«Contre l'Autriche, n'importe qui à notre place aurait fait la même chose» Si Kar-Heinz Rummenigge est connu actuellement pour son poste de président du Bayern Munich, plus grand club en Allemagne et l'un des plus prestigieux dans le monde, il a été également un très grand joueur, l'un des plus doués de sa génération. Que ce soit au Bayern Munich, à l'Inter de Milan ou au sein de la sélection allemande (l'Allemagne de l'Ouest, plus connue sous l'appellation de RFA), il a marqué son époque et remporté plusieurs titres. Dans le conscient des Algériens, c'est surtout le joueur qui a marqué contre l'Algérie lors du fameux match RFA-Algérie en phase finale de la Coupe du monde 1982 à Gijon, en Espagne. Il n'a certainement pas gardé un souvenir impérissable de ce but, mais il a quand même encore à l'esprit ce match-là. Il en parle dans cette interview qu'il nous a accordée en marge de la cérémonie de Golden Foot à Monaco. * Quand on évoque l'Algérie, cela vous dit-il quelque chose ? (Il sourit) Certainement. Cela me rappelle inévitablement la phase finale de la Coupe du monde de 1982. L'Algérie nous avait battus, comme tout le monde le sait. C'est à l'occasion de ce match-là que j'ai vraiment découvert l'Algérie du football. Plus même : pour moi, c'est ce match-là qui a marqué le vrai départ du football africain, car c'est à partir de là que les sélections africaines ont commencé à réaliser des performances au niveau international. * Qu'est-ce qui a fait que l'Algérie ait gagné ce match, selon vous, alors qu'elle en était à sa première participation à une telle compétition et que la RFA, championne d'Europe en titre à l'époque, était non seulement le favori dans cette confrontation, mais aussi l'un des favoris pour remporter le trophée ? Les Algériens ont bien joué le coup, tout simplement. Ils ont bien profité du fait que nous ne les connaissions pas et que nous n'avons pas fait le nécessaire pour analyser leur jeu. Ils ont fait montre d'une volonté incroyable, d'une grande solidité défensive et d'une bonne maîtrise technique. Il faut dire également que nous les avions un peu pris de haut et que nous étions trop confiants. Dans notre tête, ce match devait être une simple formalité, une sorte d'hors-d'œuvre pour bien entamer la compétition. * Donc, vous aviez tous sous-estimé la sélection algérienne ? Oui. Même notre entraîneur, Jupp Derwall, était trop confiant. Il avait d'ailleurs déclaré avant le match que, s'il perdait contre l'Algérie, il rentrerait chez lui par train. Il a perdu, mais il n'a pas tenu sa promesse (rire). * Lorsque vous-même aviez égalisé en deuxième mi-temps, vous attendiez-vous à ce que les Algériens reprennent l'avantage tout de suite après ? Pas vraiment. Nous savions que nous n'étions pas tirés d'affaire, mais nous ne nous attendions pas à ce que les Algériens marquent aussitôt après. En tout cas, ce match a été une bonne leçon pour nous. * Une leçon bien apprise puisque les Allemands ont, depuis, pris tous leurs adversaires au sérieux, comme lors de la Coupe du monde de 2002 au Japon et en Corée du Sud qui avait vu l'Allemagne battre l'Arabie Saoudite 8-0… Exactement. Il y a eu une erreur d'appréciation en 1982 et nous l'avons vite corrigée. Ainsi, désormais, nous respectons tous nos adversaires, quels que soient leur envergure et leur parcours. * La RFA s'était qualifiée pour la deuxième tour de cette Coupe du monde-là, mais c'était au terme d'un match très controversé face à l'Autriche. Y a-t-il vraiment eu combine dans ce match ? Il n'était nullement question d'arranger le résultat du match avant son déroulement. Seulement, les circonstances ont fait que les deux équipes s'étaient rendues compte, à un certain moment du match, que le résultat en l'état (1-0) les arrangeaient toutes les deux. Si les joueurs n'avaient pas forcé, c'est plus par prudence que par accointance. Ils ne voulaient prendre aucun risque inutile, alors que le résultat les qualifiait. C'est sûrement le même raisonnement qui était dans l'esprit de tous les joueurs lors de ce match-là. * Pourtant, l'un de vos coéquipiers dans cette rencontre, le gardien de but Harald Anton Schumacher, était l'invité du Buteur à Alger l'année passée et il s'était publiquement excusé auprès du peuple algérien pour ce match contre l'Autriche, allant même jusqu'à proposer un match entre les vétérans des deux sélections… Oui, je le sais. J'en ai entendu parler. * Etes-vous disposé à participer à un tel match ? Cela dépendra de mon emploi du temps. Si on décide d'organiser un tel match et que la date me convient, je n'y vois pas d'inconvénient, mais ce n'est pas évident. Cela dit, j'aimerais juste apporter une petite précision : dans la situation où nous étions dans ce match-là, c'est-à-dire avec un résultat qui convenait aux deux équipes et avec la peur de part et d'autre d'encaisser un but, n'importe quelle équipe aurait fait la même chose que nous. C'était instinctif. Nous étions pris par l'instinct de survie et c'était humain. Nous l'avions fait, mais d'autres équipes l'auraient fait à notre place. * Rabah Madjer avait été l'auteur du premier but contre vous et voilà que le même joueur a marqué cinq ans plus tard contre le Bayern Munich en finale de la Coupe d'Afrique des clubs champions, en 1987… Ah, oui ! Il avait marqué un but spectaculaire, devenu une référence, d'une superbe talonnade. Nous ne l'avions pas vu venir, car nous ne le connaissions pas assez (rire). Certes, il avait marqué contre la RFA en 1982, mais nous croyions que c'était un simple feu de paille, ce qui fait que le Bayern Munich ne s'attendait pas à ce qu'il affiche un tel niveau. Les Allemands ne le connaissaient donc pas assez et c'est pour cela qu'il a pu les surprendre. C'était vraiment un joueur talentueux. D'ailleurs, il avait failli signer à l'Inter de Milan, où je jouais à l'époque. Malheureusement pour lui, la visite médicale a révélé qu'il souffrait d'une blessure et c'est à cause de cela que je ne l'ai pas eu comme coéquipier à l'Inter. * L'Algérie est bien partie pour participer de nouveau à une phase finale de Coupe du monde. Qu'en pensez-vous ? Je n'ai pas trop suivi l'actualité du football algérien ces dernières années, mais j'ai lu dans la presse que la sélection algérienne est en train de réaliser un bon parcours dans les qualifications. Si elle se qualifie à la Coupe du monde, ce sera une bonne chose. * Le football algérien est présent en Bundesliga à travers plusieurs joueurs, dont le dernier arrivé est Karim Ziani, signataire au club champion d'Allemagne en titre, le WfL Wolfsburg. Il présente la particularité d'être, tout comme Franck Ribéry, passé par l'Olympique de Marseille et d'avoir le même gabarit que lui. Pensez-vous que Ziani puisse avoir le même destin que Ribéry ? Il faut lui donner du temps pour s'imposer en Bundesliga. Pour l'instant, il est nouveau dans le championnat allemand et il n'a pas encore eu le temps de s'adapter. Qui sait ? Peut-être sera-t-il plus tard un grand de la Bundesliga, comme Ribéry. Entretien réalisé à Monaco par Farid Aït Saâda
