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Ah, ces éminences occultées !
16 Avril, Journée nationale du savoir
Publié dans Le Soir d'Algérie le 18 - 04 - 2020


Par Kamel Bouchama, auteur
L'œuvre de l'Emir Abdelkader s'est perpétuée…, avec sa descendance et les savants algériens qui ont lutté et brillé dans le ciel de Bilâd ec-Shâm. De ce fait, le monde tellement passionnant de l'enseignement et de l'éducation a été bien pris en charge par nos ressortissants en qui leurs frères syriens reconnaissaient – et reconnaissent encore aujourd'hui – leur engagement dans cette tâche tellement noble et fondamentale pour l'instauration d'un Etat moderne.
Les nôtres ont privilégié les sciences et le progrès, ils sont partis très loin dans l'effort pour donner à la nourriture de l'esprit sa prépondérance au sein des activités essentielles du pays. Ils avaient raison de réagir de la sorte dans un environnement qui pouvait facilement les comprendre et en profiter pour apprendre davantage avec eux, des érudits qui ont su donner à l'Islam et à ses préceptes leur véritable résonance. Le Hadith bien connu et chanté par les hommes de plume et les combattants de la liberté ne stipule pas que «l'encre des savants est plus précieuse que le sang des martyrs» ?
D'autres se sont distingués sur le plan culturel et scientifique, une autre culture, bien réfléchie, bien «distribuée» – je veux dire bien prodiguée –, c'est la culture de ces Algériens qui ont longtemps ou constamment vécu au Shâm. Ces Algériens travaillent là-bas en silence, peut-être est-ce pour cela qu'on ne les a pas connus, ou jamais écoutés ? En tout cas, ceux-là poursuivent leur marche dans ce pays qui les comprend et les respecte.
Voyons ceux-là qui, sur le plan culturel et scientifique, avaient ou ont toujours cette aura qui les distinguait (et les distingue) des autres. Ils étaient constants avec eux-mêmes. Ils savaient quoi faire de ces dons de Dieu dont ils étaient comblés par Sa générosité et Ses meilleurs enseignements. Ils les ont donnés, ils les ont partagés avec d'autres, ceux qui en avaient le plus besoin. N'est-ce pas que la devise des Algériens, tout à fait au début, quand ils sont partis en Bilâd ec-Shâm, du temps des Croisades au XIIe siècle, était de «prendre et donner» ? Il est utile pour nous de la répéter encore une fois, pour dire qu'ils n'étaient ni orgueilleux, ni méprisants, comme plusieurs le sont aujourd'hui, chez nous, hélas… En effet, ils possédaient toutes ces qualités, parce qu'ils étaient – tout simplement – des Grands. C'est cette devise, qui s'est perpétuée à travers les siècles, et ce sont ces formes d'adhésion et de contribution qui ont fait des Algériens des personnages socialement plus affables et pratiquement plus rentables.
Présentement, après avoir, à maintes reprises, évoqué les descendants de l'Emir Abdelkader dans les domaines politique et culturel, dans ce même quotidien, Le Soir d'Algérie, ceux-là qui ont également produit de la bonne matière, je vais faire l'effort d'évoquer certains parmi ceux qui sont partis du Maghreb ou qui sont nés dans ce Shâm «des cités rayonnantes…, dans ce Shâm mille fois parcouru, abusé, aimé, mythifié, démythifié et… depuis toujours raconté.»(1)
Il est certain qu'ils sont très nombreux, ce qui honore leur pays d'origine. Mais il est certain aussi que peu de gens le savent, y compris les Algériens qui vivent en Syrie, ou au Liban, ou en Jordanie, ou encore en Palestine. Et ils ne peuvent le savoir, à part les plus proches, parce que ces érudits, et ses savants et ses hommes politiques, se sont si bien confondus dans la masse des autochtones qu'on ne peut les distinguer. Mais quoi qu'il en soit, ils sont là, ou ils étaient là, dans ces régions qu'ils ne pouvaient quitter hier, et même aujourd'hui, parce qu'ils se sont identifiés à leur culture, à leurs habitudes, à leurs croyances et à leur Histoire.
Leurs ambitions se situaient dans la formation des jeunes et des moins jeunes. Elles se limitaient, au départ, à l'enseignement, base de développement de tout pays qui aspirait au progrès et à l'élévation de l'esprit de ses populations, capables de concevoir l'évolution par la transformation qualitative de tous les domaines vitaux de la Nation. Ensuite, elles débordaient de ce cadre de l'éducation, nécessairement primordial et indispensable, pour aller vers la modernité par les moyens les plus généreux dans le système politique, économique et social, à travers une alchimie de l'échange qui, tour à tour, fascinait et mobilisait les postulants.
Ainsi, les Algériens du Shâm ont vulgarisé l'éducation religieuse et les sciences modernes qu'ils ont vulgarisées à travers tout le pays. Il est de notoriété que ce sont eux qui ont ouvert, comme souligné dans mes précédents écrits, plusieurs écoles et ont réhabilité d'autres que les Français, du temps du protectorat, ont désaffectées pour servir leurs besoins, en tout cas pas ceux de l'enseignement tel que prôné par des hommes aux jugements de valeur. Ces Algériens ont repris également les zaouias et les ont réorientées pour enseigner les meilleures disciplines aux côtés des rudiments de la jurisprudence et d'autres sciences islamiques.
Ils ont fait de même avec les mosquées, en conférant à celles-ci le véritable rôle qui leur échoit dans la formation de la société, surtout de la jeunesse, devant acquérir les bons enseignements d'un Islam qui souffrait déjà, en ce temps, des effets néfastes de différents schismes qui le convergeaient vers des mésententes et des déchirures inacceptables. Ainsi donc, avec l'ouverture d'écoles modernes, le rétablissement de la mosquée dans sa vocation première, celle de l'éducation, l'orientation et la sensibilisation, les Algériens ont annoncé une incontestable révolution culturelle que les Damascènes ont vite soutenue en se mobilisant derrière les chouyoukh El-Mahdi Es-Seklaoui dans la zaouia El-Khaydhariya et ses élèves Mohamed El-Moubarek et Abdallah El-Khaldi dans Dar El Hadith. D'autres maîtres, les Mohamed El-Kherroubi, Salah Es-Sem'ouni, dans la même période, ont donné le maximum et ont formé beaucoup de disciples. Nous les avons évoqués précédemment, mais il est bon de les rappeler à la jeunesse algérienne, et ce n'est pas du tout une redondance. Nous le faisons sciemment, parce que cette relance nous honore et permet à notre jeunesse de savoir que ses ancêtres n'ont pas été des « marchands de tapis » dans le style péjoratif des colonialistes, ni même des « marchands de sommeil », également dans le style de ceux-là, mais des marchands de belles lettres, des dépositaires de morale, des porteurs de science et des faiseurs de progrès.
Ils étaient nombreux dans ce grand Shâm, tellement nombreux qu'il nous est impossible de les recenser dans une simple contribution, comme celle-ci, par laquelle je participe à la commémoration de la journée nationale du Savoir. Pour cela, je vais me restreindre à deux dignitaires, ou sommités ou célébrités, appelons-les comme on veut, car ils méritent tous ces attributs, tout en m'excusant auprès des lecteurs qui en demanderont certainement plus…, plus de noms, plus d'événements et plus de succès les caractérisant, tellement le sujet est passionnant.
Cheikh Mohamed Tahar El-Djazaïri, artisan de la «Nahda»
Cheikh Mohamed Tahar El Djazaïri…, je reviens constamment à lui, parce qu'il est incontournable. Ce responsable emblématique, par ailleurs, a été un grand Homme de culture pour ce Shâm de civilisation. La majuscule ici lui sied convenablement. Il a été un grand Homme, et les historiens doivent le célébrer – si ce n'est déjà fait – pour ce qu'il a produit dans le cadre de l'éducation de plusieurs générations.
Il a convaincu le gouverneur ottoman, son ami Medhet Pacha, pour qu'il accède à sa demande et lui accorde l'ouverture des établissements d'enseignement modernes en Syrie et en Palestine. Mekteb Anber ou le lycée modèle de Damas, création du Cheikh Tahar, a accueilli Cheikh El-Bachir El-Ibrahimi au poste de professeur. Cet éminent savant algérien qui, lui aussi, a émigré en Syrie, pendant une certaine époque, a été d'un grand apport à l'éducation et à l'enseignement des jeunes. Il a été également conférencier dans les cercles panarabes, notamment le Nadi El ‘Arabi animé par Abderrahmane Chahbendar, tout en se liant aux milieux inspirés par Rachid Rédha. L'occupation de la Syrie par les Français, au lendemain de la Grande Guerre, l'a poussé à rentrer en Algérie en 1920.
Cheikh Tahar El-Djazaïri, qui a été aussi pédagogue de talent – il a été nommé inspecteur général de l'éducation pour toute la Syrie –, a prodigué d'énormes efforts à la production de livres et manuels scolaires, dans le style le plus simple, pour arriver à attirer les enfants vers l'apprentissage de toutes les sciences et les convaincre de leur utilité. Mais où trouvait-il les moyens pour accomplir ce travail de longue haleine, un travail continu qui exigeait la mobilisation d'énormes ressources ? Il a mis à profit l'association philanthropique qu'il présidait. Elle recevait des dons du gouvernement et de riches notables pour la publication de ces manuels scolaires et d'autres ouvrages en langue arabe.
En plus de toutes ses activités, il a été un des grands artisans de la Nahda (Renaissance arabe) et du mouvement de l'Islâh (Réformisme musulman) en Syrie. Il animait des «Salons» et organisait des regroupements pour ces deux missions qu'il menait avec brio. D'autres figures illustres se réunissaient chez lui, en plus de ses adeptes et de ses disciples. Un des participants à ce cercle d'intellectuels et de nationalistes était son neveu, Salim El-Djazaïri, né à Damas et colonel dans l'armée ottomane. Il a rejoint en 1906 la «Révolution jeune-turque» et le «Comité union et progrès», qu'il a quitté après avoir participé à la contre-révolution de 1909 qui a fait abdiquer Abdelhamid II, parce que déçu par la «politique de turquisation» de cette organisation, lui qui parlait à la fois le turc et l'arabe, mais également le «zawawa», c'est-à-dire le kabyle ou plus exactement le tamazight.
Cheikh Tahar a été un Grand, en effet. Le savant Mouhib Ed-Dine El Khatib disait de lui :
- «Cheikh Tahar El-Djazaïri m'a appris l'amour de ma patrie, mon arabité et l'Islam, comment ne pas me souvenir de ses doctes leçons, de sa force de caractère, en somme de sa parfaite façon d'éduquer qu'on ne trouvait nulle part ailleurs…»
Un autre intellectuel, le docteur Hani El-Moubarek, algérien de Damas, s'exprimait en sa faveur, en des phrases très élogieuses. Je vous donne le résumé de ce qu'il écrivait le concernant.
- «A l'âge de 30 ans, Cheikh Tahar maîtrisait déjà la plupart des langues du Proche-Orient : le turc, le persan, le syriaque, l'hébreux, l'arabe et l'abyssin, ainsi que le français et le berbère qui est sa langue d'origine. En 1875, il a été nommé enseignant dont il s'est distingué d'entre ses collègues par son intelligence, l'immensité de sa perception, sa culture et son raisonnement, en plus de son caractère algérien distingué.»(2)
Parmi ses réalisations, figurait la création de la maison de livres Dhahiria, qui était, tout à fait au début, une maison de sauvegarde des manuscrits. Elle s'était développée pour devenir l'une des plus grandes bibliothèques de l'Orient musulman comme l'est devenue la bibliothèque Khalidiya à Jérusalem. En 1879 et suite à ses compétences, le cheikh Tahar a été chargé par le gouvernement turc d'inspecter les bibliothèques en Syrie et à Jérusalem, une mission qui l'a retenu pendant huit ans, avant de partir en Egypte, en 1907, suite aux pressions subies de la part du pouvoir en place. Il a séjourné 13 ans dans ce pays et, durant son séjour, il a eu l'occasion de côtoyer les savants et hommes de lettres égyptiens, les Ahmed Timor Pacha et Ahmed Zaki Pacha, comme il a eu l'occasion de visiter l'Algérie en 1912, où il a été reçu par le cheikh Mohand Saïd Benzekri, le mufti malékite d'Alger et professeur à la Médersa Et-Thaâlibiya.
Est-ce un dithyrambe, ce que j'écris là, pour cet Algérien dont les parents ont émigré au Shâm, venant de cette riche vallée de la Soummam ? Non, puisqu'il a été, dans ce sillage de la culture, l'un des créateurs du «Conseil de la langue arabe» en Syrie, aux côtés de cheikh Abdelkader El-Moubarek et cheikh Abdelkader El-Maghribi, et ayant beaucoup de membres dont cheikh Behdjet El-Bitar et l'Emir Djaâfer El-Djazaïri. De cette importante institution nationale, le ministre syrien de l'Information disait, depuis peu, sans aucune complaisance de sa part : «Il est certain que le Conseil de la langue arabe en Syrie est le meilleur de tous les Conseils dans le monde arabe.»(3)
Ai-je tout dit sur cheikh Tahar ? Oh, que non !..., puisqu'il faudrait des pages et des pages, des ouvrages même, pour restituer le cheminement de ce savant, descendant de Sidi Hadj Ahmed Hassaïne, et dont le père, le
savant jurisconsulte Cheikh Salah Ibn Ahmed Ibn Moussa Ibn Belkacem El-Sem'ouni, se réclamait de cette bonne descendance des Hassaïne de Beni Oughlis, dans la région de Béjaïa.
Mais l'essentiel, de ce que j'ai écrit, en cette mémorable occasion, permet à notre jeune génération d'avoir de bonnes idées sur ce grand savant qui a donné sa jeunesse et sa vie à la culture, à la formation des autres, en bon altruiste, qui a laissé de quoi l'Algérie et le village de ses ancêtres des Beni Oughlis peuvent être fiers d'une filiation pareille.
Djawdet El-Hachimi : l'enseignement des mathématiques, son combat
de tous les jours
Restons dans l'éducation pour découvrir un autre personnage illustre. Il s'agit de Djawdet El-Hachimi. Qui est-il et qu'a-t-il présenté pour le monde de la culture pour qu'on lui accorde une telle importance ?
Au centre de Damas s'érige un bâtiment imposant qui porte le nom de Djawdet El-Hachemi. C'est le nom d'un lycée, un grand lycée qui a été construit et qui portait le nom de «Lycée préparatoire». Selon la terminologie ou la conception syrienne d'alors, c'était un établissement qui préparait les élèves aux grandes écoles et universités. Et Djawdet El-Hachimi, une autre question : comment son nom est inscrit au fronton de ce bâtiment ?
D'abord, il faut aller chercher dans ses origines. De parents algériens qui sont venus à Damas en 1867, Ahmed, de son vrai nom, est né en 1887 dans cette modeste famille pour vivre au milieu de nombreux frères et sœurs, dans le quartier populaire de Bab Es-Seridja à côté de Bab Es-Souiqa dans le cœur du Maydan où abondaient et abondent, jusqu'à aujourd'hui, les émigrés formant une partie de l'importante communauté algérienne vivant à Damas. Son père Si Mohamed a ouvert une échoppe, tout près de la Grande Mosquée des Omeyyade, pour la vente de livres et la reliure pleine dont il excellait, disait-on.(4) C'était par ce gagne-pain, très noble du reste et qui démontre dans quel milieu baignaient ses enfants, qu'il les a élevés dans la modestie, l'honnêteté et la grandeur d'âme.
Comment donc cet enfant talentueux, prodige même, qui s'appelait Ahmed, n'allait-il pas, plus tard, prétendre à cet autre qualificatif, Djawdet, qui lui venait de la rive occidentale du détroit du Bosphore, de chez les Ottomans, et qui veut dire, tout simplement, la qualité…, la bonne qualité, dans un pléonasme nécessaire ? En effet, il a été un très bon élève chez le maître Saïd Chérif, qui proposa à ses parents de l'envoyer à Istanbul parfaire son instruction, surtout qu'il se plaçait comme un petit génie en mathématiques, par rapport à ses camarades de classe. Les parents, très modestes sur le plan social, ne pouvaient s'engager dans cette aventure, nécessaire par ailleurs pour l'avenir de leur progéniture, mais impossible quant à leurs moyens. Le maître Saïd Chérif a pris la décision de le mettre dans ce groupe de lauréats en partance pour la Turquie. L'Etat les a pris en charge comme internes dans le meilleur établissement d'Istanbul. Cette opération a eu lieu en 1899 et le jeune potache n'avait que douze ans.
Et, en si peu de temps, ses professeurs ottomans l'ont baptisé El Djayyde (le meilleur), à cause de ses performances en mathématiques et de sa bonne conduite. De là, ce qualificatif lui a collé à la peau et a dissipé son véritable nom. On ne connaissait plus le jeune Ahmed puisqu'il s'appelait désormais, pour tous, Djawdet El-Hachimi.
Après la fin de ses études secondaires où il a été, et de loin, le meilleur – «El Djayyde» –, parmi les Turcs, qui ne s'étaient pas trompés sur son «appellation», les jeunes des pays arabes et même d'autres qui venaient des Vilayet sous l'autorité de l'Empire, et qui se trouvaient dans cet établissement d'Istanbul, la Sublime Porte l'a envoyé en France pour entreprendre des études supérieures. Là aussi, il s'était distingué par de superbes résultats. Major de promotion à l'Université de Paris en 1913, il n'avait que 25 ans, précisait encore son fils Hani El-Hachimi, qui est raconté par son ami Abderrezak Touahri.
De retour au pays, les Ottomans lui proposaient d'enseigner les mathématiques chez eux à Istanbul. Mais le jeune Djawdet s'arrêtait sur Damas, la ville qui l'a vu naître, la ville qu'il a tant aimée. C'était là qu'il avait ses amis, parmi eux beaucoup de jeunes d'origine algérienne, qui ont grandi avec lui dans ce quartier du Maydan populaire où les couleurs du Ramadhan n'existent nulle part ailleurs dans le monde musulman.
Non contents de ce refus, les Ottomans l'ont muté à Beyrouth contre son gré, loin des siens, au lycée El-Maqaçid el Khayriyya, ensuite à Jérusalem, au lycée Es Salâhiya. Et ce n'est qu'après 1918, après le déclin de l'Empire ottoman, que le jeune Djawdet a pu revenir chez lui pour y enseigner ses mathématiques dans le seul lycée qui existait à Damas Mekteb Anber qu'avait fondé cheikh Tahar El-Djazaïri.
Qu'allons-nous dire encore de ce jeune prodige, le mot est lancé dans cet écrit, non pas par complaisance mais c'est parce que la réalité nous commande de mettre en valeur nos génies qui, par ailleurs, des historiens – pour ne pas dire les historiens – ont singulièrement ignorés. Les jeunes d'aujourd'hui, et même les moins jeunes, doivent connaître de notre Histoire, si ce n'est tout, au moins une partie importante qui fait honneur à notre peuple et le place parmi les bâtisseurs de civilisation.
Revenons à lui, pour rentrer dans le second cycle le concernant, après ce «curriculum vitae» très réduit. Je n'insisterai pas sur sa carrière dans l'enseignement qui a été très florissante et on ne peut mieux efficace, mais je me permets de relever certains faits qui marquent les traits de caractère de ce cadre plein d'attention pour son métier et les jeunes qu'il allait former.
Notons cependant qu'en 1943, après des dissensions graves dans le domaine de l'éducation, à cause de programmes incompatibles avec la logique et à cause d'inégalités qui se greffaient à un secteur déjà malade, une grève générale, d'une ampleur considérable, a immobilisé le monde de l'enseignement pendant une longue durée. Un mécontentement général se lisait chez tous les enseignants qui ont répondu à l'appel, d'où tous les établissements étaient fermés. Il fallait un sauveur. Impérativement ! Djawdet était là, à portée de main, parce qu'il connaissait ce monde, pour l'avoir vécu longtemps. L'Etat syrien, sous protectorat français, lui accordait sa confiance en le nommant directeur général du ministère pour dénouer cette situation difficile. Et il l'a fait en rendant justice à tout le monde et en remettant le train sur les rails. Le droit n'a pas été lésé et les enseignants ont été ajustés, réhabilités, selon l'intérêt général, enfin chacun a été mis à sa place, avec l'accord de tous. Après cette performance, où il n'y avait que lui qui pouvait l'accomplir, il a eu des promotions dans ce ministère jusqu'à devenir son secrétaire général. Pourquoi pas ministre, se demandait le commun des mortels après avoir connu le personnage ? Eh bien, parce que lui-même ne voulait pas de ce poste, tout simplement ! Il lui a été proposé combien de fois, le sachant à la hauteur de cette tâche délicate et passionnante. Il a préféré tenir compagnie à ses mathématiques qui ne le quittaient jamais. Il voulait ne pas s'arrêter de les enseigner à ses élèves.
Qu'a-t-il laissé ? Une question simple mais intéressante. Il a laissé beaucoup en Syrie et dans le monde arabe. Ainsi, pendant son séjour au ministère, il produisait des livres de mathématiques, d'une haute facture, sur les plans du contenu et de la conception. Son engagement dans cette direction lui venait du fait que le conseiller français du ministère de l'Education insistait pour que les mathématiques s'enseignent en français, sous prétexte que la langue arabe est inefficiente parce qu'elle ne possède pas le langage scientifique et les termes techniques pour l'apprentissage de cette matière. Ceci préparait, bien sûr, l'élimination de la langue arabe dans toutes les autres matières enseignées en Syrie et son remplacement par le français.
Djawdet El-Hachimi a été interpellé par cette grave tentative des Français qui, non contents d'avoir pris tout un pays, voulaient encore soumettre ses enfants à une forme de gestion qu'ils n'accepteraient jamais. Alors avec un groupe d'enseignants nationalistes, il a entrepris une action de grande envergure pour barrer la route aux Français qui voulaient perpétuer leur langue et leur pouvoir dans ce pays.
«Il n'est pas question, disait-il, que les mathématiques s'enseignent dans une autre langue que la langue arabe. Nous allons reprendre ce qu'il y a dans la terminologie que les Arabes ont utilisée, il y a bien longtemps, et nous traduirons ce qu'il faut traduire pour nous mettre au diapason de ce qui est nouveau par rapport à nos connaissances et, de là, nous allons apprendre à nos enfants les mathématiques dans leur langue maternelle.»
Cette décision militante a été suivie d'effet, aussitôt. Djawdat El-Hachimi s'était attelé à la lourde tâche d'éditer des manuels scolaires pour cette importante matière des mathématiques. Ainsi, pendant cette même année, de nombreux titres voyaient le jour, pour tous les paliers du secondaire, rédigés avec grand soin par lui-même et, on ne le dira pas assez, avec toute sa verve et sa compétence.
Que dire en conclusion de ce personnage qui a été le continuateur de l'œuvre de cheikh Tahar El-Djazaïri ? Qu'il a été, tout simplement, le bon élève, qui a milité au sein du mouvement national pour l'émancipation de son pays d'origine, l'Algérie, et pour le monde arabe, qu'il a fait de l'enseignement des mathématiques son combat de tous les jours, en les enseignant aux élèves dans la langue arabe et en éditant de nombreux manuels scolaires dans cette matière. Aujourd'hui, les Arabes font référence à Djawdet El-Hachimi dans les classes de mathématiques.
Il a terminé sa vie dans le labeur et les bonnes actions, qu'on ne peut énumérer dans ce chapitre tellement elles sont nombreuses. De toute façon, les intellectuels arabes connaissent les mérites de ce personnage, à commencer par les Syriens, qui l'ont adopté, aimé, aidé et récompensé d'abord par la médaille du mérite en 1950, et enfin, qui lui ont rendu un vibrant hommage, après son décès en 1955, en attribuant son nom au plus grand lycée du pays.
K. B.
Notes :
Syrie, éclats d'un mythe, de Nathalie Galesne, Ed. Actes Sud 2002.
Dr Hani El Moubarek, chercheur : Le Shâm leader de la renaissance dans la ville de l'éducateur et de l'apôtre cheikh Tahar El-Djazaïri, modèle de l'enseignant.
Ces informations sont de Abderrezak Touahri, notable algérien vivant à Damas avec lequel l'auteur Kamel Bouchama avait beaucoup de contacts.
Ibidem


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