que le bât blesse. On a investit dans la production théâtrale, mais pas dans le théâtre. Des festivals et des Journées du théâtre sont organisés un peu partout à travers le pays. Et s'ils attirent du monde, c'est souvent des invités et les festivaliers. En dehors de ces rendez-vous, les théâtres peinent à remplir les salles. Les spectacles qui se jouent à guichets fermés se comptent sur les doigts d'une main. Le public est toujours le grand absent.Pourquoi ? Est-ce la qualité des pièces ou leur rareté, le manque de promotion, une mue sociale, une permutation des centres d'intérêts… ? Si on peut se réjouir de l'amorce d'une dynamique de relance du 4ème art en Algérie, on ne doit cependant pas croire que c'est une fin en soi et qu'on pourrait faire l'économie d'une répondre à cette question de la défection du public. Car, il y va de la survivance et de la crédibilité du théâtre. La raison d'être du théâtre et son audience, son public. Dès lors, une réflexion sur les évolutions et les mutations que le théâtre devra connaître pour retrouver ses ancrages dans la société et gagner une audience, s'impose comme un passage obligé, si on veut avoir un théâtre qui nous donnerait un peuple extraordinaire.Pour conclure, on citera Antonin Artaud, poète, romancier, acteur, dessinateur, dramaturge français et, surtout, agitateur culturel, qui écrit : «Il faut ignorer la mise en scène, le théâtre. Tous les grands dramaturges […] ont pensé en dehors du théâtre [Ils]. suppriment ou à peu près la mise en scène extérieure, mais ils creusent à l'infini les déplacements intérieurs, cette espèce de perpétuel va-et-vient des âmes de leurs héros. L'asservissement à l'auteur, la soumission au texte, quel funèbre tableau ! Mais chaque texte a des possibilités infinies. L'esprit et non la lettre du texte ! Mais un texte demande plus que de l'analyse et de la pénétration […]. Chaque œuvre, ils la pensent en raison du théâtre. Rethéâtraliser le théâtre, tel est leur nouveau cri monstrueux. Mais le théâtre, il faut le rejeter dans la vie. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut faire de la vie au théâtre. Comme si on pouvait seulement imiter la vie. Ce qu'il faut, c'est retrouver la vie du théâtre, dans toute sa liberté […]. Il faudrait changer la conformation de la salle et que la scène fût déplaçable suivant les besoins de l'action. Il faudrait également que le côté strictement spectacle du spectacle fût supprimé. On viendrait là non plus tellement pour voir, mais pour participer. Le public doit avoir la sensation qu'il pourrait sans opération très savante faire ce que les acteurs font.»