Même si on beaucoup parlé du festival du film amazigh qui cette année fut pauvre, néanmoins il en est sorti quelque chose: Un livre. Une manière de sauver l'honneur d'un festival qui n'a pas eu tous ses invités étrangers, notamment les marocains, pas de long métrage, et même pas de prix. C'était donc une espèce de journées cinématographiques des plus ordinaires, mais non un festival. Mais bon, le commissariat de ce rendez-vous annuel qui s'est définitivement domicilié à Tizi Ouzou alors qu'au départ il était itinérant, a édité un livre sur l'écrivain Mouloud Feraoun. L'ouvrage de 144 pages rend hommage à l'auteur du fabuleux, "Le fils du pauvre." Auparavant, le commissariat avait rendu hommage à cet écrivain lors du 49éme anniversaire de sa disparition coïncidant avec le 15 mars de chaque année. Cet hommage posthume fut bien entendu des conférences, des tables rondes reprises pour la plupart dans ce nouvel ouvrage où l'on retrouve des signatures d'universitaires comme Zobeïda Mameria, Danièle Maoudj, Rachida Saïgh Bousta, Denise Brahimi, Nadjiba Regaïeg, Fanny Colonna, El Djouher Amhis et Nadia Naar Gada. Mais en même temps, il y a d'autres signatures comme celle du rejeton de l'écrivain, Ali Feraoun qui trouve d'ailleurs à juste titre, que les études sur son père sont limitées. "Lorsqu'on sait que dans le monde, des Américains, des Anglais, des Japonais, des Espagnols, des Italiens, des Arabes ont réalisé de nombreuses thèses sur Feraoun ou ont traduit une de ses œuvres, lorsqu'on sait qu'une grande dame de France comme Martine Mathieu Job qui est originaire de mon pays et qui est professeur dans une grande université française a trouvé matière pour écrire deux livres sur Feraoun, près de 500 pages, je pense que c'est dommage pour les étudiants algériens de ne pas approfondir l'étude de cet auteur", déplore Ali Feraoun. Retour sur une journée morbide L'auteur du mémorable "le Fils du pauvre" se réunissait avec ses compagnons éducateurs dont Ali Hamoutène, Salah Aoudia, Etienne Basset, Robert Aymaret et Max Marchand, avant qu'ils ne soient mitraillés par l'OAS du général Salan. En 2007 à l'occasion du 45ème anniversaire de cet humble éducateur, une œuvre posthume, "La cité des roses" a été publiée par la maison d'édition, Yamcom. Ce livre écrit en 1959, a été envoyé une première fois aux éditions du Seuil, la maison qui a publié la totalité de ses ouvrages ; mais l'ouvrage fut refusé parce que jugé " virulent " par l'éditeur qui ne voyait pas dans le manuscrit les signes des attentes du lectorat français. Une censure qui poussera Feraoun à ne pas changer, comme il lui a été suggéré par son éditeur, une virgule de son texte original qu'il placera dans le tiroir de son bureau. Ironie du sort, ce roman d'une intensité hors du commun sort 45 ans après, l'âge qu'avait l'auteur du succulent " le Fils du pauvre " quand il fut assassiné le 15 mars 1962 par l'OAS. Fouroulou, une époque Dans le Fils du pauvre son roman phare,Mouloud Feraoun décrit comme un anthropologue les liens sociaux entre d'abord le microcosme familial dont il était lui-même chef en tant que "mâle", ensuite tout un environnement dans lequel il a évolué. Un environnement rythmé par la parole des sages, la terre aride, les fêtes et les rites ancestraux , un peu comme s'il s'agissait d'un livre sociologique où le personnage principal, "Fouroulou " serait le fil conducteur ou " la main conductrice " d'un lecteur qui découvre une société fermée sur elle-même, misérable et soumise aux lois et aux rigueurs iniques du colonisateur français. Il racontera dans cette extraordinaire épopée son entrée à l'école, les rapports souvent "injustes " entre lui et les filles, le fonctionnement du village qui obéissait à des règles anciennes de la parole des vieux sages, ….bref, Feraoun aurait imagé une époque où la Kabylie souffrait tant de ses montagnes non seulement envahies mais incapables de nourrir ses hommes. Né le 8 mars 1913 dans le village de Tizi Hibel (ancienne commune mixte de Fort National), Mouloud Feraoun fréquenta l'école de son village à partir de l'âge de 7 ans. En 1928, il est boursier à l'Ecole primaire supérieure de Tizi-Ouzou avant d'entrer quatre ans plus tard à l'Ecole normale de Bouzaréah où il fit la connaissance d'Emmanuel Roblès.. En 1935, il est nommé instituteur à Tizi Hibel où il épouse sa cousine Dehbia dont il aura 7 enfants. En 1957, nommé directeur de l'Ecole Nador de Clos-Salembier, il quitte la Kabylie pour les hauteurs d'Alger. Mouloud Feraoun a commencé son premier roman autobiographique " le Fils du pauvre" en 1939 ; il n'est publié qu'en 1950 à compte d'auteur. Ce n'est qu'en 1954 que Le Seuil le publie expurgé des 70 pages relatives à l'Ecole normale de Bouzaréah. Les éditions du Seuil publient, en 1957, en italique, la traduction des Poèmes de Si Mohand U M'hand, étant éditée par les Editions de Minuit en 1960. Son Journal, rédigé de 1955 à 1962 est remis au Seuil en février 1962 et ne sera publié qu'après sa mort. C'est dans "Le Journal " que s'exprime toute la dimension humaine de l'écrivain. Son analyse futuriste sur l'avenir de l'Algérie indépendante restera comme un message prémonitoire. Il anticipera sur les événements dramatiques que l'Algérie a vécus, lorsqu'il déclara dans le même ouvrage que " vos ennemis de demain seront pires que ceux d'aujourd'hui". Pas encore distribué à travers le pays, le film de Ali Mouzaoui éclairera certainement un peu plus la lanterne de ceux qui ne le connaissent pas assez.