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LES CHOSES DE LA VIE
Meriem El Aggouna, le buveur de Jack Daniel's et Hadj Bouftou...
Publié dans Le Soir d'Algérie le 03 - 12 - 2015


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C'était un moment d'intimité. Le buveur de Jack Daniel's avait disparu derrière le lourd portail du cimetière européen. Meriem El Aggouna et moi étions restés à l'extérieur. La jeune femme avait l'air triste. Ses yeux se perdaient dans les dédales de la ville qui s'étendait devant nous. Pensait-elle à sa fille ? Ou à sa jeunesse perdue... Je ne voulais pas briser ce silence lourd de sensations...
Une quinzaine de minutes plus tard, le pied-noir apparaissait, l'air triste. Des larmes coulaient sur ses joues roses. D'un geste de la tête, il nous invita à reprendre notre chemin... Je ne voulais pas interrompre ce qui me semblait être le prolongement d'un moment de contemplation et de prière. Dans cette ville au décor surréaliste – Ce n'est plus «notre» Alger, mais Shanghai sur Méditerranée —, j'errais en compagnie de deux êtres qui portaient dans leur chair toutes les contradictions et les douleurs profondes de cette terre d'Algérie à l'histoire mouvementée...
Au cours de ma longue carrière qui venait de rentrer, le 4 février 2009, dans sa quarante et unième année, j'avais pris l'habitude de fustiger les colons pour tout le mal qu'ils avaient fait à mon peuple, réduit à l'état d'esclavage sur ses propres terres ! Et, par extension, j'en voulais à tous les pieds-noirs. Formé à l'école révolutionnaire, j'étais peut-être aveuglé par la haine. Car, au fond, en quoi étais-je différent de ces racistes qui, sur l'autre rive, continuaient de rêver à l'Algérie française et considéraient les miens comme des «bougnouls»... Ces pieds-noirs n'étaient-ils pas, eux aussi, victimes de cette même histoire qui a installé les guerres, les deuils et la haine sur notre territoire ? Arrière-petits-fils de paysans pauvres et sans terre ou de déportés ayant choisi l'émigration pour ne pas mourir de faim et de froid, n'étaient-ils pas, eux aussi, en droit de se réclamer de cette terre qui les a vus naître ? N'avaient-ils pas le droit d'aimer ce pays qui était leur seul horizon et le creuset de tous leurs espoirs ? Nés ici, ils avaient également leurs parents, grandsparents et aïeuls enterrés ici !
Nous leur en voulions parce qu'ils étaient pour l'Algérie française ; parce que, majoritairement, ils s'opposaient, parfois violemment, à notre indépendance ; parce qu'ils voulaient maintenir coûte que coûte le système injuste et défavorable aux nôtres... Mais c'étaient des êtres humains comme nous... En dépit de tout ce qu'ils avaient fait à nos mères et à nos pères, pouvions-nous comprendre un jour qu'ils adoraient passionnément ce pays où sont enterrés à jamais leurs souvenirs, leurs rêves et les restes de leurs parents ?
Je pensais à tout cela en regardant le buveur de Jack Daniel's dévaler la pente qui nous menait vers la corniche. A le voir se détacher dans la lumière crue de cette journée ensoleillée, dominant un paysage où s'étalait à n'en plus finir la Méditerranée, j'avais l'impression qu'il était fait pour ne vivre qu'ici et que, dans tout autre paysage, il aurait été une fausse note. Comme s'il lisait dans mes pensées, le pied-noir s'arrêta et contempla longuement l'immense baie qui s'étendait devant lui... «Mon Dieu, comme c'est sublime ! Je n'ai jamais revu rien de pareil. J'ai revu des baies enchanteresses et des bouts de rivages bercés par tant de soleil... Mais jamais je n'ai éprouvé ce que je ressens maintenant. Les hauteurs de Saint-Eugène, c'est le paradis sur terre. Puis-je demander au gouvernement l'autorisation d'être enterré ici, dans ce même cimetière où dort ma tribu ?» Je n'avais aucune réponse à lui donner... Avec ces millions de Chinois qui n'avaient pas tous les moyens de rapatrier les corps de leurs morts vers la Chine, le problème des espaces pour les cimetières n'allait pas tarder à se poser au gouvernement de Ouyahibelkha et la demande du pied-noir risquait de rester au fond d'un tiroir... Nous-mêmes, Sardèles, n'avions pas ce privilège. Là-bas, dans notre nouveau pays, sur les collines abruptes où s'étaient installés nos premiers villages, nous n'oubliâmes pas de réserver des surfaces à nos chers disparus. Bien sûr que le vœu de tous était de retrouver la terre algérienne pour l'ultime voyage, mais les premières demandes furent refusées, avec cette curieuse réponse, envoyée par un sous-fifre de la commission des étrangers : «Vous avez été rayés de la liste des citoyens algériens. Vous avez choisi une autre terre pour vivre. Qu'elle soit votre tombeau !»
Je regardais maintenant Meriem El Aggouna. Sa frêle silhouette, ballottée par les vents du large qui montaient jusqu'à nous, semblait prête à s'envoler tant elle paraissait vulnérable ! A ce moment-là, je réalisais que si, par malheur, elle glissait pour finir au bas de la colline, nous aurions perdu le peuple algérien tout entier. Alors, je me mis à ses côtés, près à la retenir au cas où... A quoi pensait-elle maintenant ? Certes à son cher enfant retenu par les services du gouvernement dans une villa secrète des hauteurs d'Alger... Nous l'aimions tous ce bébé qui représentait l'autre moitié du peuple algérien ! Et nous aurions voulu le voir près de sa mère, cajolé et caressé par celle qui l'avait enfanté ! Cela aurait pu être le seul et unique plaisir de Meriem qui avait connu les affres de la pauvreté et du dénuement dans une Algérie faite sur mesure pour les riches et les gens du pouvoir. Sans oublier ce handicap qu'elle traînait depuis sa naissance : elle était muette !
Que pouvait-elle retenir de cette vie ? Une maman malade obligée de séjourner à l'hôpital les trois quarts du temps, un père inconnu, un gourbi à la périphérie de Oued Rhiou et la misère comme horizon... Enfant du petit peuple fréquentant une école pour handicapés située à une vingtaine de kilomètres, elle eut toutes les difficultés du monde à s'insérer... Déjà que l'école pour enfants valides était loin de remplir son rôle de formatrice d'esprits libres et d'éveilleuse de consciences citoyennes, que dire des classes pour sourds-muets ? Par la suite, elle suivit tant bien que mal les cours de couture dans un centre de formation professionnelle et décrocha un diplôme qui lui permit de trouver un emploi dans un atelier privé. Ce dernier s'apparentait beaucoup plus à un commerce clandestin tant les conditions de travail étaient précaires et les salaires dérisoires. Mais il fallait s'accrocher pour payer les médicaments de sa maman et les autres frais...
La vie devenait de plus en plus chère et le patron, un certain Hadj Bouftou, ne voulait rien savoir. Un jour, insultée par le contremaître qui voulait abuser d'elle et qui fut refroidi par un violent coup de pied là où vous pensez, Meriem fut tellement en colère qu'elle retrouva la parole ! Miracle ! Ce qui allait devenir, plus tard, le peuple algérien, avait subitement retrouvé la parole !
Elle s'en alla, d'un pas décidé, vers le bureau de Hadj Bouftou qu'elle ouvrit d'une ruade, avant de lui balancer ses quatre vérités : «Tu fais travailler des gamins et c'est interdit par la loi. Tu ne nous payes pas au Smig, et c'est interdit ! Nous ne sommes pas déclarés à la Sécurité sociale, nous n'avons pas droit à un seul congé, cette cave est bonne pour les rats, il n'y a pas de transport et nous avons du mal à trouver un taxi dans ce coin perdu, ton contremaître nous insulte et veut nous abaisser ! Tout cela est interdit...» Pour toute réponse, elle reçut une gifle et cette réponse de Bouftou : «Tu seras interdite de venir ici ! Reviens le jour où tu porteras un hidjab»...
M. F.
(Extrait du roman écrit en 2009 et qui n'a jamais été publié, La Grande Harba... peut-être, bientôt, sur les étals des libraires...).


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