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De la razzia de 1962 à l'effet Sénèque
DISSIDENCES DE MOHAMED KACIMI
Publié dans Le Soir d'Algérie le 21 - 11 - 2019

Mohamed Kacimi est un intellectuel doublé d'un acteur culturel réellement atypique et singulier. La lecture de son dernier livre — des chroniques dédiées au Hirak — est l'occasion de mieux connaître cet artiste libre qui aime penser «en dehors des clous».
C'est d'abord un homme à plusieurs casquettes : écrivain, dramaturge, romancier, poète, essayiste, chroniqueur, journaliste, traducteur, animation d'ateliers d'écriture, participation à des documentaires et émissions de télévision... Le lecteur peut d'ailleurs découvrir une courte biographie en quatrième de couverture : «Mohamed Kacimi, né en 1955 à la zaouïa d'El-Hamel (Algérie), vit à Paris. Il a publié des romans, des essais et des pièces de théâtre, dont 1962 chez Actes Sud-Papiers en 1998, La confession d'Abraham chez Gallimard en 2001, Terre sainte à l'Avant-Scène en 2007, L'Orient après l'amour, Actes Sud en 2008, et Jours tranquilles à Jérusalem, Riveneuve en 2018. Il a également contribué à l'ouvrage collectif La révolution du sourire paru aux Editions Frantz-Fanon.
Il a conçu le spectacle, Présence de Kateb Yacine pour la Comédie-Française en 2003. Ses pièces, dont Terre sainte, ont été traduites dans plusieurs langues et sont jouées à travers le monde. Très impliqué dans le théâtre, il anime, à la tête de l'association internationale Ecritures du Monde, des ateliers d'écriture aux USA, au Liban, Palestine, Irak, Syrie, Maroc, Italie, Iran...» Ensuite, ses pérégrinations au Moyen-Orient et dans le monde arabe en général, son bilinguisme, en font un témoin privilégié de ce qui se passe dans les profondeurs de ces sociétés. Chacun de ses textes et productions offre donc un éclairage rare et remarquable. On l'a dit, le créateur et penseur libre est, enfin, peu doué pour la docilité n'hésitant jamais à remettre en question une quelconque «vérité» consensuelle.
Mohamed Kacimi aime défendre des idées originales et justes. Quitte à se faire haïr, il sait que la vérité est toujours plus à la portée des non-conformistes, de ceux aussi qui ne sont pas trop portés à l'empathie et aux émotions négatives. Car il faut exprimer calmement ses idées, s'ouvrir à la pensée logique... Dans ces «dissidences» (ou «chroniques du Hirak»), l'auteur exprime sa différence d'opinion, son opposition à l'idéologie dominante et à l'autorité. C'est sa manière à lui de revendiquer son opposition au pouvoir et à tous les décideurs qui ont des squelettes dans leurs placards. L'image qu'il peint est forcément réaliste et sombre, mais on peut se fier à son jugement du paradigme qui s'est mis en place depuis 1962 et qui s'est renforcé à chaque étape, à chaque crise. En connaisseur de la maïeutique algérienne, il dénonce les excès des attitudes et des discours en usant de la satire, laquelle, ici, participe à l'écriture de la dissidence. Le prologue aux 25 chroniques qui vont suivre condense la révolte de l'écrivain qui, à force de déceptions, ne croyait plus en son pays. Mohamed Kacimi écrit dans ce court et fulgurant avant-propos : «Enfants de l'indépendance, nous pensions que le monde allait nous appartenir. On sortait d'un siècle de domination, et l'avenir nous semblait radieux. Un million de pieds-noirs venaient de quitter en catastrophe l'Algérie, laissant derrière eux tous leurs biens, maisons, terres, vergers et palais. Les maquisards de la dernière heure se jetteront sur ces «biens vacants» et avec quelle avidé.
En l'espace d'une nuit, les fellaghas d'un jour, sans le sou, deviendront des princes et des nababs, mettant dans leur gibecière ce que l'Algérie avait de plus beau». Le penchant du loup pour la rapine deviendra un vice... Juste après la razzia, il y a eu «la mascarade de Ben Bella». Celui qui est «devenu président par accident» va entraîner «tout le pays avec lui dans son délire». L'ancien adjudant de l'armée française se laisse aller à l'ivresse du pouvoir. «Clown jongleur», syncrétiste, «Ben Bella habille Marx en gandoura, et Lénine en kachabia. Ainsi est né le socialisme arabo-islamique à Alger. Ainsi voit le jour la ‘'Grandourie'', pour reprendre l'expression de Kateb Yacine». Boumediène est le deuxième jalon de cette période mouvementée : «L'homme qui avait tué la première république dans l'œuf n'avait jamais tiré une seule balle durant la guerre d'Algérie, selon Ferhat Abbas, mais il avait la détente facile vis-à-vis des siens.» Le portrait du colonel Boumediène est saisissant : «Animal à sang-froid, l'enfant de Guelma, au visage taillé comme un couteau boussaâdi, était passé par la Zitouna et avait fait ses études au Caire avec une bourse du gouvernement français, chose qui est tue dan sa biographie. On le disait ascète, austère, glacial et taciturne, il mettra durant tout son règne l'Algérie au régime eau, pain sec et tristesse». Après les «années de plomb et de pénuries» de cette période, arrive le colonel Chadli : «Personne ne l'attendait. Il arrive par hasard. Le hasard, voulu par l'armée, est le seul chemin d'accès à la magistrature suprême en Algérie. (...) On l'appelait ‘'Jeff Chandler'', à cause de sa ressemblance troublante avec l'acteur américain, mais aussi ‘'l'homme qui comptait jusqu'à douze'', pour sa passion pour les dominos, ses capacités de calcul s'arrêtant, disait-on, au double six. Son règne sera marqué par les blagues ; il en fusait une par minute.» Chadli supprime l'autorisation de sortie du territoire national, il ouvre le marché aux importations. Résultat : «Ce sera une orgie. Faute de réconcilier les Algériens avec la démocratie, perdue de vue, il les réconciliera avec les bananes, fruit défendu, on ne sait pourquoi, au temps de Boumediène.» L'amère ironie du désenchantement commence surtout en 1980, avec la répression du Printemps berbère. Il y a eu, ensuite, la chute du prix du pétrole. «Pour soulager l'âme des citoyens éprouvés par la crise économique, Chadli invite le prédicateur islamiste al Ghazali. Il lui offre chaque jour la télévision nationale et des millions de cerveaux disponibles», rappelle l'auteur. Surviennent les évènements d'Octobre 1988 : «Au peuple qui crie famine, le pouvoir jette en pâture le multipartisme, et ouvre la porte à la presse indépendante.»
L'auteur précise que, de leur côté, «les islamistes ne sont pas tombés du ciel en 1989». Pour lui, «le FIS n'est rien d'autre qu'une mutation génétique et logique du FLN. Les premiers instituts islamiques sont créés par Ben Bella en 1963 (...). Après le coup d'Etat, Boumediène place à l'Education nationale Taleb al-Ibrahimi, qui sera le véritable fossoyeur de la culture et de l'école algériennes». Après la décennie noire, période qui «reste encore à élucider», arrive enfin «le règne de Bouteflika, sorti tel un lapin du chapeau de l'armée, une fois encore». Cette fois, on a affaire à un «pervers narcissique, mégalomaniaque en diable, vociférateur, dictateur».
L'homme était «convaincu que l'Algérie était son œuvre, sa créature et même sa chose». Alors, «il l'offre aux siens (...). Et son clan va s'en donner à cœur joie. Il fera ripaille du pays. On voit aujourd'hui les dégâts de cette curée». Forçant un peu plus le trait, l'auteur illustre par deux exemples la «kleptomanie» fondée par Bouteflika.
En fait, «une vraie kleptocratie, qui fera d'un vendeur de poulet aux hormones un importateur de cocaïne en gros, et d'un marchand ambulant de coriandre et de persil un patron à la tête d'un holding traitant avec Hyundai et Suzuki». Bien sûr, tant d'excès et d'énormités ont fait que la grippe finit par tourner à la pneumonie : «Commencé dans la liesse, son règne s'achève dans la fange et la déchéance. Tétraplégique, aphone, cloué sur un fauteuil, poussé devant les caméras du monde par un enfant, il s'accroche au trône telle une bernique à son rocher». Mais le Hirak, «qui a déferlé sur le pays, tel un tsunami, (...) a emporté dès les premières semaines ce pathétique pantin». Mohamed Kacimi l'exilé est rentré dans son pays : «J'étais au milieu de la foule des manifestants devant la Grande Poste. J'ai vu mon peuple debout comme une montagne, criant qu'il ne voulait plus être soumis.» Il en avait les larmes aux yeux. Il reconnaît les siens et recommence à croire en son pays. Ah ! l'Algérie. «J'avais pris tant de chemins de traverse pour l'oublier. Je me suis égaré des années durant entre Aden et Sanaa, puis je me suis posé à Beyrouth, ville volcan dont j'ai vécu tant d'éruptions. Je traversais aussi les scènes de Damas ou d'Alep pour faire entendre les auteurs interdits. Après, j'ai pris le chemin de Tunis où j'ai vécu chaque moment de la Révolution, avant de lever le camp pour aller travailler en Palestine, à Ghaza, Ramallah, Naplouse ou Jénine, guettant à chaque fois l'étincelle qui ferait sortir ce monde arabe de sa longue nuit de dictature. Puis il y a eu ce mois de février 2019. Je suis rentré pour veiller ma mère qui vivait ses dernières heures. Elle avait attendu que l'Algérie se réveille avant de fermer pour de bon les yeux», raconte l'auteur.
A Alger, parmi les marcheurs, «un ancien» lui disait : «Mon frère, le pays est tombé en panne en 62, je crois qu'il faut qu'on donne un coup de main à ces jeunes pour le faire redémarrer. Il vont voir, ça va être plus beau que la Suisse, l'Algérie.»
L'avant-propos est magistral. Dans le genre didactique, on ne fait pas mieux, surtout que le drame de l'Algérie, ses espoirs et ses perspectives sont présentés par la plume alerte du poète et du chroniqueur. Dans les textes suivants, l'auteur va ainsi marier des techniques et des genres qui s'harmonisent : une écriture poétique et théâtrale ; le reportage ou la grande histoire du quotidien ; une pédagogie de la créativité mise au service de l'écriture journalistique ; un théâtre du monde où, souvent, les libertés sont prises au piège ; un humour libérateur et sublime. Avant de mettre le lecteur dans le bain, c'est-à-dire dans les «dissidences» du Hirak, Mohamed Kacimi offre certains éclairages, des points de vue et des expériences vécues à effet de distanciation et pour mieux passer à l'offensive. Par exemple, dans «La rue arabe n'existe pas, mais la rue de l'Islam, la rue de Dieu, existe» (entretien accordé au journal Libération du 7 octobre 2006), il exprime des opinions critiques sur des thèmes et des débats d'actualité : le contentieux entre l'Occident et l'Islam ; un monde arabe malade de ses échecs successifs, de sa position de «victime», de l'immuabilité de la langue, de l'évitement du contact avec le monde réel ; la réduction à néant de toute tentative de spéculation, de réflexion ou de
doute ; l'absence d'esprits libres et critiques ; la recherche du père mythique ; la jeunesse privée de ses rêves ; le culte de la mort et le déni de l'amour ; une profonde misère sexuelle collective ; la mise à mort des intellectuels, etc.
Dans le même journal (Libération du 10 décembre 2003), il retrace l'histoire du voile, cette «antique aliénation» vieille de trois mille ans, avant de dénoncer, dans l'article suivant («Il est interdit de désespérer», in Libération du 31 janvier 2004), l'hypocrisie sociale et politique, en France, à propos du voile, de la Palestine et autre. Quant à l'affaire des caricatures, il démontre, arguments à l'appui, qu'il est préférable d'en rire (Libération du 17 février 2006). Oui, mais à Ghaza et en Palestine occupée, on rit plutôt jaune quand on lit le reportage intitulé : «A Ghaza, on ne badine pas non plus avec l'amour» (publié dans Le Nouvel Obs et Rue89, le 5 avril 2014). Superbe chronique et qui fourmille d'informations. Où le lecteur découvre «tout le miracle» du séjour de l'auteur : «Je suis parti de Roissy, deux semaines plus tôt, avec un sticker rouge de «musulman dangereux» et de retour de Ghaza, je repars avec un sticker jaune de citoyen juif respectable et respectueux. C'est ça la Terre Sainte.»
Mohamed Kacimi prend deux autres chemins de traverse avant d'arriver à «la falaise de Sénèque», du moins un «effet Sénèque» qui va provoquer un mini-effondrement du système le 22 février 2019. Toujours dans Le Nouvel Obs (19 avril 2014), il dissèque la réélection de Bouteflika et son triste bilan. Tragique et désespérant. De quoi devenir Vanuatais ! Et c'est ce qu'il fit : «Lassé de ce malheur, sans cesse répété, qu'on me lance à chaque fois au visage, j'ai trouvé la parade : je dis désormais, que je suis originaire du Vanuatu, parce que je ne connais pas ce pays et que personne ne le connaît non plus.» («Comment je suis devenu Vanuatais, in Médiapart du 24 février 2019). Mais le Vanuatu a vite été oublié, relégué dans un tiroir des dépits amoureux par «la révolution du sourire» (chronique suivante).
Les «chroniques du Hirak», celles proprement dites (près d'une vingtaine), peuvent commencer. Elles sont étonnamment fraîches, imagées, percutantes, grinçantes, provocantes, caustiques, féroces. Comme si elles étaient irriguées de la révolte de l'instinct, d'un désir jamais assouvi. L'exil, chose morale, est, pour les caractères vifs et sensibles, un monde cruel, une prison dont il faut absolument sortir. Demain, car tout reste à venir.
Hocine Tamou
Mohamed Kacimi, Dissidences. Chroniques du Hirak, éditions Frantz-Fanon, Tizi-Ouzou 2019, 212 pages, 700 DA.


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