Seize années après son accession au pouvoir, Abdelaziz Bouteflika aura fini par «honorer» son plus ancien engagement : une révision en profondeur de la Constitution. Il ne l'a jamais caché et il le déclarait publiquement, depuis avril 1999, «cette Constitution ne me convient pas». Il ne cessait d'accuser ses prédécesseurs «les présidents stagiaires», comme il les nommait, d'avoir, chacun, confectionné «un costume sur mesure», entendre les Constitutions de 1996 de Liamine Zeroual et de Chadli Bendjedid de 1989. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - Comme pour se venger de l'Histoire, Bouteflika ne se contentera pas de dénoncer la Constitution, mais se fera un malin plaisir à passer outre, à chaque fois que l'occasion se présentait. Pourtant, et durant son premier mandat, Bouteflika ne fera qu'un seul amendement constitutionnel, sous la pression des événements de la Kabylie. C'était en 2002. Bouteflika, qui, trois années auparavant, au cours d'un mémorable meeting animé à Tizi Ouzou, déclarait que «tant que je serai là, tamazight ne sera jamais ni langue nationale, encore moins officielle», surprendra tout le monde : il convoquera une session extraordinaire du Parlement pour approuver un amendement constitutionnel, l'article 3 bis qui stipulera que «tamazight est également langue nationale». Le reste, tout le reste, il le promettra pour l'après sa «réélection» en 2004. Mais, immédiatement après le 8 avril 2004, il se consacrera entièrement à son projet, «la réconciliation nationale». Le cap sera mis sur son deuxième référendum, celui du 29 septembre 2005. Comme pour la «concorde civile», Bouteflika jettera toutes ses forces dans la bataille en menant notamment une campagne électorale des plus énergiques. Il sillonnera le pays pendant trois semaines, sans interruption, multipliant ses harangues et ses discours, des bains de foule mobilisant à l'occasion, et comme d'habitude, tous les moyens de l'Etat. Cet investissement personnel et hautement généreux, Bouteflika le payera juste après cette campagne pour le référendum de 2005. En novembre, il sera ainsi victime de son premier grave accident de santé, nécessitant une urgente évacuation à l'hôpital militaire français du Val-de-Grâce. Il ne regagnera le pays que le 30 décembre mais, déjà, l'homme n'est plus le même. A partir de cette date, Bouteflika ne sera plus jamais ce Président hyper-actif, omniprésent dans les médias, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, intervenant en permanence et en présence des caméras dans un style bien à lui. Depuis, effectivement, il réduira ses activités à leur plus simple expression, tout juste le minimum vital pour le bon fonctionnement de l'Etat. Même les réunions du Conseil des ministres ne se feront qu'occasionnellement. Paradoxalement, c'est à partir de cette période qu'il...musellera carrément son gouvernement. Le chef du gouvernement sera drastiquement réduit dans ses prérogatives avant même la révision de la Constitution. A telle enseigne qu'à partir de 2007, Bouteflika interdit les réunions hebdomadaires du Conseil du gouvernement, lequel est également privé du droit de faire des communiqués, un privilège réservé exclusivement depuis au Conseil des ministres que Bouteflika préside. Le gouvernement devra, dès lors, se contenter de simples réunions hebdomadaires, quasiment clandestines, car privé de médiatisation. Pour mieux se faire comprendre, Bouteflika ordonnera à la télévision nationale de ne plus assurer les couvertures médiatiques des activités ministérielles ni d'aucune autre institution. Pendant des mois, on a eu ainsi droit à des journaux télévisés où toutes les activités officielles sont présentées brièvement, avec seulement l'image, mais jamais le son. Seul Bouteflika ouvrait droit à ce privilège. Sauf que, pour les besoins du troisième mandat, l'on rouvrira tout : il fallait bien préparer l'opinion à l'amendement constitutionnel prévu de longue date par Bouteflika. Ce sera fait en novembre 2008. Après une longue campagne «carnavalèsque», faite de visites présidentielles incessantes à travers tout le pays, et des milliers de motions ou de déclarations «exhortant Son Excellence» à amender la Constitution et à postuler pour un troisième mandat, Bouteflika accédera à «ce vœu de la nation», en procédant à la suppression de la limitation des mandats introduite par Zeroual dans la Constitution de 1996 ! Au passage, il y introduira une trentaine d'autres amendements dont, notamment, ceux remplaçant la fonction de chef de gouvernement par celle de Premier ministre avec des prérogatives à peine dépassant celles d'un chef de daïra. Le pouvoir, tout le pouvoir, sera désormais réduit à la seule fonction qui compte, en vertu de la Constitution amendée de 2008, celle de président de la République. N'empêche, Bouteflika s'engageait à procéder à une autre révision, «en profondeur », de la même Constitution. Ce sera même le thème phare de sa campagne électorale pour la présidentielle du 9 avril 2009. Or, ce dossier sera vite oublié, dès sa reconduction à la tête de l'Etat. Un dossier qui ne ressortira, comme d'habitude, que sous la pression des événements. En pleine tempête dénommée abusivement «printemps arabe» Bouteflika sortira cette carte, «les réformes politiques», dans son fameux discours à la nation, le 15 avril 2011. La révision constitutionnelle constituant, bien sûr, le cœur même de ces réformes. De suite, il chargera Abdelkader Bensalah de conduire, en son nom, de vastes consultations nationales à ce sujet. Bensalah lui remettra son rapport final dans les délais. Un rapport qui sera tout simplement mis sous le coude. En réalité, Bouteflika avait en parallèle mis sur pied une commission restreinte chargée de lui préparer le texte final qu'il devait faire adopter en mai 2013. Auparavant, le Premier ministre Abdelmalek Sellal avait été chargé de mener d'autres consultations avec les partis politiques et d'installer une commission technique, dite la commission Kerdoune, du nom de son président et constituée de juristes. La révision prévue en mai 2013 devait en même temps constituer le coup de starter pour préparer l'opinion à l'annonce d'un quatrième mandat. Mais voilà que le 27 avril 2013, Bouteflika sera victime d'un autre accident de santé, ravageur celuilà, et dont il ne s'est plus jamais remis pratiquement. En tout cas, il s'en est sorti mais avec des séquelles très lourdes. Le quatrième mandat est donc imposé dans les conditions que l'on sait et, comme pour le justifier, Bouteflika remet sur la table le même projet de la révision constitutionnelle, avec de nouvelles consultations nationales dont sera chargé le ministre d'Etat, directeur de cabinet, Ahmed Ouyahia. Après des mois d'un autre travail, en commission restreinte et demeurée secrète, des hésitations de changement des membres de ladite commission, et donc nécessairement du contenu de certains amendements, Bouteflika se décide enfin à faire aboutir son projet. Un projet qui consacre tamazhight comme langue officielle, la liberté de la presse, la liberté de culte et plein d'autres libertés individuelles mais qui ne remet aucunement en cause la nature globale du régime qui demeure dominé par le président de la République. En amont comme en aval.