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Les véritables raisons d'une déflagration programmée - 2e partie
OCTOBRE 198- OCTOBRE 2018
Publié dans Le Soir d'Algérie le 06 - 10 - 2018


Par Kamel Bouchama, auteur
Les problèmes de tous les jours commençaient à prendre de l'ampleur. On les dissimulait par des décisions tonitruantes, par des promesses rassurantes et par ces fameuses «réformes» que personne ne comprenait. Le peuple attendait du concret. Au cours de la même période, des mesures impopulaires ont été prises comme l'augmentation des impôts et des prix des produits de large consommation. Il y a eu également la création de situations conflictuelles chez les enseignants. À cette ambiance, qui était loin d'être encourageante, s'ajoutaient des rumeurs de partout, de l'intox, touchant même le Président et sa famille. Cela ne pouvait que faire sombrer le pays dans l'agitation et le peuple dans une incroyable démobilisation, déjà que ce dernier, livré à lui-même, ne croyait plus en rien. Notre position au «rouge» était bien suivie de «l'extérieur» qui, pour mieux nous aider à faire le saut dans l'inconnu, a travaillé convenablement avec ses représentants locaux de toujours pour nous confiner dans une très mauvaise posture. Des forces se sont liguées contre nous, pour que nous mettions le genou à terre et ravalions notre fierté légendaire. L'état de délabrement que nous avons connu nous tente d'affirmer ce que nous avançons. Aussi, il est plus évident de pencher vers cette hypothèse et de la compléter par le fait qu'il y a le FLN, l'ennemi historique pour les uns et le gêneur pour les autres, qu'il y avait, il fut un temps en Algérie, des positions claires pour ce qui était de la construction du Maghreb, des positions indéfectibles à l'endroit de nos frères palestiniens, des relations avec le monde arabe et le désir profond d'en faire un cadre approprié pour créer un climat de confiance mutuelle et instaurer des bases pour la coordination et la coopération multiforme. C'est ce qui a déplu certainement et ne pouvait plaire à ceux qui voulaient diriger le monde, ceux-là qui étaient exaspérés, il y a bien longtemps, par notre comportement à l'égard des causes justes de par le monde et notamment par notre lutte pour l'émancipation du Tiers Monde. Allaient-ils oublier de sitôt notre soutien à Cuba, au Chili, au Nicaragua, au Viêt Nam, au Laos, au Cambodge, à l'Angola, au Mozambique, à la Guinée-Bissau, à la Palestine, au Liban et à d'autres pays qui souffraient sous l'emprise impérialo-colonialiste ? Mais, malgré ces menaces sourdes qui provenaient de l'extérieur, l'Algérie s'exprimait avec la même conviction d'antan, tout en sachant que son chemin n'était pas parsemé de roses. Elle disait concernant la région : «Bien sûr, les échecs enregistrés ici et là n'ont jamais altéré les convictions maghrébines du peuple algérien, ni fait vaciller sa volonté d'œuvrer à l'unité du Maghreb. Déception et avatars de l'union ont cependant contribué à créer une autre vision des problèmes de l'unité, entre autres, sur deux vertus essentielles de nos jours, le réalisme et la persévérance. L'édifice maghrébin mérite en effet d'intenses et inlassables efforts, mais il suppose aussi un sens aigu des réalités et une appréciation objective des difficultés et problèmes inhérents à une tâche de cette ampleur.» Mais revenons à l'intérieur où une autre donnée affirmait indubitablement ces divisions au sein de la classe dirigeante. C'était la préparation du 6e Congrès du FLN, où l'on appréhendait un durcissement de ton de la part des militants vis-à-vis des responsables au sein du pouvoir. Cela se comprenait aisément, si pareille action allait s'accomplir, parce que la base qui, au regard d'une situation caractérisée par un marasme qui prenait de l'ampleur et des confrontations entre dirigeants qui s'attaquaient mutuellement en public, a vite choisi son camp dans ce clivage qui se dessinait naturellement. Ce sont là des aspects négatifs qui démontrent le malaise, et auxquels vont s'ajouter, plus tard, d'autres aspects encore plus graves qui vont créer la situation d'Octobre, dont les effets, jusque-là impensables, ont fait de l'Algérie, en l'espace de quelques jours, un pays en pleine turbulence, après une stabilité – non sans problème – de plus de trente années. Le secrétariat permanent du Comité central ne cessait d'attirer l'attention de l'Etat sur ce qui commençait à apparaître comme un mauvais présage pour le pays. Des chaînes interminables se formaient tous les jours devant les magasins et les grandes surfaces. Spectacle insolite pour l'Algérie. On faisait la chaîne pour le pain, on se croyait quelque part, dans un pays de l'Est où la moindre denrée ne s'achetait qu'après une longue attente, dans des chaînes obéissantes. Les produits se faisaient de plus en plus rares, et la cherté surprenait notre train de vie, rendant difficile et inopérant le pouvoir d'achat des ménages qui, déjà, n'obéissait à aucune règle censée. Ailleurs, dans les cercles officiels, les discours ronronnaient dans la démagogie la plus vile, voire dans le mensonge, et d'aucuns parmi les hauts responsables ignoraient le climat qui devenait de plus en plus hostile à toute forme de respect envers tout ce qui émane de l'Etat. Le ras-le-bol était perceptible. Le peuple bouillonnait d'impatience et de colère. Ainsi, arrivé à un point de non-retour, il manifestait ostensiblement son mécontentement et son indignation. Cela ressemblait à des avertissements, voire même à des menaces dans certains cas, surtout au niveau des jeunes qui exhibaient leur malaise en des scènes de violence, notamment dans les stades. Les responsables, incorrigibles dans leur béate assurance, voyaient en cette turbulence un excès d'énergie et mettaient cela sur le compte du football, ce sport de toutes les passions. Ils feignaient de ne pas comprendre que ces jeunes transportaient leur mal-vie au stade, même quand ils savaient que ceux-là insultaient, ouvertement, tout le monde, scandaient des slogans minutieusement préparés, entonnaient des chansons légères, mais entraînantes et profondes de signification. En cette période précisément, le FLN lançait une campagne en profondeur dans toutes les structures de base pour toucher les quartiers, car c'est à ce niveau que pouvait jaillir la première étincelle. Il appréhendait le danger et souhaitait prévenir le mal par tous les moyens ou, à tout le moins, l'atténuer, puisqu'il était conscient qu'une explosion serait d'un grave préjudice pour le pays. Mais tout en engageant cette campagne, il ne pensait sincèrement pas qu'on en arriverait à cette solution extrême et que le mécontentement général qui s'installait à tous les niveaux présentait des signes précurseurs d'une gravité inhabituelle et annonçait le début d'une crise sérieuse. Et comment, puisque les ménages n'en pouvaient plus, le couffin devenait de plus en plus cher, et le mal s'exposait visiblement, en sa bonne place, comme pour accentuer les problèmes et prêter le flanc à toutes les crises, notamment celle du logement —dont toute une génération a été victime — et dont les causes sont les effets de la démographie galopante. L'été 88 a été le début de la contestation ouverte au moment où s'accentuait la crise économique et sociale. Les autres crises, gouvernementale et parlementaire, sont survenues après la déflagration de l'automne. L'on sentait bizarrement, au cours de cet été, qu'il n'y avait plus d'Etat. Cette vacance se lisait partout et les vacances scolaires, habituellement une bonne occasion pour se régénérer, ont été par contre, pour les jeunes, le théâtre d'agissements qui expliquaient le mal profond auquel était parvenu notre si beau pays et auguraient un avenir sombre et difficile. L'exaspération était à son comble. Les responsables n'ont dit mot. Les chantres du régime, d'ordinaire bruyants, exubérants et occupant avec des délices narcissiques l'écran de la télévision, se sont terrés. Le peuple pensait au consentement des politiques à l'égard de ce pourrissement et allait jusqu'à croire qu'il y avait complicité quelque part, plutôt dans les hautes sphères qu'ailleurs. Les journaux, d'habitude alignés sur une orientation qui ne leur laissait aucune initiative pour s'exprimer librement, se sont lancés dans la critique, en tirant la sonnette d'alarme. Hormis certains qui soutenaient dans une mécanique répétitive et ridicule, que le pouvoir était dans la juste ligne, se mettant ainsi «un doigt dans l'œil» et pratiquant la politique de l'autruche, d'autres se sont départis du style «langue de bois» pour commencer à être enfin eux-mêmes, c'est-à-dire des journalistes qui n'obéissaient qu'à leur conscience. Ils n'étaient pas encore nombreux parce qu'ils ne savaient pas sur quel récif allait échouer le bateau. Le Président était absent. Aucune déclaration, aucune apparition en public. Tout le monde, responsables et citoyens, se demandaient où est-ce qu'il pouvait être. C'est vrai qu'il était assidu au niveau de ses vacances qu'il a toujours considérées comme nécessaires et indispensables, mais de là à ne pas les interrompre pour des raisons aussi graves, il y avait de quoi se poser des questions et s'inquiéter sérieusement. Le peuple se sentait orphelin. Il était livré, pieds et poings liés au marché illicite et au trafic de tout genre. Quelle triste et sincère description de ce vieil homme que j'ai pris, dans un arrêt de bus, pour lui éviter la bousculade. Il me disait, pendant que je l'accompagnais au centre-ville, d'un air si lointain et combien mélancolique : «Nous vivons une période très difficile, mon fils. Tout est devenu si cher alors que l'homme n'a aucune valeur.» L'inflation prenait des proportions insoutenables. Les prix des produits grimpaient de jour en jour comme du temps de la prohibition. Les ménagères accouraient lorsqu'un produit «montrait» le nez, elles l'achetaient en quantité suffisante car demain qui sait, il serait plus cher et sûrement introuvable. Le «trabendo», nouveau terme dans notre jargon pour désigner, dans la même formule, un genre de marché noir, s'incrustait dans nos pratiques de tous les jours et gagnait du terrain pour élire domicile dans la rue, au vu et au su
des services de sécurité qui semblaient être complaisants ou à la limite désarmés par l'ampleur de ce fléau. Tout se vendait dans ce circuit parallèle, échappant à toute réglementation fiscale, «de l'aiguille à l'avion», comme dirait l'autre. La quincaillerie et la friperie du monde entier étaient là, dans le pays, comme pour nous rappeler que, malgré des frontières hermétiques, des affaires mirobolantes, impensables — il y a quelques années — se traitaient en toute impunité à cause de l'indifférence, si ce n'était pas avec l'assentiment, des services responsables de la régulation de ce genre de commerce. L'argent du trafic, du vol et du gain facile n'avait pas de couleur, ni d'odeur et la volonté de ceux qui s'y employaient était la plus forte. C'est dire que la puissance se trouvait du côté des affairistes et des malpropres. Le change parallèle se pratiquait partout, normalement. La devise étrangère se monnayait comme n'importe quelle marchandise, souvent dans les rues des grandes villes. Le taux fluctuait, toujours à la hausse, selon que l'inflation augmentait et que les taxes pratiquées par la douane devenaient plus contraignantes. Les banques, dans tout cela, étaient en dehors de la course car elles ne servaient que pour des opérations domestiques, comme les retraits ou les ouvertures de crédit. La marchandise «d'ailleurs» se vendait au prix de la devise auquel on ajoutait de facto un forfait pour le transport et une marge insoutenable de bénéfice. Cette marchandise n'était pas forcément meilleure que celle que fabriquaient nos usines ou nos ateliers. Elle devenait meilleure à cause de notre complexe vis-àvis de l'étranger. Une «Bourse» informelle réglementait toutes ces transactions au préjudice grave du Trésor public qui était dans l'impuissance totale devant l'ampleur de cette véritable économie parallèle. Donc, cette dernière faisait sa loi et le «trabendo» s'amplifiait pour suppléer à une insuffisance de marchandises qui devaient être produites par les entreprises de l'Etat. C'est ainsi que sont nées quelques expressions dans la rue, expressions auxquelles nous nous étions habitués et qui distinguaient malheureusement un Etat sérieux d'un autre vivant le désordre et la confusion. Le terme «trabendiste » était sur toutes les lèvres, même dans les écrits et plus tard, dans une déclaration officielle du chef de l'Etat. La température montait considérablement.
Les responsables qui ont suivi cette ascension de l'exaspération populaire ne pouvaient rien faire pour rectifier ou atténuer un peu les difficultés tellement les choses allaient très mal. Le vase s'était brisé, il leur était impossible de le recoller. Le FLN, en évaluant la situation, comprenait qu'après les campagnes qu'il avait menées, sans résultat d'ailleurs — le mal étant plus profond —, il ne restait plus que l'intervention directe du président de la République. Cette intervention se voulait être la présentation courageuse d'un programme minimum, urgent et à la portée de l'Etat, un programme qui, s'il ne pourrait redresser toute la situation, garantirait à tout le moins la solution des grands problèmes. Un message à la nation était également nécessaire dans ce contexte exacerbé. Par ailleurs, dans l'administration, la bureaucratie, l'indifférence et le laisser-aller emboîtaient le pas à l'arrogance de ses agents. Tout marchait de travers et le citoyen se trouvait affreusement ballotté entre les problèmes quotidiens du marché et ceux de la mairie, de la poste ou des contributions où tout lui semblait rebutant. Au niveau de l'appareil productif, la situation n'était pas meilleure. Au contraire, tout le danger venait de ce secteur, parce qu'il ne produisait pas selon les besoins du pays et parce qu'il recelait toutes les contradictions qui se répercutaient en mal sur l'économie nationale. La preuve est qu'à l'issue de tous les Conseils des ministres — pendant les années 80 —, un point revenait en permanence : «la restructuration financière des entreprises». Et vas-y, mets-les sous perfusion ! Nous avons ingurgité des centaines, voire des milliers de milliards dans le mensonge..., c'est-à-dire dans des entreprises qui étaient, au départ, vouées à l'échec. C'était comme si on donnait des masques à oxygène à des morts. Malheureusement ! C'était là l'aspect le plus négatif de la crise car un pays qui ne produit pas et qui vit d'importations ne peut avoir de moyens pour imposer sa politique ou tout simplement une conduite au niveau de son peuple, à moins d'utiliser la force et la dictature. Mais dans notre cas, ni l'une ni l'autre n'ont été employées, c'est-à-dire ni l'instauration d'une meilleure conduite ni l'utilisation de la solution extrême et, ainsi, la déperdition augmentait pour déboucher sur un marasme généralisé. Les règles du jeu étant absentes, l'improvisation gagnait du terrain et se renvoyait conséquemment sur le système déjà quasi inopérant. Les chefs d'entreprise sur lesquels reposait toute la responsabilité de la gestion de notre économie ne se souciaient guère, pour la plupart, des résultats qui avaient le «mérite» d'être identiques partout. Cependant quand une entreprise «bousculait la tradition» parce qu'elle était sur le chemin de la réussite, cela semblait bizarre aux yeux de tous, tellement nous étions habitués à cette malheureuse sanction du déficit. Les remarques du président, émises lors des deux précédentes conférences sur le développement, celle de l'année 1986 et surtout celle de 1987, se confirmaient sur le terrain. Pis encore, d'autres secteurs de l'économie suivaient dans l'abandon pour illustrer ce climat de danger, jamais atteint auparavant, même pendant les moments les plus difficiles. Les gestionnaires se trouvaient des excuses et, derrière la complexité des problèmes, accusaient l'interdépendance à travers laquelle ils ne trouvaient plus d'issue. Ils dénonçaient le manque de moyens et de matières premières et enfin motivaient la faiblesse de la production et de la productivité par une série de raisons qui, en toute logique, n'étaient plus convaincantes. L'économie nationale souffrait d'un mal incommensurable et des répercussions néfastes allaient toucher directement le citoyen qui, pris en étau, entre la faiblesse d'un pouvoir et la dégradation du climat social, se démobilisait et perdait tout espoir d'atteindre cet idéal qu'il avait longtemps caressé. Jamais dans l'histoire de l'Algérie, depuis l'indépendance, nous n'avons enregistré cette vague de mécontentements. Jamais les gens n'étaient aussi déçus. Les travailleurs ont débrayé, dans les secteurs stratégiques, et se sont lancés dans une diatribe à l'encontre d'un pouvoir qui ne tenait plus compte de leurs doléances. En guise de réponse aux différentes directions et aux instances politiques, ils ont exhibé des couffins vides, symbole d'un pouvoir d'achat en deçà de la décence et d'un salaire en deçà du seuil de la pauvreté. Ces grèves pleines de revendications venaient à point nommé pour réveiller les esprits et dénoncer, à pleins poumons, l'écart énorme et les disparités flagrantes qui s'installaient dans le pays, créant ainsi des contradictions insupportables dans un système qui était censé rejeter fermement l'instauration des classes de privilégiés et de défavorisés, par fidélité aux idéaux de Novembre. Le 19 septembre 1988, le président sortait de sa réserve. Il s'exprimait enfin, suite à cette pression populaire et, bien entendu sur insistance du FLN, dont il était son secrétaire général. Son discours se voulait un message pour la rentrée gouvernementale si ce n'était le ton et le contenu qui faisaient étalage d'une grande amertume et démontraient tout le danger qui nous guettait si l'on ne prenait pas les choses au sérieux. Le citoyen, en suivant ce discours, ne pouvait qu'applaudir la franchise avec laquelle le Président s'exprimait devant un parterre de responsables et de hauts dirigeants du pays. L'allocution lui était destinée également puisqu'elle a été retransmise dans son intégralité par les médias audiovisuels. Les militants par contre sentaient le danger imminent qui nous guettait car certaines pointes de colère dans le message du chef de l'Etat dévoilaient toute l'impuissance du pouvoir à juguler la crise qui nous tombait sur la tête ou que nous avons peut-être si «adroitement arrangée». Dans un style plein de ressentiments, le Président parlait des résultats non probants que nous avons enregistrés malgré, disait-il, tant d'années de labeur et de sacrifice. Il venait de faire, dans un langage inhabituel, une autocritique sérieuse du système. Il terminait par l'inévitable recommandation qui voulait que «si tous les cadres et les militants ne se ressaisissent pas pour annihiler les menaces de la crise, il y aurait des suites plus que dangereuses». À partir de là, on comprenait que le Président cherchait une échappatoire pour se disculper d'une éventuelle condamnation et mettre le poids de la responsabilité sur tous les cadres qui ont montré de piètres figures dans leur gestion. Il dénonçait d'ailleurs les secteurs du gouvernement, parlait de la passivité du FLN et donnait l'exemple des campagnes que ce dernier avait organisées, campagnes qui, d'après lui, plutôt d'après les génies malfaisants qui l'entouraient, contrecarraient les réformes en cours. Dans ce discours alibi, tout le monde a été jugé, chacun a eu sa part de réprimande. Dehors, chez le profane, ce discours qui venait déjà en retard, présentait un président seul, face à une montagne de problèmes. Dans les milieux responsables, chez ceux qui connaissaient véritablement le fonctionnement de l'Etat, on se demandait d'abord pourquoi impliquer le FLN puisqu'il était le seul à avoir attiré son attention et celle des services publics pour une intervention sérieuse et rapide afin de dissiper les contradictions et les problèmes créés par des inconscients. Ensuite, on s'interrogeait, pourquoi a-t-il sermonné le gouvernement puisqu'il en était le premier responsable et qu'aucune décision ne se prenait sans son consentement? Mieux vaut dire plutôt, comme déjà souligné, que des forces occultes le conseillaient et qu'elles le conseillaient très mal, sinon pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation ? Le FLN, tout le monde le sait, n'a jamais eu la responsabilité de la gestion proprement dite, et le gouvernement gérait des programmes dûment établis, étudiés et arrêtés en Conseil des ministres, donc des programmes de tout un collectif de hauts responsables qui ne pouvaient se tromper ou agir sciemment pour impliquer le pays dans une crise dangereuse. Et c'est justement ceux-là que le Président montrait du doigt lors de son intervention. C'est peut-être le résultat de ces mauvais conseils, comme d'habitude. Il fallait trouver des lampistes et non les véritables destructeurs qui, eux, continuaient leur œuvre, impunément. Le syndicat, dans son appel, exhortait les travailleurs à assurer le succès des réformes et dénonçait en même temps les véritables responsables. Il disait dans un communiqué : «En application des orientations présidentielles et au regard de l'évolution des choses et de la situation, l'UGTA demande que toutes les responsabilités soient situées, à quelque niveau que ce soit, pour identifier et sanctionner tous ceux qui sont véritablement et directement à l'origine de la situation vécue présentement dans certains secteurs de l'activité économique nationale d'une manière particulière et de tous ceux qui sont à l'origine des déviations, de l'immobilisme et de la dégradation de la vie en société d'une manière générale.» El Moudjahid écrivait dans son éditorial pendant la même période : «Ceux-là ne sont, certes, ni les travailleurs, qui n'épargnent pas leur sueur ni les cadres honnêtes qui rivalisent de diligence et de créativité par amour de l'ouvrage bien fait. Ceux-là sont notamment une frange de ‘'rentiers'', d'incapables et d'inutiles, à divers échelons dans les appareils ou hors des appareils, qui s'étaient accoutumés à user et abuser de leur position à vivre du ‘'coup de tampon'' accordé en contrepartie d'un privilège ou l'autorisation rémunérée par un ‘'service''. L'application des réformes met à nu leur inanité, leur nocivité par le fait même qu'elle impose un système où seul l'effort fécond est rétribué. Comment n'en seraient-ils pas incommodés ? Comment ne tenteraient-ils pas d'y résister ?» C'est de ceux-là que l'Algérie souffrait. Elle
souffrait de ces cadres et de ces gestionnaires malhonnêtes qui ont grippé la machine et freiné l'élan de notre économie qui avait pourtant l'avantage de ses moyens matériels et de ses potentialités humaines. Ce sont ceux-là qui n'ont pas su manager les nouvelles règles économiques, prônées par eux et entamées en début d'année 1988 qui devaient instaurer une dynamique dans le sens le plus large du terme. Ce sont ceux-là qui n'ont pas su marcher de pair avec ces nouvelles règles qui allaient créer, pour notre bien, un véritable bouleversement qui devait nous faire passer de la mentalité «d'assistés», avec laquelle nous avons vécu longtemps, à une société performante pleine de savoir-faire et d'efficacité. Malheureusement les stimulants pour le changement n'ont pas trouvé d'oreilles attentives, surtout chez les décideurs, encore une fois, et ainsi l'été de cette même année a été le théâtre de l'approfondissement de la crise qui devait toucher le gouvernement, le Parlement ainsi que les domaines économique, social et culturel. Dans ce climat, la rentrée s'est faite lamentablement et les premiers signes d'un bouleversement ont été, hélas, confirmés par ce fameux discours prémonitoire de septembre. Le 4 octobre 1988 au soir, la télévision algérienne transmettait les images de la visite du chef de l'Etat à Médéa. On sentait comme des anomalies dans la retransmission qui, d'habitude, affichait de la perfection. Etions-nous seulement conditionnés par les rumeurs folles qui circulaient déjà ? Vraiment on s'imaginait, dans ce climat électrisé que nous vivions, que les prises de vue étaient truquées. On entendait les cris et les slogans de bienvenue, réservés à l'accueil du Président, mais il nous semblait que les bouches étaient fermées et les visages crispés. On a eu cette impression. Et si ce n'était vrai, c'est dire à quel point nous étions désespérément condamnés à vivre de rumeurs et d'intox. Quelque part chez les travailleurs de Rouiba, rien n'allait pour le mieux. Leur nombre impressionnant ne devait, en principe, laisser personne insensible à leur mouvement de grève. Mais le comble dans tout cela, c'est qu'on savait que ces troubles allaient intervenir. On savait qu'il y avait des blocages, des grèves, des manifestations et peut-être même du sabotage. Pourquoi l'on ne s'est pas préparé à prendre en charge et à contrecarrer ces phénomènes, par des solutions radicales et, à la limite, convaincantes, tant qu'on possédait encore le contrôle et les moyens ? Le Président en a parlé pourtant dans son message à la nation : «L'organisation économique (nouvelle) développée ne gêne en réalité que les intérêts de ceux qui s'accommodent de la stagnation, de ceux qui en tirent des profits occultes ou avoués et même de ceux qui craignent de voir leur immobilisme dénoncé. Pour ces raisons, nous avons conscience que ceux-là tenteront vainement d'en retarder l'échéance et de faire obstacle à la clarification des responsabilités.» Mais on savait tout cela, et la question qui se pose aujourd'hui est la suivante : qui voulait la perte de l'Algérie, de ses valeurs, de son prestige, de son Histoire ? Pourquoi s'est-on acharné contre elle de cette manière ?
K. B.
(A suivre)


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