Le Maroc donne l'impression d'être prêt à toutes les options pour asseoir le fait accompli au Sahara Occidental. Un jeu malsain, dangereux se déroule dans la région. Le royaume tout entier est mobilisé dans une aventure aux conséquences incertaines. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Après les politiques, c'est au tour des autorités militaires marocaines de monter au créneau. Ces dernières ont annoncé en début de semaine avoir transmis des «messages clairs» en se livrant à des manœuvres «simulant une agression fictive et des opérations allant au-delà du mur de défense pour repousser l'ennemi et faire respecter les frontières du Maroc». En chœur, et citant des sources anonymes, les médias de ce pays ont fait savoir hier que ces messages s'adressaient au Front Polisario et à l'Algérie et que «toutes les options étaient désormais possibles». Cette presse a également été informée de la même manière que «ces opérations ont eu lieu du 22 mars au 9 avril» précédant ainsi de plusieurs semaines les manœuvres militaires algériennes «Déluge 2018» menées dans l'ouest du pays. Les commentaires et analyses qui avaient suivi ces opérations d'une envergure jamais égalée avaient été perçus par beaucoup comme étant une réponse aux attaques verbales violentes dont le pays fait régulièrement l'objet de la part du voisin de l'Ouest. Les précisions livrées par la revue des Forces armées royales (FAR) démontrent cependant que les Marocains ont été les premiers à s'être aventurés sur ce terrain hasardeux. Autre certitude : Mohammed VI met en avant toutes les cartes possibles pour démontrer qu'il est désormais prêt à tout. Fort du soutien que lui apportent les monarchies du Golfe, la Ligue arabe et l'OCI, le royaume a décidé de publier une telle information quelques heures seulement après la diffusion d'un communiqué onusien appelant «à la retenue, au respect du plan de paix et à la dernière résolution» invitant à la reprise du dialogue d'ici le mois d'octobre prochain. Beaucoup s'étaient interrogés sur l'opportunité de la publication d'une telle mise en garde, mais les nouveaux éléments apportés, par l'armée marocaine cette fois, suffisent à éclairer sur la question. Les Nations-Unies craignent un dérapage et tentent d'apaiser la situation. «Le Maroc, lui, obéit clairement à une démarche, un projet qu'il n'est pas seul à avoir mis sur pied», analyse un diplomate arabe qui suit de près l'évolution de la situation. «La rupture des relations avec l'Iran au moment où l'Arabie Saoudite se trouve en pleine guerre froide avec cet Etat, le soutien incroyable apporté par tous les pays du Golfe, la Ligue arabe et l'OCI dans cette situation, les gesticulations marocaines (saisir l'ONU pour accuser l'Algérie, demander une commission d'enquête dans les camps de réfugiés de Tindouf) prouvent bien l'existence d'une sorte de plan pour la région. Le monde est en pleine mutation, et certaines parties ont peut-être décidé de modifier la carte politique de la région ce qui exige un règlement rapide et définitif du dossier du Sahara Occidental. C'est en ce sens qu'il faut être prudent. Dans ce contexte, le Maroc, lui-même très affaibli et confronté à des contradictions internes énormes, n'est qu'un pion qui trouve cependant son compte dans ces évènements», ajoute cette source. Un dérapage est-il possible dans cette conjoncture ? En dépit des signes alarmants, de nombreux spécialistes du dossier s'accordent à mettre cette situation sur le compte d'une démarche visant à exercer un maximum de pression sur le Front Polisario et l'Algérie. Aidé par une partie du monde arabe, Mohammed VI «veut aller vite, il accentue la pression aidé par une partie du monde arabe». Des informations sûres indiquent que la première mouture de la résolution du Conseil de sécurité, appelant les pays observateurs et impliqués dans la résolution du conflit «l'Algérie en l'occurrence», est un texte soumis par l'Arabie Saoudite aux Nations-Unies. «La France qui est aussi un soutien inconditionnel du Maroc n'a fait qu'approuver», affirme-t-on. La Chine est intervenue pour mettre le holà accusant les Etats-Unis de vouloir imposer un texte «sans débat préalable». Des pays du Nord, tels que la Suède, ont pris le relais imposant un débat et remettant en cause tous les termes de la résolution défavorables au Front Polisario. C'est dans ce contexte qu'a été adoptée la décision de reconduire la Minurso (Mission des Nations-Unies pour le Sahara Occidental) pour une période de six mois et l'appel à la reprise des négociations. Le fait a provoqué un véritable déchaînement du Maroc qui avait la veille (de l'adoption de cette résolution) transmis une lettre au secrétaire général de l'ONU où l'Algérie était accusée de bloquer le processus de paix et indiquée comme étant la «partie devant s'asseoir à la table des négociations». Antonio Guteres ne s'est pas laissé prendre au piège. Mais il attire depuis fréquemment l'attention du Conseil de sécurité sur la situation en cours dans la région. Dépité, Mohammed VI tente depuis de s'attirer les faveurs de John Bolton, conseillé à la sécurité nationale de la Maison Blanche et partisan d'un référendum au Sahara Occidental afin d'inverser la vapeur. Il est aidé par le prince Mohamed Ben Salmane plus proche que jamais de Jared Kuschner époux d'Ivanka Trump, la fille du président des Etats-Unis. Conseillé très proche de Trump, celui-ci a également soutenu la mouture du texte présenté par l'Arabie Saoudite au Conseil de sécurité. «Les enjeux sont de taille, les pressions très fortes, mais le Maroc sait aussi qu'il a tout à perdre s'il décide de s'engager sur le terrain militaire», soutiennent des sources bien informées. D'autres spécialistes soutiennent eux l'inverse. «Le roi est acculé, il ne peut pas échapper aux négociations, ce n'est pas l'Algérie qu'il aura face à lui pour discuter, mais le Front Polisario, il a échoué sur tous les plans puisque les Nations-Unies viennent aussi de déclarer que les localités Tifariti et Bir Lahlou ne font pas partie de la zone tampon et que les Sahraouis peuvent, par conséquent, mener toutes les festivités militaires qu'ils entendent. Ces échecs peuvent provoquer un grand retournement de situation contre lui au Maroc où il souffre déjà d'un grand manque de crédibilité. Il peut parfaitement aller plus loin, un dérapage n'est pas à exclure.» A. C.