Depuis mars dernier, les Algériens ont vécu au rythme des confinements semi-partiels à domicile pour cause de crise sanitaire. Une situation inédite due à la pandémie de Covid-19. Les familles mononucléaires comme les foyers élargis ont eu à partager le même toit. Les humeurs des uns ont été confrontées à celles des autres. Des hommes qui, jusque-là passaient le plus clair de leur temps dans l'espace public, ne rentrant à la maison que pour dormir, sont restés cloîtrés dans cette sphère intime qu'ils avaient l'habitude de fuir pour moult raisons. Disputes dans le couple, tensions avec les autres membres de la famille, stress... Comment ce satané virus a-t-il impacté la vie des uns et des autres durant ces derniers mois ? Témoignages. Promiscuité et confinement ne font pas bon ménage Durant cette crise sanitaire, plusieurs horaires de confinement ont été imposés par le gouvernement pour tenter de faire baisser la courbe des contaminations: 15h, 19h, 23h. Actuellement, un confinement partiel est instauré à domicile entre 20h et 5h du matin. Une mesure qui est mal vécue par de nombreux citoyens à l'instar de Madjid, 27 ans. « J'habite à Belcourt dans un minuscule F2 avec mes 5 frères et sœurs, plus mes parents », se plaint-il. « Mes trois frères et moi-même avions l'habitude de rentrer vers 23 h, juste pour nous coucher sur des matelas en mousse posés à même le sol. Nous restions papoter dans le quartier avec ‘'ouled el houma''. C'est notre mode de vie à nous. Il n'y a rien à faire à la maison surtout quand on vit en promiscuité, et qu'il n'y a aucune intimité possible. Donc, nous passons le maximum de temps dehors. À cause de ces conditions de vie, je n'ai jamais respecté le couvre-feu. Je veille dans la cage d'escalier avec mes copains et ne rentre que pour dormir. D'ailleurs, je ne suis pas le seul à le faire. Toutes les cités populaires fonctionnent ainsi. Les terrasses, les parkings et autres halls d'immeubles où aucune présence policière n'est signalée abritent ceux qui ne peuvent pas se permettre le luxe d'être confinés, même si c'est à 20 heures .» Disputes en cascade De nombreuses femmes ont vu leur mal-être s'accroître depuis l'entrée en vigueur du semi-confinement. Nacima a 48 ans, elle est femme au foyer. Elle a servi de punching ball à son époux. « Mon mari travaillait dans un hôtel. Suite à la pandémie il a perdu son emploi. À ce malheur est venu se greffer un autre souci. Le fait d'être cloîtré à la maison l'a rendu fou. Il faut savoir que mon conjoint n'est pas du genre à rester regarder la télévision ou aider aux corvées ménagères. Privé de l'espace public dès 15h, il devenait nerveux et violent. Au début, c'étaient des insultes puis les coups sont arrivés. Même nos enfants n'ont pas échappé à ses foudres. J'avais l'impression d'être en récréation toute la matinée et une partie de l'après-midi car il était absent. Et puis, il rentrait à 15h et la prison se refermait sur mes enfants et moi-même. Un rien le faisait sortir de ses gonds. D'ailleurs, les voisins venaient toquer à la porte en l'entendant crier. Le jour ou le semi-confinement est passé à 20h, j'ai soufflé un peu. Mais j'ai toujours la boule au ventre. Il lui arrive encore de me chercher querelle pour des broutilles. Même s'il a retrouvé du travail, il se sent comme un lion en cage à l'idée d'être enfermé. Vivement la fin du calvaire. J'ai besoin de me réapproprier mon espace vital sans la peur de subir les colères de mon mari .» Tensions dans le couple, disputes à répétition, tout a basculé depuis le début de l'apparition de la Covid-19. Des mariages, qui étaient déjà sur le fil du rasoir, n'ont pas résisté au confinement. D'ailleurs, une hausse des divorces a été constatée dans le monde entier. Nawel, 41 ans, raconte : « Mon mariage battait déjà de l'aile avant. Être coincée à la maison avec un conjoint que je ne supportais plus et qui me le rendait bien n'a fait qu'envenimer les choses. Partager un espace commun lorsqu'on ne s'entend plus est juste un enfer. Après de nombreuses prises de bec, nous avons fini par nous séparer. J'ai une pièce chez mes parents avec ma fille, mais je suis désormais en paix avec moi-même .» Tensions dans les chaumières Confinement et promiscuité ne font pas bon ménage. Trois couples cohabitent dans une villa de type colonial au quartier de Saint-Eugène. Dans cette famille élargie, les disputes sont légion surtout depuis le confinement comme nous le raconte Sihem, 48 ans. « Habituellement, nos maris ne sont pas trop présents dans la sphère intime. Comme la majeure partie des Algériens, ils sortent le matin et rentrent tard le soir. Leurs espaces à eux ce sont les cafés, le bas des immeubles, les jardins publics, les squares... Ils n'aiment pas rester à la maison. Entre belles-sœurs, le courant ne passe pas toujours bien. On s'accroche souvent. Vous savez ce que c'est ! Le ménage, la répartition des corvées, les querelles de nos enfants... Mais la pandémie et les confinements ont accentué les tensions. Ce n'est pas évident d'avoir les hommes à la maison. Le confinement de 15h-6h du matin m'a traumatisée. Je suis passée par toutes les phases et j'ai terminé par une dépression nerveuse dont je me remets doucement .» Même partiel, le confinement dû à cette pandémie qui sévit depuis plus de 9 mois a attisé les pressions sociales, notamment à l'intérieur des habitations où l'espace est réduit à la portion congrue. Il faut alors déployer des trésors d'imagination et de douceur pour éviter les clashs. Mais ça, c'est une autre histoire... S. N.