En signant une performance retentissante face à l'Allemagne (2-0) en demi-finale, l'équipe de France est entrée dans une autre dimension. Ce match référence de la génération emmenée par Antoine Griezmann, héros du peuple tricolore, appelle désormais une consécration dimanche face au Portugal. Le piège parfait Aussi incroyable que cela puisse paraître, cela n'était jamais arrivé dans l'histoire de l'Euro : jamais, les Bleus n'avaient enchainé deux matches de Championnat d'Europe avec le même onze de départ. Jeudi, Didier Deschamps a mis fin à cette incongruité en alignant l'équipe qui s'était brillamment débarrassée de l'Islande en quarts (5-2). Avec Moussa Sissoko au milieu et Samuel Umtiti en défense dans un schéma qui a souvent penché vers le 4-4-2, tant Antoine Griezmann a évolué sur la même ligne qu'Olivier Giroud. Dans cette configuration, les Tricolores ont laissé le ballon à la Nationalmannschaft qui a œuvré comme une araignée, tissant sa toile patiemment et tournant autour de sa proie (64% de possession à la pause). En première période, les Bleus ont plié, jamais rompu et fini par ouvrir la marque sur un corner bêtement concédé par Hector et une main évitable de Schweinsteiger. Après la pause, l'Allemagne a complètement déjoué, battue dans l'engagement et dans les intentions par des Bleus qui ont réalisé le match parfait. Celui qu'il fallait faire face aux champions du monde.
Griezmann est immense, Koscielny - Umtiti sont formidables Et de deux qui font six ! Comme Jean-François Domergue en 1984, Antoine Griezmann a signé un doublé lors d'une demi-finale de l'Euro disputée à Marseille. En plus de son efficacité devant le but, le Madrilène a été au four, au moulin et partout ailleurs. Un poison permanent pour l'Allemagne. Et que dire de Moussa Sissoko ? Préféré à NGolo Kanté, il a tenu son couloir droit comme personne. Une perf' XXL. Hugo Lloris? Il fut énormissime sur deux parades. La première en début match sur une reprise de Can (14e). La seconde à la toute fin sur une tête de Muller (90e). Il y a un peu plus de cinq semaines, Samuel Umtiti ne se voyait pas disputer l'Euro. A la même date, Laurent Koscielny ne s'imaginait sans doute pas affronter l'Allemagne en demi-finale de l'Euro avec le jeune Lyonnais à ses côtés. C'est ce qui est arrivé. Et les deux hommes ont été géants. Le Gunner s'est montré monumental. Il fait un Euro de folie. Son jeune coéquipier ? Il avait laissé sa timidité au vestiaire et fait preuve d'une maturité exceptionnelle. Dans la relance, notamment, où il a pris plus de risques que face à l'Islande. On sait qui défiera le Portugal, dimanche. En défense. Et sur le reste du terrain où seul Dimitri Payet a été en retrait.
Ce qui aurait pu tout changer : Et si Can avait trouvé la faille… 14e minute de jeu. L'Allemagne commence à mettre la main sur la rencontre. Emre Can, titularisé par Joachim Löw, est seul aux 16,50 mètres. Le ballon lui échoue dans les pieds. Sa reprise, instantanée, rebondit une fois. Puis deux. Hugo Lloris réalise une horizontale formidable qui éloigne le danger. Le geste juste. Et salvateur.
Les clés de l'échec allemand Battue (0-2) en demi-finale par la France, l'Allemagne est tombé dans le dernier carré d'un championnat d'Europe pour la troisième fois de suite. Voilà désormais 20 ans que les Allemands n'ont plus remporté un Euro. Mais, face aux Français, il manquait trop à la Mannschäft pour se hisser une 7e fois en finale. Voici les quatre clés d'un échec plutôt inattendu…
Une défense trop inexpérimentée Privé d'Hummels, suspendu, Joachim Löw a dû faire des choix avant cette demi-finale. Mustafi ou Höwedes ? Le sélectionneur a finalement privilégié Benedikt Höwedes aux côtés de Jérome Boateng. Si le joueur de Schalke 04 a déjà joué les six rencontres de cet Euro, il n'a été titulaire qu'à une seule reprise en défense centrale. C'était face à l'Italie lorsque les Allemands avaient joué en 3-5-2. Certes habitué à la défense centrale en club, Höwedes n'a que très peu d'automatismes avec Boateng et cela s'est vu ce jeudi face aux déplacements des attaquants français. Ajoutez à ceci la titularisation face à la France de latéraux peu ou pas habitué au haut niveau : Ainsi, Joshua Kimmich, à 21 ans, n'a qu'une seule année professionnelle derrière lui, et Jonas Hector n'a lui jamais connu de compétition internationale, en club comme en sélection. Alors que la défense était un point fort des Allemands, celle-ci était beaucoup trop expérimentale pour tenir face à la fougue et le talent d'Antoine Griezmann.
Un Schweinsteiger à la dérive Pour participer à ce qui sera sans doute son dernier Euro, Bastian Schweinsteiger s'était battu pour revenir de sa blessure au genou en janvier. Et s'il y est parvenu, le milieu de Manchester United fut le symbole de la chute allemande. Remplaçant en début de compétition, "Schweini" a profité de la blessure de Khedira pour jouer face à l'Italie et face à la France. Décevant en quart de finale avec notamment un tir au but complètement raté, Schweinsteiger a malgré tout été titularisé face aux Français. Et, encore une fois, il est passé au travers. Après vingt minutes sans erreur ni génie, le milieu allemand a commencé à peiner physiquement dans un rôle de pointe basse auquel il n'est pas vraiment habitué. Et, d'un geste aussi incroyable qu'inutile, il s'est jeté sur un corner, main en avant, pour dévier une tête d'Evra et concéder un penalty largement évitable (45e). Une erreur qui a complètement relancé l'équipe de France et marqué le début la chute de la Mannschäft. Incapable d'accélérer le jeu de l'Allemagne, parfois un peu timoré dans ses choix de passes, Schweinsteiger a illustré à merveille - pour son plus grand malheur - les difficultés de son équipe.
Un banc plus que décevant Hummels suspendu après un énième carton jaune reçu face à l'Italie, Gomez et Khedira blessés contre la Squadra, c'est peu dire que l'Allemagne était diminuée pour cette demi-finale. Mais, contrairement à ce que la qualité du groupe amené pour cet Euro par Joachim Lôw laissait supposer, remplacer ces trois hommes était trop compliqué. Il n'y avait pas un défenseur, un milieu et un attaquant de haut niveau sur le banc allemand. Du moins, pas ceux qui ont eu leur chance. En défense, ni Höwedes titularisé, ni Mustafi entré en cours de match à la place de Boateng… blessé (!), n'ont démérité véritablement mais n'est pas la charnière Hummels-Boateng qui veut. Pourtant fourni au milieu de terrain, Joachim Löw n'est pas parvenu à trouver la solution à la blessure de Khedira. Ni Can, à l'exception des vingt premières minutes, ni Schweinstieger n'ont eu l'impact nécessaire dans l'entrejeu alors que Weigl n'a pas eu sa chance. Et avec un seul véritable attaquant dans les 23, comment pallier efficacement la blessure de Gomez ?
Müller, symbole de choix offensifs inefficaces En l'absence de Gomez, Joachim Löw avait plusieurs joueurs pour occuper la pointe de l'équipe allemande. Qui de Müller, Götze, Podolski voire Schürrle allait jouer ? En toute logique théorique, c'est le buteur du Bayern Munich qui a été préféré. Pourtant l'Euro de Müller était jusqu'ici - au bas mot - une catastrophe. Zéro but, beaucoup de gâchis et de raté… Alors, oui, Löw n'avait de toute façon pas de choix évident. Mais en alignant le joueur du Bayern en pointe, le sélectionneur allemand a changé le 4-2-3-1 qui fonctionnait pour un 4-3-3 avec Özil sur un côté, lui qui n'est jamais aussi bon que dans l'axe. Si le choix d'un faux-neuf comme Götze aurait probablement été pire encore vu les performances du buteur de la finale du Mondial 2014 depuis le début de la compétition, pourquoi ne pas avoir essayé un Podolski ou un Schürrle toujours efficaces en sélection ? Ou même entourer Müller d'ailiers rapides avec un Sané ? Sans idée, sans appui devant et sans vitesse, le jeu allemand s'est vite essoufflé face à la solidité de la défense française et a complètement explosé en seconde période. Avec autant de talent, la Mannschäft se devait de faire mieux. Joachim Löw aussi…
Le stade Vélodrome a soulevé des montagnes pour les Bleus Le Stade Vélodrome a joué son rôle de douzième homme à merveille. Incandescente, l'enceinte du boulevard Michelet a porté l'équipe de France, vainqueur de l'Allemagne (2-0). Cette soirée restera gravée dans les mémoires. La soirée fut une clameur. A la hauteur d'un accomplissement majeur qui avait tant manqué au football français. Cela faisait une décennie que la France et son équipe nationale attendaient ça. Et quel plus bel écrin que le Stade Vélodrome pour renouer avec la grandeur et l'histoire, celle qui s'écrit avec un grand H et sans pluriel ? La réponse est simple : dans l'Hexagone, il n'en existe pas. Jeudi, l'enceinte du boulevard Michelet - avec son toit qui change tout - a rugi et porté les Bleus comme rarement. De l'ouverture des portes au coup de sifflet final, et même un peu après, ce ne fut que bruit et fureur. Des cris et des chants venus des entrailles de spectateurs qui n'en étaient pas, tant le Vélodrome était rempli jusqu'à la gueule de supporters. Allemands, massés principalement dans le virage Nord, et Français, partout ailleurs.
Une communion unique Antoine Griezmann et ses copains n'oublieront pas de sitôt ce deuxième crochet de l'Euro au Vélodrome. Si le premier, face à l'Albanie, fut chaud, cette demie a été incandescente. Et, plus que tout, assourdissante. Dans les tribunes populaires comme dans les loges, impossible de s'entendre. Sur le terrain, communiquer n'a pas non plus été chose aisée. Mais, qu'importe, la communion l'a emporté sur tout le reste. Et elle a commencé bien avant que les vingt-deux acteurs ne soient lâchés sur le pré. Si André-Pierre Gignac n'a pas été le moins ovationné au moment de la présentation des équipes, le Vélodrome n'a pas fait de jaloux quand il a fallu scander les noms des 23 futurs finalistes de l'Euro. Il n'a pas non plus été avare en matière de décibels lorsqu'il il s'est lancé dans une Marseillaise qui aura rarement été aussi prenante. Parfois, elle peut bloquer. Inhiber. Elle a magnifié les Bleus. Les a portés vers le Stade de France.
"Quand on voit ce stade gonflé à bloc…" Les vagues bleues sont descendues des tribunes tout au long d'une fête à la maison qui n'a que peu d'égale dans l'histoire du football français. Seuls le France - Portugal de 1984, déjà à Marseille, ou le France - Ukraine de 2013 sont comparables à la clameur qui a accompagné cette chaude nuit estivale. France - Brésil 1998 avait été un match de cols blancs, plus que de cols bleus. Didier Deschamps s'était d'ailleurs ému de ce supporterisme très costard-cravate en plein cœur du Mondial. Dix-huit ans plus tard, DD a vécu autre chose qu'il a résumé par ces quelques mots : "Quand on voit ce stade gonflé à bloc…" Les supporters français, qui avaient rempli les trois quarts du Vélodrome, ont été de tous les combats vocaux. Une bronca monumentale, quand il ont cru qu'Emre Can avait touché le ballon de la main en tout début de partie. Un râle de soulagement quand Hugo Lloris a sorti la reprise du même Can. On ne jouait que depuis un petit quart d'heure et, si les Bleus n'avaient pas mis la main sur le match, les 45 000 Français avaient déjà pris le dessus sur les 22 000 supporters de la Nationalmannschaft. La libération fut, paradoxalement, longue à entendre. Parce que, personne, du terrain aux tribunes, n'a compris ce qu'il se passait quand monsieur Rizzoli a accordé un penalty aux Bleus sur cette main improbable de Schweinsteiger. La clameur est alors montée crescendo. Jusqu'à exploser quand Griezmann a transformé la sentence. Héros du match, l'attaquant de l'Atlético a eu droit à l'ovation qu'il méritait lorsqu'il a été rappelé sur le banc par DD. Des "Olé" au clapping final, le Vélodrome a conclu son bruyant récital en beauté. Un récital que les Bleus ne sont pas près d'oublier.