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C'est ma vie
La vieille aux fagots de bois retourne à sa terre
Publié dans Le Soir d'Algérie le 18 - 10 - 2014

Accroupie sous un olivier centenaire qui a presque son âge, la main droite tentant maladroitement de maintenir bien noué le foulard revêche qui cache ses cheveux asséchés par le temps, la vieille scrute un point à l'horizon qu'elle seule voit.
Dans ses méditations, elle s'oublie et tressaillit à la vue de l'étranger. Et nous vîmes ses yeux habillés de nostalgie. Elle revenait d'un long voyage qui la décrivait escaladant la montagne avec celles de sa génération pour faire la provision de bois pour passer l'hiver au chaud dans ces montagnes glaciales.
Les pieds nus foulaient les pierres écrasant les ronces. Les épines, pourtant tel l'acier, n'avaient aucune prise sur ces pieds protégés par une double peau rugueuse née des multiples meurtrissures infligées par les blessures et qui se sont transformées au fil du temps en bouclier de chair. Dans un rite célébrant la nature, les chants louant Dieu, les hommes et la vie conféraient à la tâche de ramassage de bois une fonction théâtrale. Puis vint la saison de la cueillette des olives. Et la voilà avec son couffin et sa gaule sommaire sur un olivier balançant dangereusement ses branches dans le vide au- dessus d'un escarpement rocheux où toute chute serait mortelle. La branche est si frêle qu'elle ploierait sous le poids d'un oisillon. Mais pas de nna Zahra Thaamarats qui y évolue allégrement comme sur un nuage sous les hurlements du vent. Au sol, aucune drupe n'échappait à ses yeux de braise. Dût-elle se réfugier dans la plus invisible des ornières. Car chaque olive compte... Les images qui défilent haranguent le ciel chargé d'amertume. Et la tempête de neige s'abat sur le village formant une couche si épaisse qu'elle engloutirait un cheval. Mais la femme poursuit inlassablement sa tâche ingrate, bravant le froid jusqu'à l'arrivée du printemps qui lui accorde quelque répit. La saison de toutes les couleurs, des ruisseaux qui sourdent et de l'eau qui jaillit de partout n'est appréhendée ni pour sa poésie ni pour les douces senteurs de sa flore mais pour ses potagers naturels parsemant la montagne regorgeant d'asperges et de champignons. Et nna Zahra raffole de cette gastronomie simple des gens de la montagne alors secouée par la misère qui vous tenaille les entrailles.
L'été arrive alors avec son lot de poussières, de soif et de chaleur asséchant les ruisseaux. Il faut alors aller loin chercher l'eau ramassée à la cuillère et la remonter sur la tête écrasée sous le poids de la cruche. Un jour, trompée par l'éclat de la pleine lune, elle sortit en pleine nuit courant à la fontaine lointaine croyant avoir été précédée par les voisines.
Arrivée là, ses cheveux se dressèrent sur sa tête en se rendant compte de sa méprise. Et elle rebroussa chemin volant, plutôt que courant, prise de panique... Le jour, il faudra assister les hommes sur l'aire de battage du blé sous un soleil de plomb. Et le soir veiller derrière le métier à tisser, les yeux rivés sur ses trames. C'est de l'un de ces métiers à tisser qu'a été confectionnée la précieuse couverture de laine que lui a léguée sa mère en 1939. Jamais la couverture ne l'a quittée depuis. Car, sans ce tissu aux teintures aujourd'hui défraichies, impossible de trouver le sommeil. C'est toutes ces images qui défilent aujourd'hui devant les yeux autrefois de lynx de la vieille femme mais qui, aujourd'hui, sont voilés par la cataracte.
- Qui c'est cet homme ? Donnez-lui à manger, il doit avoir faim.
- Non, c'est un ami, il est venu te dire bonjour, réplique son fils la gorge nouée par l'émotion. Et la voilà lancée dans ses inénarrables contes, racontant toute cette lointaine vie tumultueuse, remontant l'ascenseur du temps avec la précision d'une horloge. Un temps dont elle était reine et souveraine des péripéties qui vous enchantent par leur misère vaincue. Une vie de lutte et de combat sans répit pour la survie dans cet univers implacable dont les résonances rythment encore aujourd'hui le quotidien de cette femme qui ne se plaint jamais. Elle est vieille mais sa mémoire est infaillible. Tenace, elle préfère la cave humide à l'imposante maison de son fils unique située à l'étage.
Deux mondes superposés auxquels elle préfère le sien et celui de ses semblables. Dans un coin du débarras, elle a aménagé un kanoun et s'est entourée de tous les vieux ustensiles d'autrefois déménagés de la bonne vieille maison traditionnelle. Et les effluves du café qu'elle prépare à même la casserole qui sert en même temps de bol envahit alors toutes les maisonnées qui s'apprêtent à recevoir les arômes de la soupe aux épices locales dont elle arrose le bons vieux couscous à la semoule d'orge roulé avec ses doigts de fée. Le sol encore en terre battue est minutieusement nettoyé et raclé par la vieille qui préfère encore ses souliers de caoutchouc aux flamboyantes chaussures venant tout droit des magasins de Paris où son défunt conjoint possédait des biens qui faisaient de lui un homme d'une grande notoriété. D'une élégance raffinée, il menait un train de vie qui laisse dubitatif. Avec son mari elle avait vécu une vie heureuse.
La vieille femme n'avait jamais fait acte d'ostentation pour faire prévaloir sa situation familiale. Mieux, elle était l'archétype de la solidarité au point où sa maison est devenue le rendez-vous des gens démunis. Elle a passé sa vie à aider, secourir et conseiller ses proches dans la plus grande discrétion léguant ce trésor affectif à sa bru, tendance au bien et à l'amour de l'autre qu'elle-même avait héritée de son défunt mari dont l'hôtel-restaurant accueillait autrefois gracieusement tous les jeunes du village fraîchement débarqués en attendant de se stabiliser.
Il avait un confort qu'il partageait avec les autres et des biens qui faisaient de lui un homme respecté. Conscient des enjeux de l'heure, il fréquente alors les cours du soir. On ne devient pas «régional justice» dans l'ex-Fédération du FLN en France si on n'a pas cette culture militante et cette intelligence politique qui fait qu'on est ou qu'on n'est pas fait pour défendre une cause. Avec ce mari qui avait un look d'enfer, elle avait vécu une vie heureuse et pleine. Quand bien même elle fut brève... C'était le destin des femmes de l'époque.
Nna Zahra a pourtant vécu les affres de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre de Libération nationale. De la première, elle a été marquée par les horreurs du typhus et de la misère qui a transformé les campagnes en cimetières, les fossoyeurs devenant vite des fossoyés et les enterreurs des enterrés. C'est pour exorciser toutes ces douleurs et ces souffrances inhumaines que les femmes d'autrefois étaient dotées naturellement de voix de chanteuses d'opéra et déclamaient des poèmes envoûtants. Et nna Zahra hypnotise son auditoire par ses Ahihas et ses Achewiq qui fendent l'âme et ravivent les flammes, entonnés sous l'olivier nourricier en promesses à des saisons généreuses.
Nna Zahra n'a cure de l'argent. Les petits billets et la menue monnaie qui constituent sa richesse sont jalousement gardés dans sa petite bourse de tissu épinglée dans son achiwi, refusant les liasses que lui tendait en douce son fils.
A la magnifique baignoire sise à l'étage, elle préfère tharkount qu'elle a aménagée dans un autre coin de la cave qui sert également d'étable à son inséparable brebis qu'elle gave d'herbe et de foin arraché à la terre ingrate de sa propre faucille usée par le temps. Et le temps a eu raison de Nna Zahra dont il ne reste de ses yeux perçants qu'une lueur blafarde qui éclaire encore ses yeux luisant d'une tendresse infinie. Ce qui ne l'empêche pas de conserver bien au secret son petit miroir qu'elle scrute non pour se regarder mais pour faire des haltes rétrospectives sur un troublant passé qui la poursuit inlassablement. Elle s'y voit tantôt bercée par les contes et les chants de sa mère, porter vigoureusement les fagots de bois sous la neige et la fournaise de l'été sans jamais plier ou poussée vers la fontaine par une horde de femmes endimanchées et ornées de bijoux d'argent le jour de son mariage. Jeune, nna Zahra était aussi belle que le printemps avec ses flopées de papillons multicolores zébrant le ciel de leurs majestueux battements d'ailes et d'abeilles butinant de fleur en fleur dans les champs verdoyants.
De cette beauté scellée par un tatouage au code secret du cou au milieu du menton, elle a gardé la sérénité des jours d'espoir pour sa famille, ses enfants et ses petits-enfants qu'elle couve de bénédictions et dont l'un s'est marié cet été. Nna Zahra ne sait pas monter en voiture. Triste sort pour celle qui a escaladé les montagnes et surfé sur les nuages. Aujourd'hui encore, elle préfère déguster un bout de galette ou de pain imbibé d'huile à tout autre nourriture.
Un des secrets de sa longévité qui la menait tout droit vers la centaine d'années. Et aussi de son intelligence dont elle a transmis les gènes à ses petits-enfants. L'un d'eux est en passe de défier toutes les polyvalences, lui qui fait de l'écriture romanesque, de la poésie, du cinéma, de la musique, de la philosophie, de la comédie et bien d'autres choses aussi belles et croustillantes les unes que les autres. Mais avant, elle veut recouvrer la vue sans laquelle elle dit ne pouvoir supporter de vivre, elle qui fait de la lumière son horizon. Un horizon qui a failli s'obscurcir pour elle définitivement un jour d'été en voyant son oliveraie en proie aux flammes suite à une expédition punitive de l'occupant sur AIt-Feraâch. Car pour nna Zahra Thaamarats, l'olivier c'est la vie. Et la vie a décidé de la quitter cette semaine. Subrepticement, elle a quitté ce monde, retournant à la terre qu'elle a longtemps binée et sarclée. La mort ne l'a jamais effrayée. Elle l'attendait de pied ferme...


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