L'Inde est la sixième puissance économique mondiale et dépasse désormais la France depuis le 11 juillet 2018, date de ce tournant par la Banque mondiale. Profitant d'une forte croissance annuelle de plus de 7%, l'Inde a ainsi atteint un PIB de 2 597 milliards de dollars en 2017 contre 2 582 milliards pour la France. En l'espace de dix ans, l'Inde a doublé son PIB. Une étude du Centre for Economics and Business Research, un cabinet de consultants basé à Londres, a prédit en décembre 2017 que l'Inde supplanterait le Royaume-Uni et la France pour devenir la cinquième économie mondiale dès 2018, et qu'elle briguerait la troisième place en 2032. Elle pourrait même prétendre à la seconde place en 2040 si l'on croit Samir Saran, président de l'Observer Research Foundation (ORF), pour peu qu'elle s'astreigne à une conduite qui valorise quatre atouts.(*) Dans le paysage géostratégique multipolaire qui se dessine, l'Inde pourrait se positionner «comme la démocratie la plus influente du monde dans la seconde moitié du XXIe siècle, en se donnant la capacité de façonner la région indo-pacifique et l'ordre mondial en évolution dynamique». L'Inde perçoit la région indo-pacifique comme celle dont le cours des développements influencera «le destin du monde». Le Premier ministre indien Narendra Modi en est convaincu : ces développements offriront à son pays «des opportunités économiques croissantes et des défis stratégiques croissants». L'Indo-Pacifique abrite aujourd'hui plus de 65% de la population mondiale qui produisent collectivement plus de 60% du PIB mondial. Plus de la moitié du commerce mondial traverse cette région et abrite l'armada la plus dynamique de flottes navales avec sept puissances nucléaires. La redistribution de la richesse et du pouvoir escomptée propulsera sous peu cette région «à la haute table mondiale, position qu'elle a longtemps jouée jusqu'au XVe siècle, la multiplicité des acteurs anciens et émergents et leurs intérêts variés dans la région et au-delà suscitent une plus grande imprévisibilité et nouvelles angoisses». La perspective de l'avènement simultané «de multiples acteurs et intérêts dans une région» est inédite dans l'histoire du monde. La Chine, mais aussi l'Inde, les Etats-Unis, le Japon et l'Australie, tous aspirent à peser sur l'avenir de la région. Comme puissance économique émergente disposant de conditions démographiques favorables — en 2020, l'âge moyen en Inde sera de 29 ans (contre 37 en Chine)— l'Inde est bien placée pour «façonner» cet avenir de la région. Opposée aux ambitions chinoises de prendre la direction du monde, «l'Inde se positionne pour prendre un chemin différent — celui qui ne voit pas le monde dans les binaires, bifurqué entre les partenaires et les alliés d'un côté, et les concurrents et les adversaires de l'autre». Elle soutient offrir «une opportunité d'engagement et de dialogue à tous les Etats, grands et petits, démocratiques et autoritaires, avancés ou en développement». Pour New Delhi, cette «nouvelle configuration d'Etats, guidée par des communautés qui aspirent au développement» s'éloigne des conceptions du non-alignement ou de l'autonomie stratégique comme outils de la politique étrangère. Ses maîtres-mots sont : «Les tendances démocratiques asiatiques, une gouvernance économique ouverte et transparente et des paradigmes de sécurité non interventionnistes.» Le rôle que pourrait jouer l'Inde est tributaire de «quatre relations clés», estime Samir Saran. S'agissant de la relation avec Pékin, il ne suffit pas pour Modi – le Premier ministre indien — de dire qu'aucune nation ne peut unilatéralement «façonner et sécuriser» l'ordre indo-pacifique ou qu'une «éthique asiatique ne peut pas être écrite par la seule Chine» ; il lui reste à définir sa «politique chinoise», que ce soit en matière de connectivité de l'infrastructure ou de gestion des conflits de sécurité. A défaut de leadership chinois, il lui reste à préciser les concours et la force du partenariat Inde-Chine. En direction de Washington, «New Delhi devrait élaborer une politique claire à l'égard des Etats-Unis (…) L'Inde doit répondre si elle est prête, désireuse et capable de jouer un plus grand rôle dans la définition d'une vision pour le concert des démocraties dans la région et au-delà». Concernant les relations régionales, New Delhi doit «repenser son engagement avec ses voisins, en particulier autour de deux architectures régionales existantes. L'Association sud-asiatique de coopération régionale (SAARC), un syndicat de huit membres destiné à promouvoir l'intégration économique et régionale, est en lambeaux. L'Initiative du Bay of Bengal pour la coopération technique et économique multisectorielle (Bimstec), une organisation de sept membres destinée à promouvoir la coopération économique et le commerce, est devenue un forum de discussions plutôt que d'action.» Enfin, au plan international, Delhi est invitée à «s'engager plus vigoureusement dans le cadre institutionnel mondial». «La vision indo-pacifique de l'Inde illustre son ambition d'être une «puissance dirigeante.» Même ainsi, ce n'est que le début d'un voyage décennal, qui verra l'Inde répondre aux attentes de la plus grande économie démocratique du monde». A. B. (*) The Indo-Pacific region currently houses 65% of the world's population. Samir Saran, India's future as a world power depends on 4 key relationship, World Economic Forum, juillet 2018, https://www.weforum.org/agenda/2018/07/india-power-democratic-geostrategic-relationships/