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L'armée algérienne face au défi de la transition démocratique
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 24 - 06 - 2011


Le Soir d'Algérie 22 et 23 juin 2011
Mohamed Chafik Mesbah, collaborateur de notre journal, a présenté le lundi 13 juin 2011 au Cidob de Barcelone (Centre des relations internationales et études du développement, think tank que préside Narcis Serra, ancien ministre espagnol de la Défense) une communication intitulée «L'armée algérienne face au défi de la transition démocratique» . Dans cette communication, Mohamed Chafik Mesbah examine passé, présent et perspectives d'évolution de l'institution militaire et services de renseignement dans le pays. Au regard de l'importance du sujet et de l'intérêt des idées développées dans cette communication, nous avons jugé utile de la publier, in extenso, à l'intention de nos lecteurs.
Le président Narcis Serra nous a présenté un modèle théorique, parfaitement élaboré, qui ne souffre pas de contestation lorsqu'il s'applique à des sociétés développées. Le cas est différent, cependant, pour les pays de la rive sud de la Méditerranée qui viennent d'entamer leur processus de transition démocratique. La richesse d'expérience du président Narcis Serra en sa qualité d'ancien ministre espagnol de la Défense nationale, celui de la transition démocratique, ainsi que la rigueur méthodologique de son exposé, celle d'un académicien avéré, explique l'intérêt de cette communication. Il est clair, à cet égard, qu'il existe un grand intérêt à ce que la communication du président Narcis Serra ainsi que son livre intitulé La transition militaire, l'expérience espagnole, disponibles en espagnol et en anglais, le soient en arabe et en français. La courte contribution que je présente, aujourd'hui, ne prétend pas au standard académique. C'est le résultat d'un cheminement intellectuel personnel, laborieusement conduit tout le long d'une carrière militaire marquée par le souci constant de réconcilier dans un projet national fondateur l'armée et le peuple algériens. Cette posture intellectuelle comporte, à l'évidence, une charge émotionnelle. J'assume, sereinement, cette posture délicate. L'objet de cette contribution porte sur l'examen de trois aspects complémentaires liés à la problématique qui requiert notre attention. Il s'agit de soumettre à un éclairage approprié la problématique qui requiert notre attention. Il s'agit, premièrement, de procéder à une genèse rapide de l'évolution de l'armée algérienne, à partir de l'intérieur, notamment avant l'avènement du multipartisme en Algérie. Il s'agit, deuxièmement, de procéder à l'examen de la conduite de l'armée algérienne face aux événements douloureux qui, depuis 1992, ont pris place dans l'imaginaire populaire sous le libellé de «décennie noire». Il s'agira, troisièmement, de procéder à l'étude des perspectives qui s'ouvrent à l'armée algérienne, en rapport avec le nouveau positionnement politique et institutionnel qui, dans le nouveau contexte national et international, pourrait être le sien. Soulignons, avant d'aborder le corps du sujet, que la problématique du rôle de l'armée dans la sphère politique en Algérie s'est posée, de manière récurrente, depuis même le début de la colonisation. Les premières résistances menées contre l'occupant colonial français avaient été conduites par des leaders religieux, chefs guerriers simultanément, la question de la subordination du militaire au civil se trouvant, d'emblée, tranchée. Tout le long de l'évolution du mouvement de résistance politique, du début du siècle au déclenchement de la guerre de Libération nationale le 1er novembre 1954, ce sont des dirigeants politiques civils qui avaient constitué l'interface des autorités coloniales. Ce sont, cependant, des dirigeants de l'Organisation spéciale (OS), structure paramilitaire créée en 1947 par le PPA-MTLD, le principal parti nationaliste algérien, qui avaient déclenché la guerre de Libération nationale, après s'être érigés, de fait, comme instance politico-militaire connue, plus tard, sous l'appellation de «groupe des 22». Ce seront, d'ailleurs, trois principaux membres de ce groupe, les colonels Belkacem Krim, Abdelhafidh Boussouf et Abdallah Bentobal, connus sous la dénomination des «3B», qui se saisiront des leviers de commande du FLN et de l'ALN de guerre. Ils y parviendront après avoir fait abroger, en 1957, par l'instance délibérante de la Révolution algérienne, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), le principe de la primauté du politique sur le militaire. Un principe qui venait juste d'être adopté par le congrès de la Soummam réuni en 1956 avec Abane Ramdane comme figure de proue, lequel Abane Ramdane sera assassiné à l'initiative de ces mêmes «3B». La domination de fait de cette direction militaire sur les instances de la Révolution algérienne ne sera mise à mal que par la création, en 1960, de l'état-major général de l'ALN sous le commandement du colonel Houari Boumediene. C'est cette instance qui parviendra, progressivement, à supplanter les «3B». Il est établi, à cet égard, que c'est l'état-major général de l'ALN qui, depuis la proclamation de l'indépendance nationale en 1962, s'était assuré de la réalité du pouvoir, se servant, cependant, de la couverture politique de M. Ahmed Ben Bella, alors figure emblématique de la Révolution. Cette brève rétrospective historique n'est pas superflue pour comprendre comment l'interférence de l'armée dans le champ politique en est venue à constituer une donnée co-substantielle à la fondation de l'Etat moderne en Algérie. Examinons, à présent, le premier volet de cette contribution. Au lendemain de l'interruption du processus électoral, en 1992, l'armée algérienne, pour son rôle dans l'épisode considéré, avait fait l'objet d'attaques en règle jusqu'à être assimilée, parfois, à une armée de «pronunciamiento », ses chefs étant affublés du qualificatif de «junte» au sens le plus négatif du terme. A l'époque, pourtant, l'origine sociale des officiers généraux et de leurs collaborateurs immédiats était des plus modestes, essentiellement rurale. Leur comportement social n'était pas, particulièrement, ostentatoire, sujet à critique marquée de l'opinion publique. Il ne faut pas, certainement, céder à une forme d'idéalisation excessive de l'institution militaire. Certains chefs militaires, pas la hiérarchie en tant que corps social, s'étaient, certes, distingués par des comportements pathogènes qui ont pu contribuer à discréditer la corporation dans sa totalité. Mais ce qui doit retenir notre attention, ce n'est pas l'histoire liée aux modes individuels, c'est la société militaire à travers l'analyse de la structure dite «Commandement» qui est une de ses composantes essentielles. Issus de l'Armée de libération nationale, les chefs militaires de l'époque avaient, pour la plupart, complété leur formation dans les académies nationales et étrangères et il existait une homogénéité interne relativement solide au sein de la hiérarchie. Jusqu'à une heure tardive, une certaine ligne de fracture a bien existé entre officiers dits de l'Armée française et officiers dits de l'Armée de libération nationale faisant se juxtaposer, d'ailleurs, clivages idéologiques et techniques. Cette ligne de fracture s'est, à présent, estompée. Au plan interne, également, la situation, au sein de l'armée, se caractérisait par un tassement vers le bas des grades qui a laissé, parfois, végéter les plus instruits parmi les cadres militaires. Ces clivages ont, peu ou prou, disparus face à la nécessité d'une solidarité active face aux défis majeurs apparus, d'abord, avec l'éclatement du conflit du Sahara occidental, ensuite, avec l'irruption intempestive du Front islamique du salut. Il faut garder à l'esprit, à cet égard, le fonctionnement presque démocratique de l'institution militaire, puisque le ministre de la Défense nationale de l'époque prenait la précaution de réunir, jusqu'à un niveau relativement subalterne, les cadres de l'ANP en vue de requérir leur assentiment suscitant ainsi le consensus qui permettait au Commandement d'avancer les rangs serrés. Cela peut paraître une hérésie pour une institution fondée sur l'obéissance et la discipline. C'est bien selon ce mode, pourtant, que les forces armées portugaises avaient fonctionné pour trouver leur indispensable cohésion face à des événements d'une portée bien exceptionnelle. Toujours à propos de la composante interne de l'armée, il faut noter, d'un point de vue social, que les principaux responsables militaires en 1992, chefs de régions militaires comme commandants de forces, ne disposaient pas des attributs, du prestige social et des avantages qui étaient ceux de leurs homologues, durant le règne du président Houari Boumediene. Il ne faut pas non plus céder aux prénotions. Même sous la présidence de Houari Boumediène, les chefs militaires impliqués dans les processus politiques l'étaient intuitu personae à travers le Conseil de la révolution dont ils étaient membres. Ce n'était pas l'institution militaire, elle-même qui était concernée. Les études fiables sur la composition sociale de l'encadrement militaire en Algérie n'existent pas. Il est difficile, donc, de conforter scientifiquement les constats avancés dans cette contribution. Au vu de l'observation empirique, il est excessif, pourtant, de parler de caste militaire coupée de la société. L'état d'esprit prêté aux chefs de l'ANP, à propos de l'islam, est, également, un préjugé qui ne repose pas sur l'observation scientifique de la société militaire. Affirmer que le Commandement militaire était habité par une haine pathologique vis-à-vis de l'islam, c'est méconnaître les racines sociales et culturelles, essentiellement paysannes, d'où puise sa sève cette composante essentielle de l'armée. Le Commandement militaire est le produit de la société algérienne, pas une excroissance greffée de l'extérieur. Il faut distinguer entre l'analyse scientifique et les jugements de valeur politiciens. Beaucoup d'intellectuels algériens refusent de se libérer des prénotions teintées d'idéologie qui guident leur raisonnement chaque fois qu'il est question de l'armée algérienne. Mais pour revenir au corps du sujet, ce n'est pas sans pertinence que Nacer Djabi, sociologue algérien éminent, s'était livré à l'analyse d'un échantillon de cent ministres du pays pour aboutir à la conclusion que leur profil correspondait, parfaitement, à la configuration de la société algérienne. Pour résumer ce constat, il a eu cette formule décapante de bon sens qui peut, parfaitement, s'appliquer à au Commandement militaire en Algérie : «C'est une élite tout ce qu'il y a de plus normal évoluant dans un système politique anormal.»Comment expliquer, toutefois, que face à l'émergence prodigieuse du FIS, le Commandement militaire ait fait preuve d'un manque de lucidité politique ? Ce
n'est, assurément, pas dans le statut social des chefs militaires qu'il faut chercher l'explication. L'ANP, depuis l'indépendance, n'a jamais été, en fait, que l'instrument d'exécution d'une volonté politique incarnée par des chefs qui avaient revêtu l'habit civil. Instruite pour obéir, l'ANP n'a pas exercé le pouvoir directement. C'est pourquoi elle n'a jamais pu accéder, en profondeur, à la compréhension des phénomènes politiques et économiques liés à l'évolution de la société. Elle s'est développée sur la base d'un modèle de formation axé, presque principalement, sur les connaissances techniques. L'encadrement militaire n'a pu accéder, ainsi, à l'intelligence des phénomènes de société que sous forme d'agrégats. Le fameux Commissariat politique de l'ANP, excroissance héritée de l'Armée de libération nationale, servait à délivrer des messages pour l'environnement extérieur plutôt qu'à consolider la formation intellectuelle des cadres militaires. Confrontés à une vacance de fait du pouvoir politique, les chefs militaires, pour affronter la crise qui avait éclaté en 1992, s'étaient trouvés armés d'un patriotisme intuitif mais démunis de la capacité d'anticiper le futur à travers l'accès raisonné à la logique des phénomènes historiques, politiques et économiques. Le président Houari Boumediene qui avait bien retenu la leçon de son différend avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) — ou officiaient les «3B» — cantonnait l'armée loin de la politique, s'en servant, seulement, comme d'une arme de dissuasion contre ses opposants politiques. L'ancien ministre de la Défense nationale, le général Khaled Nezzar, rappelait, à cet égard, tout récemment, une formule imagée du président Houari Boumediene : «L'armée c'est le gourdin avec lequel il faut faire peur aux forces réactionnaires !»
Quoiqu'il en soit, l'accession à la présidence de la République de M. Abdelaziz Bouteflika ouvrira une nouvelle ère dans l'évolution de l'institution militaire. Avec dans une première étape des rapports plutôt ambigus empreints de méfiance réciproque entre le chef de l'Etat et la hiérarchie militaire. La démarche de clarification de ces rapports aura été, en effet, des plus laborieuses. Elle n'a produit ses effets que vers la fin du deuxième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. L'objectif consistait à parvenir, tour à tour, à un contrat moral, une sorte de code de bonne conduite, à un accord de délimitation de compétences qui tienne compte du caractère spécifique de l'institution militaire et à l'adoption, in fine, d'un programme de modernisation de l'institution militaire destiné à faire émerger, pacifiquement, une nouvelle chaîne de commandement. Pour une meilleure compréhension du problème, il faut distinguer, au plan méthodologique, entre, d'une part, le corps de bataille, c'est-à-dire les grandes unités de combat et les commandements opérationnels, ainsi que leur dispositif de soutien logistique et, d'autre part, les services de renseignement qui continuent de relever de la tutelle de la Défense nationale. Les changements évoqués concernent, essentiellement, la première composante des forces armées. Ces changements portent sur l'amélioration substantielle de la qualité de l'encadrement militaire, tant du point de vue de l'âge que du niveau de formation technique et intellectuelle. Pour l'essentiel, l'encadrement militaire actuel provient d'officiers formés au sein des fameuses Ecoles des cadets de la Révolution, de l'Académie militaire interarmes de Cherchell et dans les universités, s'agissant de recrues sur titre engagées dans les rangs des forces armées à la fin de leur scolarité supérieure. Pour la plupart, ces officiers ont suivi des cycles de spécialisation ou des stages de commandement dans les grandes écoles militaires occidentales, russes et arabes. Un parcours qui leur permet de se mesurer, au plan de la maîtrise professionnelle, à leurs pairs des armées modernes. Les changements se sont effectués, par ailleurs, dans le respect des équilibres sociologiques. Le rajeunissement de l'encadrement militaire n'a pas affecté la prédominance des cadres issus de la région est du pays, largement majoritaires au sein de la chaîne de commandement. Ce sont, également, toujours des officiers d'extraction sociale modeste, paysannerie pauvre et petite bourgeoisie, qui composent, majoritairement, cette chaîne de commandement. Cela dénote, à l'évidence, une gestion prudente de la ressource humaine au sein des forces armées. Certaines critiques évoquent, toutefois, la présence dans la hiérarchie militaire d'une poignée de responsables trop âgés, en déphasage avec les nouveaux chefs qui émergent dans l'ANP, beaucoup plus jeunes et bien mieux formés. Ces responsables d'âge avancé qui se comptent sur les doigts de la main proviennent de l'Armée de libération nationale. Ils sont en voie de disqualification, même sur le plan biologique. C'est, de manière spécifique, le chef d'état-major de l'ANP qui est visé par cette remarque. Précisons qu'il a été choisi par le président de la République pour des considérations de loyauté personnelles. C'est, également, pour des raisons symboliques, liées, entre autres, à son appartenance à l'ALN, que cet officier général a été désigné pour assumer une mission supposée être temporaire liée à l'équilibre subtil des prérogatives entre délégataires majeurs de pouvoirs au ministère de la Défense nationale. A terme rapproché, la fonction de chef d'état-major de l'ANP, de plus en plus technicisée, sera, probablement, accessible à la génération d'officiers incorporés après l'indépendance nationale. Il persiste, par ailleurs, des divergences internes à l'institution résultant de la diversité des parcours des officiers qui forment l'ossature de la chaîne de commandement. Effectivement, ces nouveaux chefs militaires ayant suivi des formations supérieures au sein d'académies différentes, nationales et étrangères, se posent la question de l'homogénéisation des visions, sur le plan technique aussi bien que sur le plan de la doctrine. L'Ecole supérieure de guerre, nouvellement créée, et l'Institut militaire de documentation, d'évaluation et de prospective, de création plus ancienne, ne semblent pas, en ce sens, avoir apporté la contribution attendue. L'effort de rajeunissement de la chaîne de commandement militaire, concomitant à celui de la modernisation du potentiel de combat, ne s'est pas accompagné – je l'ai déjà souligné — de la rénovation de ce qui tenait lieu de corps de doctrine militaire. Une opacité est entretenue autour de cet impératif de rénovation de la doctrine de défense qui retarde la mise à niveau conceptuelle souhaitée. C'est cette doctrine qui nous aurait renseignés, plus sûrement, quant à la politique de défense nationale du pays. A moins que celle-ci ne se résume, implicitement, à une simple adéquation de l'effort de guerre national avec les impératifs spécifiques à l'Otan, les nouvelles menaces qui vont de la lutte contre le terrorisme jusqu'à la participation aux forces d'interposition dans les conflits localisés en passant par la prévention des exodes de population… Tout se passe comme si les instances politiques, conscientes qu'il n'existait plus d'alternative à un alignement sur l'Otan, avaient choisi de louvoyer et de ne pas énoncer, clairement, la substance de la nouvelle politique de défense. C'est peine perdue. Les politiques de défense nationale s'inscrivent, désormais, dans des logiques de sécurité régionale liées aux impératifs fixés par les grandes puissances, en particulier la première d'entre elles, les Etats-Unis. A observer, scrupuleusement, le statut de l'Otan, il serait bien difficile de trouver une disposition qui permette à cette organisation internationale d'interférer dans la politique de défense d'un pays tiers. Mais derrière l'apparence institutionnelle de l'Otan et, d'une manière générale, du système de relations internationales, se profile, inévitablement, la politique de puissance américaine. L'Otan, précisément, a engagé ce qu'il est convenu d'appeler le dialogue méditerranéen avec un certain nombre de pays riverains à la Méditerranée. Dans l'argumentaire élaboré par les services de l'Otan, il est spécifié, expressément, que l'interopérabilité des forces est l'un des objectifs majeurs visés par le dialogue. Dans l'immédiat, le rapprochement avec l'Otan se traduit, précisément, pour des considérations opérationnelles, par une transformation graduelle de la chaîne de commandement militaire. Les exigences liées à l'interopérabilité obligent l'ANP à se mettre à niveau. C'est, forcément, les militaires qui maîtrisent les armements requis et capables de conduire des interventions adaptées aux théâtres d'opération modernes qui supplanteront, progressivement, ceux qui ne sont pas formés. L'Algérie n'en est pas encore au stade de l'adhésion à l'Alliance atlantique qui comporte des conditionnalités rigides, mais déjà sa proximité avec l'Otan lui impose une mise aux normes de la formation de son encadrement et de la nature de ses systèmes d'armement. Le dialogue méditerranéen qui a été engagé par l'Otan vise, cependant, simultanément aux objectifs techniques opérationnels, à favoriser la réforme de la Défense nationale, à travers, notamment, «la promotion du contrôle démocratique des forces armées». Cette affirmation est à relier, sans aucun doute, au cours actuel de l'évolution de la chaîne de commandement de l'ANP. Les nouveaux chefs militaires qui, désormais, détiennent la réalité des leviers de commande, puissance de feu et dispositif de soutien logistique, se distinguent par un degré de conscience plus aigu, adhérent raisonnablement aux impératifs de bonne gouvernance. L'un dans l'autre, cet état d'esprit intrinsèque et les principes institutionnels défendus par l'Otan devraient prémunir ces nouveaux chefs militaires contre la tentation d'une irruption intempestive dans la sphère politique. L'évolution des armées de tous les pays de la rive sud de la Méditerranée impliqués dans ce dialogue méditerranéen s'inscrit, très certainement, dans une perspective de normalisation de leur statut institutionnel avec subordination du militaire au civil. Quelle lecture politique faut-il faire, à ce niveau de la réflexion, de ces changements que nous venons d'évoquer, par rapport, en particulier, à l'exercice de ses pouvoirs par le président Abdelaziz Bouteflika? A court terme, le président Abdelaziz Bouteflika, en remplaçant — sans payer de coût politique significatif — la génération des généraux «janviéristes» par de nouveaux chefs militaires que nous pourrions appeler des «guerriers professionnels», a éliminé toute source possible de contestation de sa démarche à partir des forces armées. A moyen terme, le président Abdelaziz Bouteflika a subtilement conçu la répartition des prérogatives entre délégataires de pouvoir au niveau du ministère de la Défense nationale de manière que leurs influences s'annulent réciproquement. A long terme, le président Abdelaziz Bouteflika a réussi le découplage, presque total, entre les services de renseignement et les forces armées, privant les premiers de l'appui ostensible qui faisait leur force et les seconds de l'interface sur la société qui leur permettait d'agir politiquement. Dans le même intervalle, ce n'est pas la même évolution que les services de renseignement ont connu. Le regretté M'hamed Yazid, quelque temps avant sa mort, évoquait cette relation ambiguë, empreinte de sentiments contradictoires, faits d'attraction et de répulsion, qui liait le personnel politique hérité de la guerre de Libération nationale aux services de renseignement algériens. C'est, à la fois, du rejet fondé sur la peur et de l'admiration nourrie par le mythe. Le président Abdelaziz Bouteflika n'échappe pas à la règle. Il existe chez lui, pour
des considérations symboliques autant que pratiques, une réelle volonté de réformer les services de renseignement, au sens d'annihiler la capacité de nuisance qui leur est prêtée. Il est suffisamment habile, cependant, pour vouloir continuer à entretenir le mythe qui entoure cet instrument dont il ne veut pas se priver brusquement. Il laisse, volontiers, se perpétuer l'idée, surtout à l'usage d'une société politique habituée à ce genre de soumission, que ces services de renseignement tout puissants constituent le bras séculier sur lequel il fonde son pouvoir. Cette situation lui permet même d'orienter vers ces services la vindicte de la population, des élites, voire de l'étranger. Ce calcul doit compter, certainement, dans le peu d'empressement qu'il manifeste, du moins apparemment, à procéder à la réforme des services de renseignement bien qu'il le souhaite pourtant. Il est probable que le président Abdelaziz Bouteflika se suffit, pour le moment, d'avoir découplé corps de bataille et services de renseignement et, de manière relative, d'avoir limité l'influence de ces derniers dans le processus de nomination aux fonctions de responsabilité publique. Sans devoir s'en tenir, mécaniquement, à l'avis des partis et leaders de l'opposition qui considèrent que lesdits services sont la source de blocage essentiel pour tout processus de transition démocratique, examinons, sereinement, cette question. Ne nous arrêtons pas aux évidences, le renseignement est une fonction fondamentale de l'Etat, une condition indispensable à son développement pérenne. La vraie question, par conséquent, n'est pas de savoir si, oui ou non, le pays doit disposer de services de renseignement. La vraie question doit porter sur la nature de la mission des services de renseignement dans un système démocratique. S'agissant de l'Algérie, il faudrait, avant de répondre, examiner ces services à l'aune de deux paramètres, la symbolique liée à l'institution et l'efficience de son action. Les services de renseignement algériens jouissent-ils encore de la charge émotionnelle — en particulier, cette solidarité de corps érigée en culte — qui fonde, symboliquement, la communauté du renseignement, «un métier de seigneurs» comme le suggérait le chancelier allemand Bismarck ? Ces services disposent-ils toujours de l'efficacité redoutable qui, une période durant, avait fondé leur légende, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays ? Ces services de renseignement, à présent, partiellement, démunis de la charge émotionnelle qui vient d'être évoquée, ne disposent guère plus de toute l'efficacité dont ils pouvaient se prévaloir. La solidarité de corps, c'est un habitus social et culturel, c'est surtout une échelle de valeurs partagée en commun. Ce patrimoine hérité du Malg mythique de la guerre de Libération nationale est largement entamé. Au cours de la phase de restauration de l'Etat, les services de renseignement algériens, bâtis sur les traces du Malg, ont été propulsés par un puissant idéal. Ils ont su tirer profit de la disponibilité de cadres expérimentés et engagés ainsi que de l'aura populaire qui rendait leur action efficace et redoutée. Raisonnant en contexte, il n'est pas faux d'affirmer que la Sécurité militaire a été un instrument de répression dans le cadre d'un système de parti unique. C'était le prix de la stabilité politique et institutionnelle du pays, condition jugée nécessaire pour son développement économique et social. La Sécurité militaire avait joué, cependant, un rôle éminent dans la victoire de nombreuses guerres de libération nationale, en Afrique notamment, et dans le succès de combien de révolutions démocratiques, résultat de soulèvements populaires, sans compter le soutien efficace qu'elle sut apporter aux mouvements de résistance de gauche en Amérique latine. Revenons, toutefois, à la situation présente. Il faut bien admettre que l'ardeur patriotique et l'efficacité opérationnelle dont était créditée cette ancienne Sécurité militaire n'ont pas résisté au phénomène d'usure, à l'image de cette perte de bonne gouvernance qui touche toutes les institutions du pays. Ces services de renseignement, à un moment donné, ont bien joué un rôle dynamique en servant de rempart contre l'écroulement de l'Etat algérien. Ils ont exercé, également, un certain rôle stabilisateur éteignant, dans l'œuf, les crises internes du régime, ce qui, d'ailleurs, a permis au système de se pérenniser. A leur actif, également, un rôle, de coloration disons patriotique, dans la sauvegarde du patrimoine économique national. Leur empreinte, sans être exclusive, est perceptible dans l'abrogation de la loi sur les hydrocarbures en 2005. Ils ne sont pas étrangers à la contrariété que rencontrèrent certains processus de privatisation douteux. Ce rôle de stabilisation du régime politique et cette œuvre de sauvegarde du patrimoine économique sont, néanmoins, sans commune mesure, avec les exigences de mue du système. Cela conduit à imaginer que, par rapport à la conjoncture politique prévalant en Algérie, les services de renseignement algériens ne sont plus en mesure d'entraver un puissant mouvement social déterminé à mettre à bas le système. Les cadres de renseignement algériens ont été formés pour lutter contre la subversion interne — entendez l'opposition qui n'est pas légale —, ils se sont adaptés, avec plus ou moins de succès, pour combattre le terrorisme, ils ne sauront, certainement pas, étouffer un mouvement de masse. Les hommes politiques algériens devraient visiter les pages d'histoire des peuples qui ont imposé dans leur pays le système démocratique. Le DRS serait-il plus puissant, plus efficace, plus retors que la Stasi allemande? Les conditions historiques de la chute du système communiste ayant été réunies, la Stasi a aussitôt tout perdu de sa puissance. Faut-il faire du démantèlement des services de renseignement algériens un préalable à la mise en œuvre d'un processus de transition démocratique ? L'observation des processus historiques universels, similaires à ceux qui se déroulent dans le monde arabe actuellement, indique bien que l'adaptation des services de renseignement aux exigences du système démocratique est une nécessité. Pour l'heure présente, il ne sert à rien d'ergoter sur l'influence jugée excessive du DRS sur la vie politique nationale. Il est bien plus important de se hâter à favoriser l'instauration du système démocratique en s'engageant, avec un esprit de sacrifice bien entendu, sans réserve, dans la mobilisation du peuple algérien. Il faut faire le pari que la plupart des cadres des services de renseignement, tant décriés, finiront par se ranger au choix du système démocratique dès lors que la situation aura atteint le stade de mûrissement requis. C'est-à-dire dès lors, en particulier, que l'armée, au sens de corps de bataille, se sera déterminée. Dans l'intervalle, il faut souhaiter, naturellement, que les services de renseignement du pays ne s'ingénient pas à mobiliser leur capacité de nuisance au profit d'une démarche d'entrave à cette progression naturelle, je dirais inéluctable, de la société vers la liberté. Une lecture hâtive et forcée à laisser imaginer chez certains observateurs de la scène politique algérienne que les scandales de corruption qui ont défrayé la chronique sont le reflet d'une lutte de clans au sommet de l'Etat. Allusion aux services de renseignement qui auraient la capacité de constituer un pôle capable de défiance vis-à-vis du chef de l'Etat. La vérité est, tout juste, que la corruption est, désormais, co-substantielle au système de gouvernance en Algérie. C'est, à présent, un phénomène structurant ancré dans les usages du système reflet d'une crise chronique de gouvernance, pas d'une simple guerre de clans au sommet. Là n'est pas, toutefois, l'essentiel du problème. Ce qui est bien plus essentiel, c'est la fin du rôle d'interface avec la société politique que, tout le long de la crise algérienne, ils ont joué, pour le compte de l'état-major de l'ANP. Cette coupure avec l'état-major de l'ANP date, incontestablement, le début d'un déclin de la puissance des services de renseignement. Seul un véritable processus de transition démocratique, néanmoins, pourra entraîner le repositionnement institutionnel des services de renseignement, conformément aux canons du système démocratique, avec le recadrage de leur mission autour d'impératifs liés à la sécurité nationale, exclusivement. Cette reconversion ne saurait intervenir juste à la faveur de sautes d'humeur de responsables officiels, puissants pour le moment ou de vœux pieux, candidement évoqués par des leaders de l'opposition, eux-mêmes sans prise sur les réalités. Troisième étape de la présente réflexion, quel pourrait être, en finalité, le comportement de l'armée algérienne face à un soulèvement populaire d'importance ? Quel rôle pourrait-elle jouer, par la suite, dans un processus de transition démocratique ? Ce questionnement renvoie à une problématique à deux volets. Le premier se rapporte au comportement des forces armées dans le cas où elles seraient requises par les instances politiques pour réprimer les manifestations populaires. Le deuxième se rapporte au positionnement institutionnel et politique qu'adopterait l'armée dans une conjoncture de transition démocratique. Trois paramètres sont à considérer. Premièrement, au risque de nous répéter, rappelons la transformation substantielle de la chaîne de commandement militaire au sein de l'ANP. A partir des années 2000, une profonde transformation a touché l'ensemble de cette chaîne de commandement, avec émergence de nouveaux chefs militaires, relativement jeunes, parfaitement formés et animés d'esprit d'ouverture sur le monde moderne. Deuxièmement, le contexte international. Dans la conjoncture mondiale actuelle, marquée par le bouleversement du système de relations internationales et la mondialisation des rapports entre nations, il n'est plus d'usage que les chefs militaires qui, dans des conditions
exceptionnelles, prennent le pouvoir songent à le conserver. L'ère des coups d'Etat classiques est révolue. Par ailleurs, l'adoption du principe de compétence universelle pour les crimes contre l'humanité ainsi que la création de la Cour pénale internationale pèsent, désormais, comme une épée de Damoclès sur les chefs militaires qui seraient tentés d'étouffer par la violence les aspirations démocratiques de leurs peuples. Troisièmement, le contexte national. Issus pour la plupart de couches sociales défavorisées, dans le meilleur des cas des classes moyennes, les nouveaux chefs militaires ne sont pas, loin s'en faut, déconnectés de la réalité sociale. Et s'ils ne manifestent aucune inclination pour la chose politique, stricto sensu, c'est une écoute attentive qu'ils prêtent, toujours, aux difficultés du peuple algérien ainsi qu'aux contrariétés qui obstruent la voie au développement national. La dégradation actuelle de la situation dans le pays, ayant tendance à devenir chronique, ne peut que les interpeller. Toutes ces considérations devraient conduire l'armée algérienne à refuser de réprimer d'éventuelles manifestations populaires. Les chefs militaires, pour autant, ne se mettront pas en situation de rébellion vis-à-vis des instances politiques légales du pays. Ce sera, en dernier recours, lorsqu'ils pressentiront une situation de chaos, fatale au pays, qu'ils pourraient, identiquement, aux armées égyptiennes. C'est, de manière plus fondamentale, le statut politique et institutionnel de l'armée dans un processus de transition démocratique qui soulève, cependant, les plus pressantes interrogations. Certes, les régimes militaires peuvent être classifiés en deux catégories selon qu'ils soient militaires stricto sensu, porteurs, le cas échéant, de projets propices au développement national ou, par déviation, sécuritaires, d'inspiration répressive, avec pour finalité le blocage de la dynamique politique dans la société. Dans tous les cas de figure, il faut ne faut pas souhaiter quel l'Algérie verse dans la deuxième catégorie. L'armée doit-elle, alors, accompagner un processus démocratique qui s'engage pour assurer sa protection ou doit-elle rester un corps inerte même lorsque ce processus est mis en danger ? Faut-il se résoudre à la deuxième solution juste par complexe vis-à-vis de constitutionnalistes occidentaux qui savent bien trouver, pourtant, la formule lorsqu'il s'agit de justifier l'irruption des forces armées de leurs pays sur la scène politique au moment ou leur nation est en situation de péril majeur ? Si l'objectif consiste à faire barrage contre une menace avérée sur les institutions ou à prémunir un éclatement du pays, l'armée n'est-elle pas fondée à intervenir, sous réserve de permettre au choix souverain du peuple de s'exprimer, aussitôt que les dangers évoqués auront été jugulés ? Ce serait faire preuve de candeur, en effet, que d'imaginer, ainsi que s'y commettait le distingué professeur Léon Duguit, que «la force armée puisse être une machine inconsciente». Il est probable, dans ces conditions, que l'ANP continuera d'être un acteur sur la scène nationale, à plus forte raison s'il s'agit de contribuer à la mise en place pérenne d'un modèle institutionnel d'essence démocratique. La possibilité de lui attribuer un rôle de garant de la Constitution est souvent évoqué. Ce raisonnement bute, cependant, sur deux écueils. Premier écueil, d'ordre philosophique. Comment justifier l'écart par rapport au principe sacro-saint de la souveraineté populaire ? N'est-ce pas là une tentative de détournement des choix populaires exprimées dans des scrutins qui seront libres ? Il ne faut, sans doute, plus songer, selon l'expression des plus impropres, à «éradiquer» le courant islamiste. Ni l'état d'éveil du peuple algérien ni le contexte international ne l'autorisent désormais. Il faut, au contraire, respecter le choix populaire en veillant, toutefois, à placer des garde-fous pour éviter l'instauration, par effraction, précisons bien par effraction, d'un Etat théocratique. Deuxième écueil d'ordre pratique. Comment s'assurer, dans pareil contexte, que l'armée s'en tienne à un rôle de garant absolument neutre, dans un statut qui, tout en rendant impossible son instrumentalisation à des fins partisanes étroites, comme cela fut le cas après l'interruption du processus électoral, ne lui permette pas, également, de s'emparer des leviers du pouvoir, pour son propre compte ? Peut-être faudrait-il s'orienter vers un rôle de garant qui cantonnerait sûrement l'armée algérienne dans un statut de stricte neutralité, c'est-à-dire, comme disent les juristes allemands, dans un statut qui la dessaisisse, de facto, de «la compétence de la compétence» selon la formule du juriste allemand Carl Schmitt ? L'armée ne pourrait pas s'autosaisir pour entrer sur scène, ce serait une instance constitutionnelle à définir, sans que cela ne soit forcément un Conseil de sécurité nationale où prédomineraient les membres militaires, formule, désormais, contestée même en Turquie. Cette solution doit faire l'objet d'examen sérieux pour éviter qu'elle ne conduise à des situations antagoniques avec le fonctionnement démocratique des institutions du pays.La réflexion autour de cette problématique essentielle pour le succès d'une vraie transition démocratique doit tenir compte de deux paramètres importants. Le premier se rapporte à l'état de déliquescence de la vie politique et associative en Algérie. Il n'existe pas, réellement, de partis politiques solidement structurés et profondément ancrés dans la société. Il n'existe pas de mouvement associatif efficace, puissamment inséré dans la vie de la société. Il existe, encore moins, des leaders charismatiques, déterminés et porteurs d'un vrai projet alternatif au système qui s'effondrerait. Il est clair qu'une éventuelle transition démocratique serait, dans ces conditions, menacée non pas tant par le mouvement islamiste agité comme un épouvantail que par la résistance de pôles agissants de l'ancien système qui résisteraient, avec l'énergie du désespoir, aux prolongements d'un soulèvement populaire victorieux. Ces considérations soulignent l'importance du mode d'attribution à l'armée de ce rôle de garant. Il ne suffit pas que ce statut soit prévu par la Constitution. Il est indispensable que, préalablement, il soit consigné dans un pacte politique fondé sur le plus large consensus national possible. L'armée algérienne recèle en son sein, en termes d'encadrement humain, le potentiel nécessaire qui lui permettrait de jouer ce rôle sans risque pour la démocratie. Elle renouerait, ainsi, avec un rôle qui la replacerait au service de la nation toute entière, pas d'une fraction de la nation. Un rôle qui aurait du être le sien, dès le commencement. En corollaire, cependant, la mobilité dans l'exercice des fonctions supérieures de responsabilité au sein de l'ANP doit être instaurée, selon les normes en usage dans les armées modernes. C'est un pré-requis nécessaire à la préservation de la cohésion de l'armée, celle-ci étant conditionnée par l'octroi de chances identiques à tous ses membres dans la promotion dans les grades et, subséquemment, dans l'accès aux postes de commandement. Il apparaît, à la lumière de toutes ces considérations, que le plus important, dans le contexte actuel, c'est de pouvoir entamer un véritable processus de démocratisation du pays, pas de tergiverser à propos d'une clause dérogatoire, toute temporaire, aux canons académiques des régimes démocratiques… Pour les deux situations évoquées, conduites face à un soulèvement populaire et statut et rôle dans un processus de transition démocratique, notons-le, les services de renseignement n'ont pas été évoqués. Ce n'est pas une étourderie, c'est une omission délibérée. La conjoncture interne ainsi que l'évolution de l'environnement international induisent un nouveau rapport de forces qui, désormais, place en demeure les services de renseignement de suivre, de gré ou de force, le propre positionnement l'armée. Il est possible d'affirmer, en conclusion, au risque de se répéter, que la nouvelle génération d'officiers qui accède aux commandes des unités de feu, et services de soutien logistique, de bonne formation supérieure, nourrit des aspirations qui portent, principalement, sur la modernisation de l'outil de défense, pourvu que les affaires du pays soient confiées à une équipe de gouvernance légitime et performante. L'état de sous-développement politique et social de l'Algérie ne semble pas, pour autant, devoir s'accommoder, pour le moment, d'une solution de sortie de crise conçue sans l'adhésion de l'institution militaire, surtout, si, à fortiori, elle est dirigée contre elle. Quelle est, autrement, la force politique organisée qui, aujourd'hui, pourrait garantir, sérieusement, le succès d'une transition démocratique à venir ? L'avenir démocratique de l'Algérie se construira avec l'adhésion de l'institution militaire, non par opposition à elle. Cette évidence, les hommes d'Etat porteurs d'un vrai projet national ne l'ignorent pas. L'Algérie est au seuil d'un tournant historique. Il serait puéril d'imaginer que le pays puisse continuer à occulter les contraintes du temps mondial et ignorer les exigences de démocratisation qui soufflent sur toute la planète. La mise en garde est valable pour tous les acteurs de la scène nationale. Il ne faudrait pas que l'armée soit la seule à en être convaincue. Pour scruter, dans ce contexte, ce que pourrait être l'avenir proche de l'Algérie, gardons la tête froide sans perdre la foi, en étant «pessimiste par l'intelligence et optimiste par la volonté», comme aimait à le répéter Antonio Gramsci.
M. C. M.
Lectures: 3


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