Par Mohamed Benchicou Avant d��tre une bonne nouvelle, la lib�ration de Mohamed Gharbi est avant tout une sacr�e farce. Une de celles, plus nombreuses qu�on ne croit, qui ne doivent rien au hasard et que la providence nous offre parfois, juste pour rire, rire de la politique, de nous, de tout, rire en ces temps maussades, ou pour nous rappeler que ce jour du 5 juillet, pour ceux qui l�auraient oubli�, eh bien, c�est un jour de joie, une vieille promesse que la vie sera douce, parce que, comme dirait une vieille Isra�lite de Bab-El-Oued, parce que la vie c��tait surtout la poisse, et la poisse, ma fille, on en avait ras la ziza, t�y as compris ? Bref, Gharbi libre, ce fut une belle farce, � la Scaramouche : on attendait de voir sortir de prison ces 7 000 d�tenus islamistes que Bouteflika avait convenu de lib�rer � l�occasion de ce jour symbolique du 49e anniversaire de l'Ind�pendance, mais on vit, � la place, un vieux moudjahid de 75 ans, un patriote qui combattit Massu puis les islamistes avec un panache intact, un �ancien�, que notre justice, celle-l� qui prot�ge les ripoux et les amis, avait condamn� � mort pour avoir tu�, en f�vrier 2001, un terroriste repenti qui le narguait et le mena�ait, dans sa ville natale de Souk Ahras. Mais que fais-tu donc dehors, Gharbi ? Ton sort �tait scell�. Tu ne lis pas les journaux ? Car enfin, il y a bien un arr�t de la Cour supr�me rendu en juillet 2010 qui te condamnait � la peine capitale ! C�est s�rieux, la Cour supr�me ! Enfin�. C�est s�rieux pour les gens comme toi et moi. Pour moi, ils ont bien �gar� mon dossier, mais ils l�ont vite retrouv� du c�t� d�El-Mouradia. Pour toi, ils ont retrouv� l�accent solennel. J�entends encore le pr�sident de la chambre criminelle de ladite Cour supr�me cl�turer les d�bats d�un air grave. �L�affaire est close !� Ta vie, tout d�un coup, d�pendait du chef de l�Etat qui, seul, pouvait promulguer une gr�ce. Il aurait pu, mais il ne l�a pas fait. Mais entre Gharbi et les islamistes, Bouteflika avait choisi les islamistes. Question de strat�gie de pouvoir. Il aurait pu. Par reconnaissance d�abord : Mohamed Gharbi a consacr� sa vie � se battre pour ce pays, contre les soldats fran�ais puis contre ceux de l�int�grisme islamiste. Par bon sens, ensuite : Mohamed Gharbi n�est pas un assassin ; il a �t� contraint � l�acte irr�m�diable. Pas une seule des plaintes d�pos�es par Mohamed Gharbi contre Ali Merad n'avait trouv� �cho aupr�s des autorit�s locales. Que veux-tu ? Bouteflika a, d�embl�e, consid�r� le geste de Gharbi comme un dangereux pr�c�dent contre sa politique �r�conciliatrice�, un geste qu�il convenait de punir s�v�rement pour ne pas �d�sesp�rer� les futurs repentis. Il y a m�me tout lieu de croire que c�est sur injonction de la pr�sidence de la R�publique que la premi�re condamnation de Gharbi � 20 ans de prison ferme, d�cid�e par le tribunal criminel de Guelma, en janvier 2004, fut aggrav�e en une peine � la perp�tuit� en appel en mars 2007, avant d'�tre transform�e carr�ment en condamnation � mort � l�issue d'un troisi�me jugement ! Condamner Gharbi, c��tait signifier aux futurs terroristes repentis que l�Etat est � leurs c�t�s et qu�il veillait � leur s�curit�. Un mois avant que tu n�abattes le �repenti�, le 11 janvier 2001, Bouteflika �tait venu jusqu�� Batna, tout pr�s de toi, pour appeler les femmes � ne pas �provoquer les repentis et cesser de fumer dans la rue�, les exhorter � �c�der un peu� de leurs libert�s individuelles pour ne pas �heurter la sensibilit� des repentis�, de ne plus les narguer �en bombant le torse�� Mais tu ne l�as pas �cout�. Tu aurais appris, si tu avais pr�t� oreille, tu aurais appris � voir dans chaque repenti un Laurel ��gar�, t�tu, gaffeur, terroriste certes, mais so friendly, tellement sympathique, qu�on lui pardonne tous ses meurtres comme on les pardonnerait � son propre fils. Oui, une vraie farce ! Qui a lib�r� Gharbi ? Certainement pas le pr�sident Bouteflika. C��taient les islamistes qui devaient sortir de prison, ce 5 juillet, pas toi ! C��tait dans tous les journaux. Ah, tu ne lis pas les journaux� Sache quand m�me que c�est rapport� par Reuters, une agence de presse cot�e en Bourse, qui le tenait de Hachemi Sahnouni, un fondateur du FIS, �oui, le chef de l�Etat va bel et bien gracier les d�tenus islamistes� Cela se confirme de jour en jour�� C�est dire que c��tait s�rieux, m�me si Ahmed Ouyahia avait d�menti. Mais quoi ! Le pr�sident avait donn� sa parole et Hachemi Sahnouni, en homme pieux, s��tait laiss� naturellement emporter par sa foi de charbonnier, gobant, sans aucun examen, la promesse du pr�sident, allant jusqu�� ajouter du sel � l�affaire en jouant au joyeux d�lur�, se moquant du Premier ministre Ahmed Ouyahia : (�Existe-t-il deux pouvoirs qui dirigent le pays ? Comment peuvent-ils confirmer d�un c�t� la d�cision de lib�rer les d�tenus et la d�mentir de l�autre ? Si Ouyahia n�est pas au courant de la situation, il n�avait qu�� faire comme le ministre de la Justice et dire tout simplement qu�il ne sait pas�). Seulement voil�, ce 4 juillet, le pr�sident de la R�publique a d� se d�savouer. On l�a vu, en effet, signer des mesures de gr�ce au profit des d�tenus et en exclure� les islamistes ! Si tu lisais les journaux, tu aurais rigol� � ce communiqu� de la pr�sidence de la R�publique si brillamment cynique, clamant haut et fort que �ne b�n�ficient pas de ces mesures les d�tenus condamn�s pour avoir commis ou tent� de commettre certains faits �num�r�s limitativement, notamment les faits de terrorisme�. Sahnoun ce jour-l�, le jour de ta lib�ration, connut le secret de Chaplin : s�il a pu tant nous faire rire en pastichant Al Capone, Bugsy Siegel ou Lucky Luciano, c�est qu�il y avait, dans les luttes de clans, un c�t� burlesque tout � fait insoup�onnable que seuls savent perp�tuer les artistes de talent, Robert de Niro en campant dans Mafia blues, le r�le d�un ca�d de la p�gre d�pressif ou Silvester Stallone, en parrain pas tr�s dangereux aux prises avec les caprices de sa fille dans Oscar, de brillants acteurs qui finirent de nous convaincre que la grande famille des parrains, quand elle s�y met, pouvait, finalement, �tre aussi dr�le que les Simpson. Ah, oui, tu sortis de prison un jour d�sopilant et ce fut une belle farce, une farce in�narrable qui bouleversa, du coup, les r�gles du burlesque. O� diable la classer ? Dans le th��tre, on avait invent� la com�die, le vaudeville, la bouffonnerie, la parodie, le sketch, le pastiche, la satire, la clownerie, l�arlequinade, la fac�tie� Mais ��a�� Comment le cataloguer ? Ah ! peut-�tre dans la pantalonnade, qui n�est pas ce que vous pensez mais, dans le th��tre italien, une posture comique assez dr�le dans laquelle excellait le pantalon, qui n�est pas non plus ce que vous pensez, mais un personnage du th��tre v�nitien qui porte traditionnellement cette sorte de culotte et qui a laiss� son nom pour d�signer un homme sans consistance ! Depuis ta sortie de prison, on a m�me fini par savoir que �pantalonnade� veut dire, en m�me temps que ce que vous pensez, subterfuge grotesque pour sortir d�embarras. Alors, je crois bien que, faute d�ant�c�dents dans le genre th��tral, l�on soit oblig� de raconter plus tard que ta lib�ration participa d�une pantalonnade tout � fait remarquable d�adresse et d�inventivit� et dont on rirait volontiers si elle ne venait apr�s dix ann�es de cachot. Que fais-tu dehors, Gharbi ? On attendait les islamistes. A l�air libre, ta silhouette avait quelque chose de surr�aliste. J�entends encore le pr�sident de la chambre criminelle de ladite Cour supr�me cl�turer les d�bats d�un air grave. �L�affaire est close !� Il �tait fier d�avoir d�truit tes derniers espoirs de libert�. C��tait le 5 octobre 2010. Un 5 octobre, tu t�en souviens ? Notre juge avait d�truit tes derniers espoirs de libert�, un 5 octobre, comme pour se venger de l�automne, saison des martyrs, l�automne que les enfants de cette terre ont toujours choisi pour mourir, depuis ta nuit de la Toussaint rouge dans les Aur�s, ce 11 d�cembre brumeux devant les maisonnettes de Belcourt ou ce 5 octobre, au d�part du dernier lis blanc et du premier ch�vrefeuille� Il te rappelait qu�il fut un temps o� vous �tiez jeunes et beaux, quand tu r�vais pour ta terre de la plus belle robe de soie et que vous avez manqu� de linceuls pour les cadavres de vos enfants� Tu lui diras un jour pourquoi vous avez fait de l�automne la saison de vos martyres, peut-�tre parce que l�automne ressemble � la grisaille de vos vies ou, qui sait, parce qu�il rappelle la sobri�t� de vos esp�rances� Oui, ce jour o� tu sortis de prison, nous r�mes beaucoup, et certains oubli�rent que l�ind�pendance fut un sortil�ge o� nous n�avons pas cess� d�esp�rer pour nos enfants ce que nos p�res avaient esp�r� pour nous, qu�on attend toujours la fin de la nuit, terre de sang et de mirages, et de prendre le th�, enfin, sous ton coucher du soleil, ce soleil qui ne s�y est pas lev� apr�s ta guerre, Gharbi, toi qui repris le fusil, un soir, pour traquer l��ternit� de la nuit.