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Saâdia l'orpheline ou le soliloque de la mémoire
L'Algérie, son seul héritage à ses enfants
Publié dans La Tribune le 18 - 05 - 2012

Elle marche lentement. Chaque pas est aujourd'hui aussi douloureux que ses souvenirs. La vieille dame sent des rhumatismes dans ses jambes, des douleurs dans ses hanches … chaque partie de son corps ou presque lui fait mal. Le temps, assassin, est passé par là. Hamisse Saâdia a aujourd'hui 73 ans mais malgré les années, les sillons des rides, les chagrins et les soucis, elle reste belle. Dans ses yeux noirs contrastant avec sa peau claire, des perles qui semblent s'être amassées là depuis toujours. Est-ce le fait d'avoir trop pleuré dans sa jeunesse ? Possible. Car la vie de Saâdia n'a pas été de tout repos. Orpheline à trois ans dans un pays colonisé, Saâdia, passionnée de savoir, n'a pas eu la chance de poursuivre ses études. Elle devait, très jeune,travailler aux champs pour aider sa mère à subvenir aux besoins de son jeune frère et de ses deux sœurs. Combative, elle n'a jamais baissé les bras et a réussi à apprendre à lire et à écrire le français, seule, après deux années seulement d'école. A 15 ans, devenue jeune et belle femme, Saâdia aurait aimé participer activement à la Révolution, à la guerre de Libération nationale qui venait d'éclater. Mais elle n'a pas réussi à se défaire de l'autorité de son grand-père maternel qui venait de voir deux de ses enfants prendre les armes. «Je vivais dans un petit village et le poids des traditions interdisait beaucoup de choses aux femmes à l'époque, surtout avec la présence de soldats français qui ne manquaient pas de s'en prendre aux Algériennes, les Fatma comme ils nous appelaient», dit Saâdia. Elle se souvient du départ de ses oncles au maquis, Si Hamdane Benmoussa et son frère Abdelkader. «Mon oncle Hamdane est mort en 1957, il n'avait que 25 ans. Trois jours avant d'être tué, il avait dirigé une embuscade à Cherchell où des dizaines de soldats français ont péri. Dans son repli avec ses hommes, il avait récupéré et remis à la Révolution beaucoup d'armes. Un vaste ratissage a été mené juste après par l'armée française qui a probablement recueilli des informations sur leur destination. Il a été encerclé avec trois ou six de ses compagnons –je ne m'en souviens plus très bien- au sud d'El-Affroun, au lieu-dit El-Marhoun. C'est là, d'ailleurs, que se trouve la tombe commune de mon oncle et de ses compagnons. Quant à mon oncle Abdelkader, il a été blessé à la jambe dans un accrochage avec l'armée française. Soigné à l'hôpital de fortune de l'ALN, sa blessure n'a jamais guéri et il est mort d'une gangrène après l'indépendance, en 1967». Le père de Si Hamdane et Abdelkader, El Hadj Benmoussa qui a passé quatre mois sous terre à la prison de Sidi Ali (Médéa), a décidé de marier sa petite-fille à 16 ans. Mais cela était loin de faire fléchir la détermination de Saâdia à retrouver la liberté, toutes les libertés mais celle de son pays en premier. Et l'occasion de participer à la révolution ne s'est pas fait attendre. Saâdia a épousé un moudjahid. Elle s'est vite alors mise au service de son mari, de ses compagnons et de l'Algérie. «J'accueillais chez moi, à El Affroun, les moudjahidine, leur préparais à manger, lavais leurs vêtements et leur préparais la galette pour le trajet». Saâdia marque un long moment de silence. Elle semblait ne plus parler qu'à elle-même, juste avec le regard. Le film des souvenirs se déroulait devant elle… sans paroles. «Je me souviens de leurs visages mais pas des noms de tous. Il y eu Kaddour Bendjelali, Bouaza Djelloul, Si Zoubir (nom de guerre), Drici …Ah oui ! Yahia El Maïzi, Allah Yerhmou, a rejoint le maquis de ma maison» finit par lâcher Saâdia, elle qui a été frappée et malmenée à chaque fois que sa maison était désignée comme refuge des «fellaga». «Un jour, j'ai échappé à la mort grâce à une photographie. Ma voisine d'en face qui refusait de payer sa cotisation à l'ALN, n'a pas trouvé d'autre moyen d'écarter la menace des moudjahidine que celui de me dénoncer aux militaires français. Elle leur a décrit les deux moudjahidine qui lui ont demandé de payer la cotisation et qui étaient hébergés chez moi. «Un grand et un petit» ne cessait de répéter la voisine qui est venue m'affronter, accompagnée d'un goumi. Les soldats ont mis la maison sens dessus - dessous. Alors que je continuais à nier, leur chef, énervé, s'est approché de moi et m'a donné un violent coup de cross au ventre. J'étais à mon 8ème mois de grossesse. Je suis tombée à la renverse et je n'ai plus réussi à bouger pendant trois jours. Dans ma chute, j'ai aperçu à même le sol une ancienne photographie de mon mari. Il était là, debout avec deux de ses amis : un grand et un petit, qui portaient la tenue de l'armée française. Je n'ai alors pas réfléchi à deux fois et j'ai crié : voilà les deux seuls amis qui sont venus rendre visite à mon mari, il y a bien un grand et un petit mais ce ne sont pas des fellaga. Cette photographie m'a sauvé la vie mais pendant un mois je n'ai plus senti mon bébé bouger dans mon ventre. Quant ma fille aînée est née, elle avait une déformation au visage». Saâdia sombre de nouveau dans sa mémoire. Le silence qui semblait s'éterniser est soudain rompu par une remontée de souvenirs : «je me rappelle d'un jour où une patrouille de routine est arrivée dans le quartier. Un moudjahid était chez moi, alors il fallait vite trouver une cache. Je lui ai demandé de s'allonger sur un sommier en fer et mis sur lui l'ensemble des couvertures de la maison. J'ai recouvert le tout d'un drap sur lequel j'ai placé mon jeune garçon de deux ans qui dormait. J'ai quitté la pièce, baissé le rideau de la porte et suis sortie dans la cour de la maison aux côtés des autres femmes de la famille. Les soldats français étaient là. Un goumi, un certain Rahoum, les accompagnait. En mon for intérieur, j'avais peur parce que le moudjahid m'a semblé un peu nerveux et le moindre bruit ou agitation de sa part aurait mis l'ensemble de ma famille et le douar tout entier en danger. Mais j'ai essayé de garder mon calme. Alors que les soldats français tournaient autour des femmes, plus pour draguer que pour patrouiller, le goumi, lui, s'est approché de ma maison et m'a demandé la raison pour laquelle je gardais mon rideau baissé. J'ai tout de suite levé le rideau et dit : “mon bébé dort et je veux le protéger des moustiques”. J'ai fait un pas en avant et j'ai dit encore plus haut, subtilement, à l'adresse du moudjahid : “dors mon fils, dors. Ne t'inquiète surtout pas”. L'un des soldats qui semblait attiré par ma jeune sœur, s'est retourné et s'apprêtait à inspecter l'intérieur de la pièce. Heureusement que cette dernière a su le retenir avec son charme quelques minutes, assez puisqu'ils ont été rappelés par leurs chefs à rejoindre leurs véhicules”. «Tu sais, mon enfant, ce que je te raconte là n'est que quelques bribes de toute une vie. Je me rappelle des mois passés dans la peur et la crainte après avoir abrité, sans le savoir, un moudjahid qui venait de fuir l'ALN pour se rendre. Ce dernier avait donné les noms de beaucoup de ses compagnons et de certaines femmes qui l'ont hébergé et nourri. Je crois que c'est Dieu qui m'a préservée pour mes enfants même si mon mari a été emprisonné à cette époque» dit Saâdia. Cette femme a poursuivi son combat après l'indépendance en élevant huit enfants tout en veillant à leurs études : «ils devaient tous étudier pour avoir une vie meilleure que la mienne». Fière de ses réalisations ? Oui et non. «Je reconnais, non sans une très grande amertume, que la mémoire des chouhada a été trahie après 62. Je reconnais aussi que beaucoup de moudjahidine n'ont pas respecté l'engagement pris au nom de la Révolution. Ils n'ont pas respecté la proclamation du 1er Novembre. Mais il n'empêche qu'aujourd'hui l'Algérie est indépendante. Nous avons souffert, eu faim, soif, froid... Nous avons été battus, violées, tués… Mais nous avons survécu et arraché notre liberté et notre dignité. Pourquoi ? Voir nos enfants s'entretuer quelques années après ? Je pense que tous ceux qui ont gravé l'Algérie dans leur cœur, comme je l'ai fait, ont été meurtris par la décennie rouge où le fils tuait le père et où le frère égorgeait le frère. Aujourd'hui, le temps presse : les jeunes ne doivent garder ni haine, ni rancœur. Ils doivent ouvrir grand les bras pour recevoir cette terre qui regorge de sang de plus d'un million de nos braves et valeureux enfants, que nous leurs confions. C'est notre histoire que nous vous demandons de transmettre à nos petits-enfants.» Des larmes brûlent les joues de la vieille dame. «A 70 ans, ma vie est derrière moi. C'est le cas de toute la génération de la Révolution. Personne n'emportera quoi que ce soit avec soi dans l'au-delà et si c'était possible, je pense que l'Algérie aurait été emportée par les chouhada qui se sont sacrifiés pour leur terre. Il est donc évident que ce pays est à vous, les jeunes. C'est votre héritage et mon unique vœu et de vous voir le préserver, de vous voir glorifier son histoire pour ne jamais oublier. C'est là mon testament pour mes enfants, les enfants de l'Algérie. Que Dieu m'en soit témoin». Saâdia se tait. Elle ferme les yeux. Elle semble endormie. Elle n'a pas peur de ne pas se réveiller. Elle a juste peur que son message ne soit pas compris.
H. Y.

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