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Kamel Daoud, esquisse d'un phénomène postcolonial algérien de Boukhalfa Laouari
Faut-il être intolérant pour être libre ?
Publié dans Le Soir d'Algérie le 04 - 11 - 2017

Ce premier ouvrage collectif consacré à Kamel Daoud se veut une contribution à un débat serein. Une sorte de remède fébrifuge pour abaisser la température, tant l'auteur de Meursault, contre-enquête continue de faire l'objet de lectures réductrices.
Paru aux éditions Frantz Fanon, Kamel Daoud, esquisse d'un phénomène postcolonial algérien offre, en effet, par certaines des contributions des auteurs réunis, le nécessaire recul, la distinction lucide permettant d'avoir un regard critique sur l'écrivain et son œuvre. Le bon ton et le flegme britanniques de deux universitaires anglais notamment aideront le lecteur à se construire une autre opinion que celle véhiculée par les esprits surchauffés, polémiques, ou par les laudateurs pioupious. Dans l'ensemble, il s'agit d'une initiative utile, même si quelques contributeurs s'évertuent à manier l'encensoir à défaut d'un jugement esthétique ou d'un examen sérieux. Ils sont huit universitaires, chercheurs, écrivains ou spécialistes en littérature à avoir collaboré à cet ouvrage réalisé sous la direction de Boukhalfa Laouari, un jeune enseignant de théories littéraires et théories de la culture au département d'anglais de l'université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou. «Regroupant des universitaires et des chercheurs de divers horizons, cet ouvrage interroge la problématique de la relation à l'Autre en s'appuyant sur le cas de Kamel Daoud, conçu comme étant un phénomène postcolonial majeur. Cet ouvrage questionne aussi les raisons du succès de Meursault, contre-enquête en France alors qu'il est passé quasiment inaperçu lors de sa publication en Algérie. Alternant approche scientifique rigoureuse et critique empirique, il offre un condensé de possibilités de lecture de Kamel Daoud aussi bien à travers son roman qu'à travers ses prises de positions. Il donne, en outre, à réfléchir sur les enjeux culturels Nord-Sud», est-il souligné en quatrième de couverture.
Et d'abord, pourquoi «un phénomène postcolonial algérien» ? Kamel Daoud n'est-il pas, tout simplement, «un phénomène» littéraire algérien ? Aucun lot n'étant innocent, le lecteur a le droit de s'interroger sur pareil choix sémantique et de terminologie. Des éléments de réponse sont donnés par Pierre Boizette, spécialiste en littérature comparée à l'université de Paris-Ouest Nanterre. Dans «Synthèse sur les pensées postcoloniales», article qui sert d'introduction à l'ouvrage, le chercheur fait l'historique de la théorie postcoloniale et de ses mutations tout en mettant en lumière certains de ses principaux éléments. Il rappelle que c'est bien la critique anglo-saxonne qui, à partir des années 1980, a transformé le vocable «post-colonial» en celui de «postcolonial» (en un seul mot). Et de citer Bill Ashcroft qui définit la littérature postcoloniale comme étant «toute culture affectée par le processus impérial depuis le moment de la colonisation jusqu'à nos jours». Aussi bien, «faisant le constat d'une permanence dans le présent d'éléments issus de ce passé, la théorie postcoloniale s'est employée à illustrer le caractère spécifique de littératures qui durent s'affranchir linguistiquement, stylistiquement ou même économiquement, de l'hégémonie des centres qui longtemps les définirent comme leurs marges». Autrement dit, des littératures périphériques, mais que la théorie postcoloniale veut questionner la place dans l'histoire et la théorie littéraire.
Pierre Boizette fait remarquer que cette théorie a mis du temps à s'installer dans le champ francophone. Néanmoins, «elle paraît aujourd'hui en passe d'être largement institutionnalisée comme en témoigne sa reconnaissance de plus en plus croissante mais aussi la vitalité des traductions et des publications».
Le postcolonialisme, dans cet ordre d'idées, «est d'abord une critique de l'européocentrisme de l'Occident qui tend à réduire au statut d'objet d'analyse le reste du monde en en restreignant les parties qui lui sont étrangères au pôle jugé négatif dans des couples d'oppositions : civilisé vs primitif, masculin vs féminin, beau vs laid, écrit vs oral... Un tel binarisme étant alors rendu encore plus problématique par son monopole des champs théoriques et académiques».
Le projet de postcolonialité insiste précisément «sur le caractère intrinsèquement multiculturel du monde post-colonial», travaillant «à atteindre une société effectivement multicuturelle où les hiérarchies impériales n'auraient plus cours». En plus d'un patient travail de déconstruction, il s'agit de se réapproprier le discours (par la langue, par la subversion du canon littéraire, par l'hybridation et la mobilité des écrivains dans la mondialisation). Pierre Boizette ne manque pas, cependant, de relever les limites de la pensée postcoloniale, et ce, «au moment même où, des Etats-Unis en passant pas l'Amérique du Sud et l'Afrique, les annonces répétées de sa mort se multiplient, ouvrant la voie à d'autres perspectives critiques».
Parmi les critiques formulées : les théoriciens du postcolonialisme ont été formés dans les meilleures écoles occidentales ; les publics touchés sont en grande majorité occidentaux ; on ne peut concevoir l'humanité sous l'angle de la migrance, car cela «revient à délaisser la réalité de ce que cette migrance implique, c'est-à-dire les millions d'individus qui en sont écartés ou qui la subissent» ; les penseurs du postcolonialisme ont développé un discours savant, eux qui s'attribuent le rôle de porte-parole de ceux qui seraient privés de parole (ce que deux auteurs français, Claude Passeron et Claude Grignon, nomment «misérabilisme sociologique»). D'autre part, «le postcolonialisme semble avoir produit une critique sans objet, dans la mesure où elle parâit être la somme de ses refus, celui de l'essentialisme, celui du nationalisme, celui du libéralisme hérité des Lumières». Pour le chercheur, «la nouvelle stratégie de lecture proposée ne se résume, finalement, qu'à une relecture qui, à son tour, peut être jugée comme idéologique, sinon intéressée à des fins de reconnaissances académiques par ses détracteurs». Enfin, la conception restrictive de la littérature — la colonisation comme référence ­— induit le risque «de réduire la production des écrivains contemporains à une démarche qui s'élaborerait seulement en réaction à cette période». Alors, aujourd'hui, peut-on encore parler de littérature postcoloniale ? Est-il possible de «ranger» dans cette case la multitude d'écrivains aux itinéraires personnels, différents les uns des autres ? Pierre Boizette cite justement Jamel Mahjoub qui écrivait en 2007 déjà : «J'ai vu se produire dans les quinze dernières années un changement progressif, mais un changement dans l'autre sens. Le monde dans lequel nous publions nos œuvres devient plus conservateur. Les écrivains qui, selon moi, peuvent être appelés ‘'postcoloniaux'' sont presque des antiquités. Ils existent, leurs écrits sont là, mais ils viennent d'un contexte historique et géopolique qui, dans une grande mesure, ne s'applique plus maintenant.»  Ces propos ont l'avantage de la clarté.
N'est-ce pas Jules Renard qui avait ce mot d'esprit : «Le peintre qui s'apprête à peindre le soleil fait des théories, et, quand il veut commencer, le soleil n'est plus là»? Mais, tout cela ne doit pas éclipser Kamel Daoud, présenté dans cet ouvrage collectif comme «un phénomène postcolonial majeur». Benaouda Lebdai, dans sa préface, insiste particulièrement sur cette «postcolonialité». «Le romancier postcolonial Kamel Dadoud a pris le risque de s'installer dans une confrontation avec l'écrivain «algérien» Albert Camus, grâce à Meursault, contre-enquête, un texte postcolonial en miroir avec L'étranger publié durant la colonisation française de l'Algérie. Ce projet littéraire audacieux, ambitieux et hautement politique est précisément le sujet de cet ouvrage critique qui apporte quelques clés explicatives dans la relation Algérie/France», écrit le professeur des universités et chroniqueur littéraire. Le coordinateur de l'ouvrage collectif, Boukhalfa Laouari (qui, par ailleurs, «finalise sa thèse de doctorat en théâtre postcolonial»), auteur de deux articles et d'un entretien avec Rachid Mokhtari, semble réellement convaincu par la théorie de la littérature postcoloniale. 
Dans sa contribution intitulée «‘'Meursault, contre-enquête'' ou la revanche postcoloniale du fils prodige», l'enseignant de théories littéraires souligne d'emblée : «Le présent écrit se veut une lecture postcoloniale du roman de Daoud. Il est aussi une sorte de réponse aux attaques haineuses dont a été victime l'écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud pour son roman Meursault, contre-enquête.» Un roman qu'il estime être un «chef-d'œuvre, souvent mal compris surtout dans son pays», et dont il tente de déconstruire ce qu'il pense être «des lectures événementielles et hâtives». Joseph Ford enseigne la littérature et la culture francophones à l'Université de Durham, Rayaume-Uni. 
Dans «Kamel Daoud : (im) possibilités de lecture», il axe sa contribution sur «la réception en France et ailleurs — principalement dans la presse anglophone — de Meursault, contre-enquête», estimant que le roman a fait l'objet de «plusieurs lectures simplistes» dans cette presse. Après étude de ces lectures réductrices, Joseph Ford se focalise «sur les changements entre la version originelle du texte édité par Barzakh en Algérie et la version publiée en France par Actes Sud». Il explique pourquoi et comment «le texte français (...) perd les références directes, et les gestes ironiques, qui impliquent l'écrivain Camus dans le meurtre de l'Arabe». Professeure de littératures d'expression française à l'Université d'Oxford, en Anglettre, Jane Hiddleston a intitulé sa contribution : «Vivre et raconter : Meursault, contre-enquête et le pouvoir de la littérature.»  Cette autre analyse faite par une spécialiste britannique est tout aussi intéressante, car elle permet au lecteur d'avoir un éclairage différent de celui proposé par la critique germanopratine ou par la critique se nimbant de patriotisme. Pour Jane Hiddleston, le roman «est sans doute une des œuvres les plus célèbres de la littérature algérienne francophone du XXIe siècle, mais elle est aussi peut-être le plus souvent mal lue». 
La professeure souligne qu'il y a là «une réflexion sophistiquée sur la production du récit, sur la manière dont on raconte les histoires ou dont on crée notre propre version d'événements vécus». En même temps que d'être «une exposition des multiples versions d'une histoire, du brouillement entre le savoir et la fiction, et du pouvoir provocateur de la réécriture», le texte de Kamel Daoud illustre l'interaction entre la littérature et la vie, dans le sens où les textes littéraires «jouent un rôle crucial dans notre mode de pensée et peuvent nous aider à voir le monde à nouveau». Les autres contributeurs à livrer leur perception ont pour nom Sarah Slimani («La blessure du nom propre : psychanalyse d'une agression symbolique»), Youcef Merahi («Kamel Daoud, la force tranquille d'un engagement»), Djamel Laceb («l'échanson malhonnête et la quintessence des butins»), Boukhalfa Laouari («Kamel Daoud, l'iconoclaste et les inquisiteurs de la pensée»).
Le dernier article se présente sous la forme d'un entretien avec Rachid Mokhtari, réalisé par le coordinateur de l'ouvrage. Le romancier, essayiste et critique littéraire explique les raisons objectives qui ont fait que «l'édition algérienne de Meursault, contre-enquête de 2013, passée inaperçue chez Barzakh, est plébiscitée en réédition en France chez Actes-Sud sept mois plus tard». Rachid Mokhtari a la clarté de la lucidité : «C'est que le lectorat en Algérie ne s'est pas encore constitué en tant que tel, comme une institution culturelle, ayant ses traditions livresques, ses réseaux d'informations et que la presse algérienne étatique et privée n'a pas de lecteurs professionnels, payés pour ce faire, dans les équipes rédactionnelles. 
à cette indigence des supports médiatiques consacrés à la littérature s'ajoutent les fermetures crescendo des librairies et la faiblesse des catalogues d'éditeurs algériens dans la promotion de jeunes talents, s'investissant de plus en plus dans les achats de droits d'auteurs de livres anciennement parus dans l'Hexagone». L'autre rappel d'importance, c'est que Kamel Daoud «a auparavant publié un roman, Ô Pharaon, une satire politique de l'Algérie des années 1990 autrement plus percutante dans sa forme et son sujet que ne l'est Meursault, contre-enquête qui est un «intra-roman» de l'Etranger d'Albert Camus. (...) Ce texte, d'une puissance esthétique inégalée à ce jour sur l'horreur de la décennie noire ou rouge, est passé inaperçu dans les colonnes de la presse algérienne et, n'en parlons pas, des médias français.
Pour Rachid Mokhtari, «par sa qualité de chroniqueur incisif, parfois au vitriol — et c'est tant mieux —, Kamel Daoud a eu l'impertinence qui le caractérise de réveiller le flegmatique Meursault par sa victime ‘'arabe''. L'idée est géniale, le rythme et l'originalité esthétique du roman tout autant». Quant aux vives polémiques soulevées par le roman (et par des textes d'autres auteurs), l'auteur de Moi Scribe pense que «cela est symptomatique de cette hystérie de pseudos nationalo-conservateurs». Et, d'ailleurs, «pourquoi serait-ce un délit que de frapper aux bonnes portes ou d'être encensé sous d'autres cieux quand le vôtre, il n'y a pas si longtemps, a remué les masses ignorantes, portant, en ses nuages, le nom d'Allah écrit au laser de dernière génération»? L'interview d'un spécialiste sur un sujet controversé finit par ce sage conseil : «Dans tous les cas, Kamel Daoud est face à un grand défi : continuer sur sa prodigieuse lancée...»
Hocine Tamou
Boukhalfa Laouari, Kamel Daoud, esquisse d'un phénomène postoclonial algérien, éditions Frantz-Fanon, Tizi-Ouzou 2017, 152 pages, 600 DA.


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