Abdou B. S'il est encore trop tôt pour tirer toutes les conclusions les plus pertinentes des premiers états généraux de la société civile qui s'achèvent aujourd'hui, il est encore trop tôt pour analyser ce qui s'est dit sur la culture durant les trois jours en question. Bien entendu, ces premières assises n'étaient pas exclusivement dédiées aux industries culturelles, mais ces dernières, implicitement ou explicitement, étaient forcément les absents-présents, quels que soient l'atelier et sa thématique. L'association, le syndicat, un ordre professionnel, une fondation, une douleur sociale ou une fracture économique participent nolens volens d'une culture, d'un ancrage, d'une modernité, de destinataires et d'acteurs qui génèrent une culture nationale dans sa gestion, son développement, son rayonnement, etc. Les acteurs obligataires, comme on le dirait dans la sphère financière, sont aujourd'hui dans une posture parfaitement illisible, ni «socialiste», ni moitié moitié, et encore moins libérale. A l'époque du bloc soviétique et de l'économie sous «tutelle» d'une administration libérale, la chaîne culturelle avait la cohérence du parti unique, d'une idéologie affichée, défendue, imposée avec des objectifs. Ces derniers étaient planifiés en quantité, avec des budgets clairement dégagés, un volume d'«exportations-propagande» aux frais du Trésor public, des espaces adéquats, nombreux, de qualité, dont le prix d'entrée était symbolique, et des managers-directeurs encartés et désignés par le parti. L'Algérie de nos jours ressemble étrangement dans les champs culturels à l'URSS de l'époque avec quelques nuances dont l'existence revient à la mondialisation, aux regards extérieurs et aux avancées démocratiques qui ont suivi octobre 1988. Voyons de plus près le paysage. Toutes les salles et tous les espaces plus ou moins opérationnels appartiennent à l'Etat et ses démembrements. C'est le cas de toutes les salles de cinéma, de tous les théâtres et de tous les centres culturels, à part ceux qui sont sous la direction d'ambassades accréditées à Alger. Tous les dirigeants de ces espaces et la composante de leur CA sont désignés par l'administration dite «la tutelle». Celle-ci peut être un wali, un ministre, le président d'une APC ou un mixte des trois. C'est dire la cohérence, la guerre des tranchées, celle des égos et, surtout, des appareils partisans pourtant dans la même majorité. A l'époque de l'ex-URSS, tous les espaces, les productions et la diffusion étaient financés par l'Etat, tout comme tous les producteurs et artistes étaient salariés de ce même Etat. Dans l'Algérie d'aujourd'hui, il y a beaucoup moins de salariés «d'en bas» et beaucoup de salariés «d'en haut» désignés par les différentes «tutelles». Les festivals, année, semaines, journées et même les heures sont financés à perte par l'Etat, faute de spectateurs payants. Les bilans ne sont pas comptables mais «politiques», comme dans l'ex-RDA. Cependant, ce système n'est plus tenable depuis des décennies et il n'est pas une malédiction. Avec des patrons du privé national, les producteurs de culture, une banque spécialisée à naître, des juristes haut de gamme, on peut aller à des industries culturelles dont l'essentiel financier viendrait des guichets d'espaces à construire. Vivement des états généraux de la culture dans une économie libérée des «tutelles» !