Toujours en convalescence pour « une... deux... ou trois » semaines, le Président Tebboune a fini par se convaincre de faire une courte apparition. Une décision prise pour des raisons à la fois médicales et politiques et qui aura servi à procurer aux indigènes d'ici un véritable soulagement de l'inquiétude qui, depuis deux mois, n'a eu de cesse de tarauder leurs esprits. Seulement, il ne souhaitait pas s'en tenir aux formules rassurantes, car il voulait également battre en brèche les assertions douteuses qui circulaient à son sujet en levant tous les doutes quant à une supposée invalidité. Pour ce faire, il lui avait suffi d'aborder le lancinant dossier du Parlement, lequel a pris un retard certain, alors que la dissolution des deux Chambres était programmée pas avant la fin de l'année. Donneur d'ordre à « distance », le chef de l'Etat a justement laissé croire qu'il est tout à fait en mesure de respecter son agenda quelles que soient les difficultés futures qui pourraient lui en coûter. Ce genre de défi est évidemment personnel quand bien même il sera question de ce dossier politique dont le traitement exige que l'institution elle-même devra rompre avec les pratiques d'hier. Vaste préoccupation éthique qui s'apparente à une quête complexe dont l'objectif serait de parvenir à une séparation sans passerelles entre les trois pouvoirs. Or, dissoudre l'ensemble de la représentation nationale n'a, en vérité, de sens, voire de justification qu'à partir du moment où, en amont, la révolution du Hirak avait abouti. En effet, seul ce mouvement social était susceptible de doter l'Etat d'une nouvelle Constitution. En peu de mots, la réécriture d'une identité nouvelle de l'Etat. Autant de conditions que ne semble pas remplir l'Algérie de l'après-Bouteflika dès lors qu'elle a réduit ses ambitions à des amendements que même le référendum ne valida qu'à hauteur de 25% des voix. Une piètre approbation par les urnes qui doit mériter une sérieuse concertation avant de recourir à la dissolution du Sénat et de l'APN d'autant plus qu'à l'origine de l'échec de la démocratie, il y eut la culture putschiste qui s'imposa dès l'été 1962. En effet, c'est à travers les péripéties que connut notre parlementarisme que l'on peut dorénavant mesurer l'étendue de ce malentendu historique qui plomba à sa naissance cette nation. D'ailleurs, les élites politiques des premières années de l'indépendance ont laissé suffisamment de témoignages écrits de ce qu'il advint au premier Président d'un Parlement inaugural ainsi qu'à certains députés de grande probité. S'opposant aux accoucheurs du totalitarisme version orientale, tous furent embastillés quand ils n'étaient pas exilés aux tréfonds du désert. À présent, et malgré certaines thèses qui s'efforcèrent de relativiser les conséquences du premier conflit pour le pouvoir, il reste cependant que cette époque fut le berceau de l'irrémédiable intolérance. D'ailleurs, ne fut-elle pas automatiquement incarnée par un dictateur et une camarilla qui l'entourait à chaque succession ? En effet, l'Histoire nous rappelle que l'Etat devint en toutes circonstances inapte à promouvoir les libertés publiques et ce, malgré l'existence de forces sociales préparées à cette résistance. De leur époque, les Ferhat Abbas, Aït-Ahmed et bien d'autres moins emblématiques s'étaient effectivement élevés contre la démonétisation des valeurs démocratiques que le novembrisme préconisait pourtant. Et cette dissidence parfois clanique ne pèsera pas significativement au point d'ébranler les bases d'un système de plus en plus hostile à la revendication d'une gouvernance de la liberté. L'Etat, désormais pétrifié, ne pouvait changer par lui-même, c'est-à-dire à partir de la composante de son militantisme. D'ailleurs, il devint de moins en moins un Etat de citoyens qu'un « Etat de fait », que le coup d'Etat de 1965 consolida durant un quart de siècle. Dévitalisé politiquement, le pays survivra en suspens jusqu'à cet octobre 1988 avant de sombrer à nouveau dans les affres d'un terrorisme islamiste dont il ne sut se défaire dans une première période. La démocratie restait alors à inventer, quitte à ce qu'elle émergeât au milieu de l'enfer des années 90. C'était justement de cette époque que date l'accouchement d'un Parlement à deux Chambres. Un pluralisme de pacotille et un pouvoir législatif binaire, lequel s'avéra très tôt comme un double verrou au service du pouvoir central tant et si bien que les vieilles coutumes de l'allégeance avaient vite fait de redevenir à la mode malgré les raccommodages constitutionnels et la comédie des urnes. Face à cette imposture, l'électeur devint à son tour un abstentionniste en puissance. Et si la sinécure du maroquin de député et les privilèges qui allaient avec ont constitué le déplorable spectacle de ce même Parlement, cette pratique n'a pas changé d'un iota dans sa relation avec le pouvoir exécutif. C'est dire que la connivence a toujours irrigué les soupapes de l'autocensure que l'on exigeait de la mécanique parlementaire. Une longévité qui serait due en partie aux carriéristes transfuges du système préhistorique du parti unique et dont l'hostilité aux réformes était notoire. Alors que la véritable séparation des pouvoirs est le principe fondateur de la démocratie, il ne se trouva pas la moindre annale parmi les 25 années d'existence du Parlement où figurait avec succès un vote de défiance à l'encontre du gouvernement. En s'accommodant d'un statut d'appendice légiférant sur la demande du chef de l'Etat, la majorité des députés ont intégré dans la conduite de leur carrière le principe « sacré » de l'allégeance. À ce propos, il faudra sûrement avoir en souvenir ce qui eut lieu à l'aube de l'indépendance pour retrouver quelques authentiques tribuns capables de malmener juridiquement les propositions du locataire du « Palais d'été ». Depuis, le parlementarisme algérien s'est régulièrement satisfait de quelques clercs. Autant rappeler que dans ce métier-là, l'on trahit souvent ! En clair, plus jamais l'appareil législatif ne se sépara de la sphère d'influence d'un « exécutif pesamment directif », comme l'avait qualifié un universitaire maghrébin. D'où la genèse de la culture du complot. En ces temps-là déjà, la démocratie était perçue comme la doctrine du désordre par les zaïms régentant les peuples comme le feraient des gourous. Les nôtres agirent aussi de cette manière à l'exception de Bouteflika qui ignora superbement ce qu'un Etat exige en termes d'ordre et de discipline, préférant lâcher la bride aux spécialistes du pillage auquel même le Parlement n'échappa pas. C'est dire que dans le contexte actuel, il ne suffira pas de culpabiliser uniquement une institution alors que le « grand changement » souhaité par la vox populi a été différé au nom de l'on ne sait quelles impératives raisons. B. H.