Soixante-sept ans se sont déjà écoulés, mais la plaie ne se referme toujours pas. Le douloureux souvenir des massacres coloniaux du 8 Mai 1945 reste, malgré l'œuvre du temps qui passe, omniprésent dans la mémoire collective algérienne. Une date marquée au fer rouge dans la conscience nationale. A chaque anniversaire, les miraculeux rescapés encore vivants, leurs descendances et, par extension, la communauté nationale se remémorent, dans le recueillement et le calme, l'incroyable cruauté du système colonial. Au lendemain de la victoire alliée sur le nazisme au mois de mai 1945, pour laquelle des milliers d'algériens s'étaient sacrifiés, les forces coloniales françaises commettaient un énorme massacre à Sétif, Guelma et Kherrata. Aux défilés «indigènes» qui réclamaient la liberté, les colons-militaires et civils- opposèrent une répression armée d'une sauvagerie inouïe. Les différents corps de l'armée, la police, la gendarmerie et des milices civiles participent au carnage. Bilan : 45 000 morts, des dizaines de milliers de blessés, autant de personnes séquestrées, et des centaines de villages rasés. C'est le chaos absolu, mais aussi le prélude à la révolution de du 1er Novembre 1954 qui allait déboucher sur l'indépendance du pays en 1962, en payant le lourd tribut d'un million et demi de martyrs. Pour célébrer ce repère historique, les Algériens ont participé, hier, à plusieurs manifestations. En plus des régions martyrisées de Sétif, Guelma et Kherrata, des festivités ont été organisées dans plusieurs autres villes du pays comme Alger, Constantine, Skikda et Saïda. A l'occasion, le président de la République s'est rendu à Sétif où il s'est recueilli à la mémoire de Saâl Bouzid, le premier martyr des tueries du 8 Mai 1945. Au cours d'une allocution prononcée dans la même ville, Abdelaziz Bouteflika a longuement évoqué «l'enfer colonial», en rappelant à l'assistance le «serment de fidélité et le devoir de mémoire envers tous les martyrs du mouvement national algérien». Le même jour, à la place de l'Etoile, à Paris, le nouveau Président français, fraichement élu, commémore, lui aussi, l'autre 8 Mai 1945 qui symbolise la libération de la France, celle de la civilisation et des droits de l'Homme, des hordes nazies. François Hollande, en se recueillant avec son prédécesseur sur la tombe du Soldat inconnu, a indiqué qu'il était là «pour dire l'hommage de la Patrie à celles et ceux qui sont tombés pour elle». Des milliers de tirailleurs algériens, mobilisés de force au moment des faits, étaient dans les premières lignes qui sont entrées triomphales à Paris. De ce fait, le fameux «soldat inconnu» serait probablement un compatriote de Bouzid Saâl! De part et d'autre de la Méditerranée, ces commémorations du 8 Mai ont en commun le sang algérien versé contre la barbarie et l'injustice. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la France refuse à ce jour d'assumer sa pleine responsabilité dans les nombreux massacres commis en Algérie. Un lourd contentieux historique qui envenime énormément les relations entre les deux pays. Pis, au mois de février 2005, la France avait même voté une loi qui glorifie les missions civilisatrices de la colonisation. Lors de sa visite en Algérie, deux ans plus tard, le président sortant, Nicolas Sarkozy, ne s'est pas empêché d'exprimer, à Constantine, sa conviction selon laquelle la majorité des colons établis en Algérie entre 1830 et 1962 «étaient de bonne foi. Ils étaient venus pour travailler et pour construire, sans l'intention d'asservir ni d'exploiter personne». Une phrase lourde de sens, qui avait alors choqué ses hôtes en Algérie, et donner, par ailleurs, des ailes aux révisionnistes de tous poils qui réclament, comble de l'ironie, des excuses aux artisans de la révolution algérienne. Les rapports entre Paris et Alger sont aujourd'hui au plus bas. François Hollande, qui s'est toujours présenté en ami de l'Algérie, est beaucoup attendu sur cette question pour remettre les relations algéro-françaises au niveau qui devrait être le leur. De part leur histoire commune, le long brassage entre les deux peuples et leurs potentialités économiques et stratégiques, les deux pays disposent de plusieurs atouts pour promouvoir un partenariat exceptionnel. Il s'agit, en quelque sorte, de réconcilier les deux 8 Mai qu'on fête si différemment ici et là-bas. K. A.