Comment les filles se remémorent leurs premières règles ? Quels souvenirs en gardent-elles ? Nous leur avons posé la question. Soulef, maman de deux enfants : «Emouvant» «J'ai eu beaucoup de chance, contrairement à mes copines, au collège, j'ai été très suivie et bien entourée par rapport à elles», dit-elle en riant. «Eh oui, j'avais ma grand-mère qui était très présente dans ma vie étant l'aînée de ses petits-enfants. Elle me donnait des conseils sur comment être une belle jeune fille, comment me tenir en société et petit à petit, elle a commencé à m'expliquer la signification de mes règles et leur sens dans ma future vie de femme, donc dans ma féminité. Contrairement à ce qu'on peut penser, les anciennes générations savaient communiquer autour de ce sujet», relève Soulef en parlant de sa propre expérience. Pour preuve, dit-elle, toute une cérémonie a été organisée pour ses premières règles. «Je ne sais pas si cela se fait dans les autres régions du pays, mais à Alger, comme ma grand-mère est une native de La Casbah, il y eut une cérémonie en mon honneur pour mes règles. Le sentiment de honte a complètement disparu. Les femmes de la maison se sont réunies autour de moi et m'ont offert charbet, tout en me disant mabrouk. Puis, ma mère et ma grand-mère ont tenu une serviette neuve et douce avec un bol de lait. J'ai lavé mon visage avec ce lait et je l'ai essuyé avec la serviette. C'était censé prévenir l'apparition de l'acné, hab chbab. Bon, pour ça, cela n'a pas marché !» conclut-elle en souriant. Tout en ajoutant : «C'était un moment émouvant.» Mariam, mariée, 1 enfant : «Déçue par ma maman» «Je pense que comme toutes les femmes, on ne peut pas oublier le premier jour de notre féminité. Mais c'était un sentiment de déception que j'ai eu. Je me rappelle que j'étais en 9e année au CEM, ancien système. En considérant mes copines, j'étais plutôt en retard par rapport à elles. Mais cela ne m'a pas dérangé. J'ai entendu leurs histoires, comment elles en parlaient avec leurs mamans. D'autant plus que nous étions informées par le biais de notre religion. On savait qu'avec l'apparition de nos règles, nous devenions comptables de nos gestes, surtout nous sommes contraintes d'observer le jeûne au mois de Ramadhan. De ce fait, nous faisions toutes le vœu que ce soit le plus tard possible.» Elle enchaîne : «Donc, pour ma part, cela s'est passé après une séance de sport. J'avais remarqué que j'avais très envie de faire pipi. Dès mon arrivée à la maison, je m'oriente vers les toilettes. Et là, je constate une tâche brune-rouge. Un sentiment de satisfaction, de fierté et de honte me submergent. Je cours directement vers ma mère pour le lui annoncer. Elle ne me regarda même pas et tout en continuant à fixer la télévision, elle me dit que tout le nécessaire était dans l'armoire de la chambre. Cela s'est résumé par cette simple phrase. Cela m'avait profondément blessée. Je n'ai pas pu en parler avec qui que ce soit. Pour comprendre les symptômes et les différentes métamorphoses que mon corps subissait, je glanais les informations lors de discussions entre copines, ou bien dans les vestiaires des filles. Il n'y a eu personne pour m'accompagner régulièrement. Cela m'a beaucoup affectée et j'ai eu du mal à m'accepter en tant que femme. Cela m'a conduit à me dire que c'est quelque chose de honteux et de dégoûtant !» Soumeya, célibataire : «je ne savais pas ce que c'était !» «C'était un vrai cauchemar pour moi. Fille unique dans une fratrie de trois garçons, je n'avais personne à qui me confier. Je n'avais aucune complicité avec ma mère. En plus, mes parents, du fait que j'étais la plus jeune, m'ont surprotégée. Donc, résultat des courses, pas d'amies, pas de cousines, pas de communication. Ma mère n'a jamais abordé aucun sujet lié aux règles ou à la puberté. Rien qui soit lié à la féminité ! Je n'avais aucune information autour de ce sujet, si ce n'est quelques rires étouffés de la part de certaines filles en classe. Et quand j'ai découvert un beau matin l'état de mes sous-vêtements, je me suis crue malade et que je devais avoir quelque chose de grave. Et même à ce stade, je n'ai pas voulu en parler avec ma mère. Je suis allée au collège et j'ai prétexté des maux d'estomac pour partir à l'infirmerie. L'infirmière m'a un peu expliqué et m'a offert ma première serviette hygiénique, car pendant la matinée, j'avais glissé de vieux chiffons propres. J'ai beaucoup apprécié son aide. Et j'ai pu dépasser un petit peu ce cap. Elle m'avait dit, par exemple, que je devenais adulte et que j'étais grande maintenant. Au bout de quelques jours j'en ai parlé à ma mère, elle est tout de suite passée à un autre sujet en me disant qu'elle achèterait pour moi tous les mois des paquets de serviettes hygiéniques, des dépenses qu'elle inclurait dans son budget», raconte d'un trait Soumeya. L'attitude de sa maman l'a poussée à intérioriser ses sentiments. «J'avais réalisé que ma mère se cachait lorsqu'elle avait ses règles et que de facto, moi aussi, je devais cacher tous les signes de féminité, en passant par le développement de ma poitrine. Cela s'est développé non seulement dans ma famille mais même à l'extérieur. J'ai développé à la longue une posture voutée, j'étais tellement complexée que je voulais ressembler à un garçon, très masculin. C'est en rentrant à l'université que j'ai pu un peu m'accepter. A un certain moment, j'en avais beaucoup voulu à ma mère mais avec le temps cela s'est estompé et je me dis qu'elle-même avait dû vivre la même chose avec sa maman. Pour mon cas, si j'ai une fille, je ferai en sorte de communiquer beaucoup avec elle, je ne veux pas qu'elle subisse ce que j'ai vécu. Je n'aimerais surtout pas qu'elle se confie à une parfaite étrangère, mais à sa mère !» Yasmine, maman de deux enfants : «Trop informée !» «Je suis la cadette d'une famille de quatre filles... et j'ai l'impression d'avoir toujours vécu au milieu des serviettes hygiéniques : il y en avait toujours une au moins qui avait ses règles à la maison ! Donc, très jeune, j'ai compris leur signification ! En plus, ma mère, enseignante de sciences naturelles au lycée, m'avait tout expliqué dès 9 ans, avec schémas et cours à l'appui. Au départ, je mélangeais tout et cela m'ennuyait ! Plus tard, j'ai apprécié d'avoir reçu des informations claires et nettes, pas comme certaines de mes copines.»