L'épidémie de coronavirus a induit un malaise très perceptible au sein de la corporation des avocats qui déplore déjà sept décès en son sein. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - L'expression de ce malaise se manifeste de manière de plus en plus vive durant les gros procès qui continuent à se poursuivre contrairement aux affaires plus «légères», dites de droit commun, jugées par visioconférence lorsqu'elles sont considérées comme étant urgentes, ou systématiquement reportées au mois de septembre en raison de l'avancée de l'épidémie en cours. La situation qui a prévalu ce dimanche au tribunal d'Alger, où devait s'ouvrir le procès en appel de Abdelghani Hamel et de sa famille, en est un exemple édifiant. Les membres du collectif de défense des inculpés se sont livrés à une véritable bataille pour l'obtention d'un report de ce procès à septembre, espérant une accalmie sanitaire à cette échéance. Les avocats ont bien fait comprendre à la cour que le but de leur demande était uniquement lié au danger du coronavirus. Me Khaled Berghel a fait très fort pour tenter de sensibiliser le juge. «Nous avons perdu des juges et des avocats en raison de ce virus. Aujourd'hui, nous sommes entre le marteau et l'enclume ! Alors que le gouvernement appelle au confinement, les routes entre les wilayas sont fermées, les prévenus ne peuvent pas être transportés mais voilà qu'on les amène à une heure tardive. Ce virus a tué beaucoup de personnes, l'un des accusés partageait la cellule de Moussa Benhamadi, imaginez son état d'esprit actuellement.» Me Nadjib Bitam en fait de même. «J'étais présent durant le procès Tahkout, tous mes confrères ont eu des problèmes de santé.» Me Bitam n'hésite pas à brandir un certificat médical prouvant ses dires. «Actuellement, je suis malade et fatigué, certains de nos confrères atteints durant l'exercice de leur métier sont morts, parmi eux se trouve Me Ali Dahlouk, représentant du Trésor public. Les prévenus sont eux aussi dans un état d'esprit lamentable, comment allez-vous pouvoir travailler dans ces conditions, dans une affaire où ils ont été condamnés à 15 ans de prison en première instance ? La situation sanitaire est catastrophique, elle est exceptionnelle, nous sommes tous en danger, les forces de l'ordre, les inculpés, les avocats, vous-même. Pourquoi ne pas reporter au mois de septembre ? La situation se sera peut-être calmée.» D'autres avocats défilent à la barre et tentent à leur tour de sensibiliser la cour aux dangers pouvant découler de cette situation. Ils insistent sur le fait que le nombre d'inculpés et de témoins ne permet pas de tenir le procès Hamel par visioconférence, que la décision la plus sage consiste à reporter ce procès qui ne revêt pas un caractère urgent. Les avocats rappellent également que plusieurs anciennes personnalités impliquées dans ce dossier ont été contaminées par le virus. Ils évoquent le nom de l'ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui était déjà atteint par le Covid sans le savoir mais dont l'état de santé s'est détérioré durant le procès de Mahieddine Tahkout. Abdelghani Zaâlane, rétabli après sa contamination, et Abdelmalek Boudiaf étaient présents ce dimanche au tribunal d'Alger contrairement à Sellal qui se remet de plusieurs jours d'hospitalisation. L'acharnement des avocats n'a été suivi d'aucun effet réel. Le juge a, en effet, pris la décision de tenir le procès en appel de Hamel le 29 juillet (soit demain mercredi), accordant ainsi un report de quarante-huit heures. Tous les arguments avancés par le collectif de défense n'ont pu venir à bout de la détermination du juge à poursuivre le jugement de l'ancien patron de la DGSN qui s'est officiellement ouvert dimanche, vers 17 h. En raison de l'interdiction des déplacements interwilayas, les fourgons cellulaires transportant les inculpés détenus à la prison de Koléa n'ont pu arriver qu'en fin d'après-midi. Il faut savoir que les avocats n'en sont pas à leur première tentative du genre. Durant le procès Tahkout, et après que la tentative d'obtenir un renvoi, pour les mêmes motifs eut échoué, ils ont essayé par tous les moyens d'inciter la cour à transférer le lieu du procès vers le tribunal de Dar-el-Beïda doté de salles d'audiences plus vastes. Nouvel échec, la cour refuse. La défense regrette de ne pas avoir obtenu gain de cause, le procès se poursuit. Celui de Abdelghani Hamel se poursuivra aussi à l'évidence ce mercredi sur décision du juge. Hier, le corps des avocats a déploré une nouvelle perte dans ses rangs, un confrère du barreau de Tébessa a été emporté par le Covid. Il s'agit de la septième victime qu'enregistre la corporation depuis l'apparition de l'épidémie. En mars dernier, cette corporation avait lancé une pétition pour le gel de toutes les activités judiciaires, des mesures avaient été prises par les autorités judiciaires pour alléger les tribunaux. La plupart de ces mesures demeurent d'ailleurs toujours en vigueur puisque les tribunaux continuent à fonctionner selon le protocole de prévention. Les grosses affaires liées à la corruption semblent cependant faire exception. La voix des avocats sera-t-elle entendue ? Contacté pour livrer son opinion sur le sujet, Me Sellini, bâtonnier d'Alger, est, malheureusement, resté injoignable. A. C.
