Il est des poésies du melhoun qui attendrissent les cœurs et les rendent accessibles à toute démarche de réconciliation pour un retour à la normale entre un mari et son épouse. Et, parmi ces poésies, il y a une célèbre qacida, que les férus du chant chaâbi affectionnent tout particulièrement, elle s'appelle «Fadhila». Elle a été écrite par le poète Dris Benali Al-Hnach Al-Senani le 8 décembre 1885, sur commande du sultan Hassan 1er qui, selon le livre El I'lam de son auteur Al-Abbas Ibn Ibrahim, éprouva un grand chagrin en raison d'un conflit conjugal entre sa sœur, dénommée Fadhila, et le mari de cette dernière, le savant Moulay El-Kamal El-Marani. Cette qacida, qui a pour refrain «Qoulou leghzali ettayha», a pu faire revenir à de meilleurs sentiments la sœur du sultan après avoir pris connaissance des émouvantes paroles de cette poésie, intitulée à juste titre «Fadhila». Après avoir fondu en larmes et reconnu son tort, elle revint illico presto à son foyer conjugal, regrettant amèrement de l'avoir quitté une année durant. En récompense à ce prodigieux élan oratoire, le sultan offrit au poète Dris Benali 100 mithqâl ou l'équivalent de 425 grammes d'or. Le poète, qui parle au nom de l'infortuné mari, va, par personne interposée, supplier l'épouse pour qu'elle soit sensible à son cri de détresse et, surtout, d'être indulgente envers lui. Dans cette ode à l'apparence d'une complainte, il lui dira, non sans omettre de vanter sa beauté : Qûlû leghzâli ettâyha rûfi, ‘alâch dh'el djfa a'âtfi ‘alâ lekhlil, malek ‘alâ larsam ghafla, ya mechmoum lebnat leghzal Fadhila Dites à ma gazelle, l'éperdue, d'être compatissante Pourquoi cette froideur, sois douce envers l'ami Que t'est-il arrivé pour déserter la demeure O toi la plus belle des filles, ô gazelle Fadhila. Ne s'arrêtant pas à ces lamentations, le pauvre mari va, dans sa supplique, lui décrire la souffrance qui l'a fragilisé jusqu'à lui causer de graves préjudices sur sa santé car il n'a pu admettre une séparation qui n'a fait que trop durer. Nar djmar el houb châ'ala beldhaha fe smim mouhdjti ma liha tahwil Beriah ettihane châ'ala ma tetfiha bhoûr we mtâr htîla. Le feu de la séparation brûle mes entrailles et ne me quitte point. Les vents de l'égarement l'attisent tellement fort que ni les eaux de mer, encore moins les averses n'arrivent à l'éteindre. Elle m'a laissé tout en flammes, perdu, désemparé, sans patience et je vacille sans le moindre souffle. L'âme, par le désarroi, s'est embourbée et le corps, devenu telle une ombre, s'est aminci. L'affligé, ne sachant plus où donner de la tête, va errer comme un affolé avant de se rappeler que son sauveur n'est autre que le médecin des gens de la passion que les poètes appellent subtilement tbib ahl el ghram. Il est le seul à même de lui trouver l'électuaire qui le sauvera d'un effondrement certain. Selt tbib ahl el ghram bech enbered nari we bech yabri djesmi la'alil Men dh'el ghoumma el hayla meyez hali ou char belfadh djzilâ J'ai interrogé le médecin des gens de la passion afin qu'il atténue ma flamme et guérisse mon corps malade. Face à mon énorme étourdissement, il a examiné mon état et m'a répondu par de brèves paroles. Le conseil du médecin est catégorique. Sans détour, il lui prodigua la panacée qui le guérira de son mal, surtout qu'aucun autre médecin, aussi perspicace soit-il, ne saura dispenser à un affligé comme lui le remède escompté. Son traitement, il le lui fera savoir par des propositions bien conçues, lesquelles se résument dans l'humilité dont il doit savamment faire preuve et la patience qui, somme toute, sera son moyen expédient pour venir à bout de son mal. Qal etba'ahâ bel msâ'afa wet'aleq bewsayl esbar we etta'â we etemhil. Il lui dit : va avec elle en douceur et accroche-toi par le moyen de la patience, de l'obéissance et de l'affabilité. Et c'est comme ça que Fadhila, sensible à cette galante courtoisie, s'est résolue de revenir à son foyer pour vivre, aux côtés de son mari, le savant Moulay El-Kamal El-Marani, des jours de bonheur et de bonne fortune. Son frère, le sultan Hassan 1er, a, quant à lui, réussi à démêler l'écheveau d'une querelle conjugale grâce à la somptueuse qacida du poète Dris Benali Al-hnach Al-Senani. M. Belarbi