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Sykes-Picot : les leçons géopolitiques
Publié dans Le Soir d'Algérie le 22 - 06 - 2016


Sykes-Picot : l'omniprésence
Le centenaire de Sykes-Picot n'est pas passé inaperçu. Il a été abordé par plusieurs analystes et chercheurs dont plus particulièrement Robin Wright dans The Atlantic, David Ignatius dans le Washington Post, Daniel Pipes dans son blog personnel et, enfin, David Garfinkle dans un article publié dans Foreign Affairs, du 16 mai 2016, intitulé The Bullshistory of Sykes-Picot.
Cependant, si cet événement charnière dans l'histoire des relations internationales interpelle à plus d'un titre, notamment les élites au pouvoir, une focalisation exagérée sur son objet qu'est le démembrement de l'empire ottoman dans ses aspects événementiels risque de se faire au détriment d'une lecture plus rationnelle et réaliste devant tenir compte des lois de la géopolitique et non pas de la rhétorique émotionnelle qui entoure ce fait. Autrement dit, trop d'emphase sur lesdits accords et leurs retombées, notamment sur le destin des peuples de la région du Moyen-Orient, occulte, en premier lieu, un examen perspicace et critique, quoique décontextualisé, des circonstances qui ont entouré l'éclatement du dernier ensemble musulman, à savoir l'Empire ottoman et l'abolition subséquente du califat, tant à l'intérieur de la région concernée qu'au plan de la politique globale de l'époque.
A cet égard, rappelons-nous bien que Sykes-Picot ne fut pas l'acte colonial suprême puisqu'il avait été précédé puis suivi de nombreux conclaves dont l'Accord de Constantinople du 18 mars 1915, le Traité de Londres du 26 avril 1915, celui de Saint-Jean-de-Maurienne du 17 avril 1917, et plus tard, et comme couronnement de ce processus dépeceur, le Traité de Sèvres de 1920. Celui-ci consacra le démembrement de l'Empire ottoman. Cependant, ce n'est pas lui qui mit fin à l'empire et au califat ottoman mais plutôt la Turquie qui l'abolit en 1924, au nom de la République turque laïque.
Sykes-Picot : une conséquence d'un déclin arabo-musulman
Aussi, les questions liées aux déterminants réels de Sykes-Picot et à ceux des circonstances structurelles qui ont facilité la concrétisation des desseins des puissances victorieuses de l'époque dont notamment la France et la Grande-Bretagne et à la validité du tout pour la politique internationale actuelle sont-elles très utiles à examiner pour les besoins de l'analyse géopolitique.
Pour ce qui est des premiers, Garfinkle les a récapitulés dans le désistement de l'empire ottoman observé depuis plus d'un siècle avant la date fatidique de 1924 ; la compétition, à somme nulle, entre les puissances impériales sur les dépouilles de l'Empire ottoman, devenue globale ; et le principe de légitimité impériale qui a cédé la place à celui de l'auto-détermination. C'est sur ce dernier, qui est moralement supérieur, que les alliés ont pu s'appuyer, car ils ne pouvaient dépecer l'Empire ottoman comme un butin de guerre. D'où l'invention de l'idée de mandats, liée à la Ligue des nations. Ces mandats devaient, et uniquement en théorie, conduire les territoires des anciens empires suscités vers une indépendance souveraine (Garfinkle, 2016).
S'agissant du désistement de l'Empire ottoman, alors seul légataire de la légitimité politique en terre d'islam, à l'origine un califat, il soulève la question centrale relative à l'étiologie de son déclin ! Si plusieurs commentateurs ont souligné que ce déclin était déjà visible dès le XVIe siècle, sa cause essentielle résidait dans l'échec moral et dans l'incapacité du sultan et de ses hauts responsables à préserver le système politique et administratif. Dans ses écrits datant de 1630, Kuchou Bey, l'un des hauts responsables ottomans, attribuait cette décadence à quatre causes majeures : le retrait du sultan de la supervision directe des affaires de l'Etat ; la nomination de candidats favorisés ou incompétents au poste du Grand Vizir, méprisant le caractère très sensible de cette fonction ; la corruption qui a gangrené la famille impériale à cause de la nomination aux postes de responsabilité de Turcs (paysans d'Anatolie et péquenots), Tsiganes, juifs, peuples sans foi et sans religion, voleurs de poches et racaille ; et, enfin, la corruption des systèmes politique, militaire et économique qui s'ensuivait (Macfie 2014, 12). Ces maladies semblent défier le temps dans nos contrées. Dans cette débâcle politique, les juges étaient haïs, le Trésor vide et la paysannerie ruinée. Hadji Khaliphah, un financier de l'empire, a, lui-aussi, dans les années 1650, identifié quatre causes de cette dégénérescence : l'incapacité du sultan à protéger les paysans contre l'extorsion et l'oppression, à imposer la justice, à contrôler l'armée et sa taille grandissante et à préserver la probité fiscale (Lewis 1962). Et toujours selon Bernard Lewis, «loin d'être la conséquence d'un échec moral du leadership, beaucoup des facteurs cités par Kuchou et autres furent la principale cause de ce déclin (Lewis, 1961).
Plus récemment, et dans ce même ordre d'idées, Palmer évoqua entre autres la perte de la suprématie militaire, l'échec économique, la montée du nationalisme, la propagation des valeurs laïques et l'émergence de la Russie (Palmer 1992).
Peut-on résumer ces maux irréductibles, en disant que sous le poids du despotisme (qui a engendré l'irresponsabilité, qui engendre l'adynamie morale et matérielle, qui engendre la haine et la discorde, qui engendrent la vulnérabilité géopolitique et les alliances contre-nature), l'Empire ottoman, supposé être le califat derrière lequel se rangent tous les musulmans, a succombé à ses fissures et à sa corruption ?
Telle est la vue de l'intérieur, mais le paysage extérieur relève d'une autre dynamique hégémonique qui trouve dans les mécontents, les lésés et les ambitieux, un instrument de choix pour réaliser des desseins aussi vieux que l'humanité elle-même.
Sykes-Picot : un épisode sans précédent de l'acharnement impérial
Pourquoi évoquer le Traité de Sykes-Picot comme évènement-phare marquant le déclin du califat et la dislocation de l'unité des musulmans, sachant bien qu'avant lui d'environ 46 ans eut lieu la chute de l'Algérie et le passage subséquent de l'Afrique du Nord sous la domination française, sans que l'Empire ottoman fasse son devoir politique et moral de défense d'un territoire faisant partie de son califat, même symboliquement.
Avant la réalisation de Sykes-Picot au Moyen-Orient, le Maghreb fut pris d'assaut par la puissance coloniale française sans qu'il y ait d'entente cordiale avec sa rivale britannique. Dans sa présence coloniale de 130 années, la France fut confrontée à une résistance locale farouche qui refusait dans la plupart des cas de se faire sous la bannière des Turcs. Les griefs accumulés contre le pouvoir des deys tyrans et, en dernier lieu, d'Ahmed Bey, ont, au mieux, conduit les grandes tribus algériennes à faire la guerre à la France sous leurs propres chefs et au pire fourni de précieux auxiliaires au colonisateur par des corps indigènes des Zouaves et des Spahis. Pour preuve, les Hanenchas dont une centaine de leurs meilleurs cavaliers avait été massacrée par Ahmed Bey quand ils furent enveloppés par son armée de zbantots qui plia sur eux les tentes, lorsqu'ils s'apprêtaient à déguster une dhifa à laquelle ce bey les a conviés, et furent tués à coups de dague et de couteaux, se sont résignés à une alliance antifrançaise indépendante avec plusieurs tribus de la province de Constantine. Le 3 juin 1842, ils livrèrent contre le général Négrier une bataille perdue dans les environs de Tébessa (Féraud, 1874, 435-6).
Ainsi, l'Etat supposé être le refuge de premier et de dernier ressort se transforme-t-il en menace perpétuelle qui déloge dans le conscient des masses tout référent à une appartenance commune et pousse l'homme-citoyen instinctivement à se protéger par une diversité de replis : la tribu, la région, la religion, la secte ou encore l'étranger, etc.
Par ailleurs, bien avant Sykes-Picot, la campagne de Napoléon sur l'Egypte a montré la vulnérabilité du régime des Mamelouks. Régnant en rustres despotes depuis six cents ans, ceux-ci virent Napoléon mettre fin à leur régime autoritaire et à aller jusqu'à initier des réformes réprimant la corruption (Imbeault et al, 2003, 31-2).
Si Sykes-Picot a établi des frontières qui ne correspondaient pas aux réalités sociales et politiques de la région, celle-ci fut, déjà, polarisée par une action d'infiltration et d'intrusion qui s'est inscrite dans la durée, à commencer par les Etats de la Trêve.
Le sultanat d'Oman, le Koweït et le Qatar sont trois pays qui devinrent des protectorats de la puissance britannique, respectivement en 1892, 1899 et 1916, même si le Qatar a été, déjà, mis sous le contrôle des Britanniques en 1868 (Guy 2014, 184). Pour récapituler, lorsque l'Etat faillit à sa mission fondamentale de protecteur et de représentant de tous et devient un Etat despotique, familial, tribal ou régional, il perd sa crédibilité et sa légitimité et pourrait même être perçu comme une menace par ses propres citoyens.
Ces derniers, pour se prémunir contre son injustice, sa partialité et sa défaillance, se retournent vers d'autres sources de justice, de protection et d'équité.
Alliances contre-nature : une double déception
Tout cela nous conduit à l'analyse d'une autre conséquence d'une telle situation : les alliances contre-nature. Les exemples sont nombreux, à commencer par le sultanat hafside. Celui-ci, régnant au Maghreb au nom des Almohades, fit appel, sous le règne d'El-Hassan basé à Tunis, aux Espagnols pour le protéger. Ces derniers firent irruption dans la ville massacrant un tiers de sa population et en déplaçant un autre (Ibn-Abbi-Diahf, 1963). Aussitôt, une révolte conduite par Cheikh Ibn Arafa Al-Ouerghami, patron de la confrérie Chabbiya, mit fin au règne et à la légitimité des Hafsides. Ils furent succédés par les Turcs lorsque la flotte d'Alger, de Tripoli et de Turquie, sous le commandement d'Euldj Ali et de Sinan Pacha, prit La Goulette en 1574 (Carvajal, 2007). Ces mêmes Turcs, il ne faut pas l'oublier, ont par la bravoure de Khair-Eddine et Arroudj expulsé les Espagnols des côtes algériennes et de la Méditerranée entière et sauvé juifs et musulmans d'Andalousie d'un génocide certain conduit sous l'Inquisition catholique en Espagne.
Les exemples les plus récents sont plus frappants, l'accueil des forces d'occupation américaines et européennes avec des fleurs en Irak en 2003 et en Libye en 2011.
Mais il demeure que les alliances contre-nature ne payent pas. Et au lieu de permettre le salut espéré, elles favorisent la dislocation et la fragilité et encore mieux la dépendance. Pour revenir à Sykes-Picot, au lieu d'obtenir l'indépendance des Ottomans à travers une alliance avec les Britanniques, la région tomba dans la trappe de la dépendance aux puissances occidentales. Idem pour l'Irak qui pour se libérer de la soi-disant tyrannie de Saddam alla vers une fragmentation de facto en pseudos mini-Etats, kurde et chiite, qui ne servira à court et à long termes ni les Kurdes ni les chiites et encore moins les sunnites.
En bref, la solution ne réside pas dans le despotisme et la tyrannie car ceux-ci favorisent l'ingérence étrangère, pour preuve Rabin soutint à un moment qu'Israël considère Saddam comme une opportunité et non pas une menace. Elle n'est pas non plus dans l'alliance contre- nature et la concrétisation des projets ethniques de courte vie. Elle réside dans l'unité, la justice et la tolérance. L'on ne s'étonne pas donc de voir certains analystes préconiser la même idée. Ainsi Cohen propose-t-il, en termes de solution à cette réalité arabe amère, «des Etats panarabes unis qui permettent à tous les clans, sectes et mini-Etats qui existent actuellement de façon précaire au Moyen-Orient, de s'appartenir et s'unir sous une seule bannière où tout un chacun peut maintenir son identité respective tout en appartenant à une structure qui doit servir tous». Il va jusqu'à dire que «chaque religion aura son Etat propre à elle au sein d'un tout uni et interdépendant. Après tout, les juifs vécurent et prospérèrent parmi les Arabes en harmonie au moins durant 1 000 ans» (Cohen 2015, iv). Une autre remarque qui nous paraît pertinente porte sur notre manière de voir les acteurs actifs de Sykes-Picot dont nous sommes les homologues passifs.
Sykes-Picot est, souvent, évoqué comme un acte de trahison de la part des Britanniques qui n'ont pas tenu leur promesse (d'octroyer l'indépendance) faite aux Arabes en échange de leur révolte contre les Ottomans, une promesse dont l'existence est niée par certains historiens à l'instar d'Elie Kedourie, Issiah Friedman et David Fromkin, et confirmée par Anderson, avançant l'évident caractère confidentiel desdits accords, dont la teneur a été révélée par les Bolcheviques de la Russie (Anderson, 2014), cette attitude relève d'une trivialité obstinée. En effet, présenter Sykes-Picot comme une trahison peut paraître acceptable, si cela est fait par des auteurs occidentaux car cela relève réellement de l'honnêteté intellectuelle.
Plusieurs auteurs dont Cohen l'ont fait de façon sincère (Cohen 2014, McMill 2016). Mais se lamenter sur une telle trahison avec amertume relève d'une naïveté inexcusable. C'est un discours politique dominé par une sorte d'esprit chevaleresque et de bravoure que la logique de la géopolitique rejette de fond en comble. Ce discours persiste, à ce jour, à meubler nos plaidoyers politiques comme si les relations entre Etats étaient semblables à celles existant entre humains et devant être gouvernées par des valeurs morales que l'Occident doit, selon notre vision du monde, respecter et observer. Cet état d'esprit très préjudiciable aux intérêts des Etats arabes et musulmans facilite aux puissances hégémoniques la réalisation de leurs schémas de domination. C'est comme s'attendre à la tendresse dans une faune qui pullule de prédateurs et leur faire de reproches après chaque festin dont on est le gibier.
La nécessité d'un changement de mentalités
Faudrait-il peut-être ne pas se leurrer sur la nature de cet Occident. Car en termes de bilan, notre région arabo-islamique vit depuis le XIe siècle une série d'humiliations : les Croisades, les campagnes victorieuses de Napoléon, la colonisation, l'abolition du califat, le sous-développement et l'hégémonie de l'Occident dans sa forme géopolitique et géoéconomique.
Par ailleurs, Sykes-Picot fut suivi d'une politique hégémonique qui se poursuit de nos jours tantôt par la force brute tantôt à travers une manipulation systémique influençant de façon nette l'économie globale. Au lieu de cela, le débat avec l'Occident doit porter sur sa responsabilisation de l'acte le plus abominable qu'est la colonisation et ses traces indélébiles et de faire en sorte qu'il respecte les valeurs qu'il a lui-même mises en avant sans en étendre la pratique à d'autres espaces.
Il ne faut pas que cette intelligentsia et avec elle les masses arabes soit surprise par les complots de l'Occident, notamment l'épisode de Sykes-Picot.
Cette conspiration remonte à bien avant cet épisode car une décennie plus tôt, en 1907, un rapport élaboré par un comité de sociologues et de chercheurs occidentaux (britanniques, français, hollandais, italiens et portugais) fut soumis au Premier ministre britannique, Sir Henry-Campbell Bannerman, pour examiner les meilleurs moyens pour éviter le déclin de la colonisation. Ce comité recommanda, entre autres, la séparation de la partie africaine du monde arabe de sa partie asiatique. De ce point de vue, le sionisme israélien était fonction du besoin européen pour la colonisation et non pas une question historique juive proprement dite.
Le rapport Bannerman, qui souligne que les peuples arabo-musulmans vivant dans l'Empire ottoman représentent une menace réelle pour les pays européens, recommande de : - promouvoir la désintégration, la division et la partition de la région ; - établir des entités artificielles qui seront sous l'autorité des pays impérialistes ; - lutter contre toute sorte d'unité, fut-elle intellectuelle, religieuse ou historique et de prendre des mesures pratiques pour diviser les habitants de la région.
Pour réaliser cela, dit le rapport, il faut un Etat-tampon en Palestine peuplé par une forte présence étrangère qui deviendra hostile à ses voisins et ami des pays européens et de leurs intérêts. Cependant, les promesses d'implanter un Etat sioniste dans la région remontent à une date antérieure à la publication du rapport Bannerman et bien avant la Déclaration Balfour. L'idée de créer un Etat pour les juifs fut proposée en 1799 par Napoléon Bonaparte lors de son siège contre la ville d'Acre. Il fit cette promesse aux habitants juifs de cette ville en échange de leur soutien et de leur coopération avec lui.
Le projet tomba à l'eau suite à la défaite de Bonaparte dans la bataille d'Aboukir. Ce fut donc, selon Falk, la première expression post-Renaissance de coopération entre la puissance coloniale française et le peuple juif (Falk, 2006, 15).
Pourtant, c'est bien en Europe et dans l'incapacité des nations européennes à intégrer les juifs dans leurs sociétés et à juguler leur antisémitisme grandissant que le sionisme naquit. La puissance coloniale britannique trouva en lui un instrument de choix pour réaliser ses objectifs dans le monde arabe (Iram & Wahrman, 2006, 322). Les musulmans n'ont jamais été malveillants à l'égard des juifs, mais ils étaient plutôt leurs protecteurs. En 1492, le sultan Bayezid II envoya la marine ottomane en Espagne pour sauver Arabes et juifs séfarades expulsés d'Espagne par l'Inquisition avec des proclamations publiées dans tout l'Empire ottoman que «les réfugiés soient bien accueillis et aient la permission de s'établir en tant que citoyens et que la peine capitale soit la sanction réservée à tous ceux qui maltraitent les juifs» , comme l'a constaté l'une des figures emblématiques de l'histoire juive (Birnbaum, 2005, 272).
Il ne faut pas non plus croire en la chimère de voir l'Occident revenir sur ses convictions hégémoniques et condescendantes. Si l'artisan de Sykes-Picot, le Britannique Lord David Lloyd George, avait affirmé que ceci constitue une victoire d'un hellénisme romantique et d'une chrétienté, le président Bush père n'a pas pu s'empêcher d'exprimer sa joie à l'occasion de la victoire américaine dans la première guerre du Golfe en disant : «Par Dieu nous avons et à jamais chassé le syndrome du Vietnam. Nous l'avons enterré à jamais dans les sables d'Arabie» (Bush 1991, Tucker & Hendrickson, 1992, 152).
Par ailleurs, souvent les grandes idées nées en Occident se pervertissent et se transforment en véhicules de domination. Garfinkle développe une réflexion importante à ce sujet à l'occasion du centenaire de Sykes-Picot.
Il remarque que le fondement moral de la gouvernance a connu une évolution à travers une longue période qui s'est faite de manières différentes dans des zones civilisationnelles différentes. Dans la Première Guerre mondiale, une zone civilisationnelle à vitesse unique (l'Europe occidentale) s'est heurtée à une autre à plusieurs vitesses (le monde arabe). En Europe occidentale, les sensibilités religieuses ont envahi la politique durant le siècle précédent, donnant lieu, entre autres, à la campagne abolitionniste. Mais ces campagnes, une fois lancées, deviennent difficiles à contrôler ou à anticiper.
On ne saurait, donc, être surpris, dit Garfinkle, si l'on apprend que l'idéalisme suprême sécularisé de Wilberforce a pavé le chemin pour la colonisation de l'Afrique subsaharienne, par la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et le Portugal.
En ce temps l'idée du «White man's Burden», selon les termes de Kipling, et de celle de la «la mission civilisatrice» furent des extensions naturelles sécularisées des éléments de la pensée chrétienne eschatologique. En somme, la doctrine d'auto-détermination trouve ses racines dans le mouvement abolitionniste (Garfinkle, 2016).
Pour Garfinkle, les troubles actuels que connaît le Moyen-Orient ne sont pas les conséquences de Sykes-Picot mais des tentatives d'imposer le concept occidental d'Etat sécularisé, wébérien et territorial dans une région où un précédent d'une telle forme n'a jamais existé. Il prétend par exemple que le motif d'une telle tentative visait à rendre la région plus moderne mais que le résultat fut la création d'une série d'Etats faibles dont chacun possède une demi-vie différente mais pas très longue et que leur déconfiture nous tombe maintenant sur le dos avec des crachats violents et énormes de type l'EIIL et Al-Qaïda (Garfinkle, 2016). A en croire Garfinkel, peut-on conclure de ces dires que la région ne peut structurellement trouver sa force et sa cohésion que dans l'unité et dans le cadre de son propre héritage intellectuel et spirituel ?
Plus récemment, l'Occident a été cloué au pilori par Chomsky, dans son livre Le terrorisme occidental, dans la préface duquel André Vtcheck mit en relief le fait que le colonialisme et le néocolonialisme ont provoqué la mort de façon directe d'une cinquantaine de millions de personnes par les guerres, les coups d'Etats pro-occidentaux et d'autres conflits.
A cela s'ajoute une autre cinquantaine de millions de victimes qui ont péri de façon indirecte par la misère (Chomsky & Vtcheck, 2013, 1). Ont été évoqués à l'appui, les génocides imputés aux Britanniques en Afrique, à l'Allemagne en Amérique du Sud puis en Europe (l'holocauste). Un passé criminel mais peu connu par les Européens eux-mêmes, dit Chomsky (Chomsky & Vtcheck, 2013).
De même, multinationales et gouvernements européens ne sont pas sans liens avec le génocide perpétré en RDC ces dernières années pour des ressources rares comme le coltan et autres. En Cambodge, bien avant les atrocités des Khmers rouges, Kissinger ordonna des bombardements et des tueries commis dans l'unique but d'empêcher le soutien de ce pays au Vietnam. En Indonésie, un demi-million de personnes ont trouvé la mort suite à un coup d'Etat commandé par Washington dans ce pays pour avoir osé un développement autonome (Chomsky & Vtcheck, 2013, 18).
En guise de conclusion
En somme, si le rôle de l'Occident dans la fragmentation du monde arabe est indiscutable, l'existence d'Etats séparés est, en partie, l'expression des rivalités entre les divers gouvernants arabes et de réticence de la part de certaines franges des populations arabes à partager un Etat ou un pouvoir avec le reste de l'ensemble des peuples de la région. Avec le temps, des Etats arabes distincts émergèrent avec leurs propres intérêts, notamment ceux qui ont accès à des revenus pétroliers, ce qui empêche une autre fusion et rend difficile, voire chimérique la simple coopération entre eux. A ces divergences inter-élites se sont ajoutées des divergences de sentiment populaire. Celles-ci sont évidentes dans les relations entre Saoudiens et Yéménites dans la péninsule Arabique, ou entre Egyptiens et Syriens lesquels torpillèrent la République arabe unie en 1961.
Un processus similaire en Amérique latine aboutit au même destin. C'est une réalité que les décideurs et les peuples doivent voir en face. Mais ces faits démontrent quand même que les colonialistes ont, depuis des centaines d'années, créé des Etats arabes sans tenir compte des vœux de leurs peuples.
Ces derniers «souffraient sous des dictatures et commencent actuellement à se révolter et à exiger leur liberté et leur dignité» (Cohen 2015).
Bien plus, Cohen, trop critique à l'égard de l'Occident, impute à celui-ci la responsabilité du gaspillage des ressources et la provocation de problèmes qui auraient pu être évités. Il se demande même si «le 9/11» et d'autres évènements similaires pouvaient être évités par un simple changement dans les perceptions et les politiques occidentales ?
En termes de perspectives, Cohen demeure optimiste car pour lui le Moyen-Orient restera probablement une zone troublée et volatile pour plusieurs décennies ; cependant, les éléments qui vont déterminer son futur uni dans le long terme sont déjà présents (cette capacité de transcender les frontières). La route sera longue mais la réussite est assurée, dit-il (Cohen 2015).
Par ailleurs, sous le leadership de son élite politique et économique cupide, cet Occident lui-même a besoin de la contribution civilisationnelle arabo-musulmane pour son salut et pour le salut de l'humanité entière. Par sa quête effrénée de la puissance, son ingéniosité à développer des moyens de destruction massive sans précédent, et son exploitation abusive des ressources naturelles, il expose l'humanité à des périls apocalyptiques (Chomsky, 2016).
M. B.
* Docteur en sciences économiques (économie de la défense), magister en droit (option sécurité et défense
internationales) de l'université de Grenoble, spécialité gestion internationale des crises de l'ENA de Paris.
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-Vittu, Jean-Pierre (2007). Histoire des derniers rois de Tunis : du malheur des Hafcides, de la prise de Tunis par Charles Quint..., de Kheyr-ed-din Barberousse, Darghut... et autres valeureux raïs, d'après Marmol Y Carvajal, Luis del, Carthage. Tunis : Editions Carthaginoiseries.


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