On conna�t l'histoire de ce type qui respirait l'insignifiance. Mais voil�, lui aussi, il r�vait de son quart d'heure de c�l�brit�. Comme il n'y avait rien d'autre � incendier dans le patelin, il a eu l'id�e de mettre le feu � la mosqu�e. On ne pouvait pas ne pas parler de lui. Admiratif ou haineux � son �gard, tout le monde n'avait d�sormais que son nom aux l�vres. Cible touch�e ! La motivation de Mountazer Al-Za�di, journaliste � Al-Baghdadia, une cha�ne de t�l�vision d'ob�dience sunnite, n'a rien � voir, bien s�r, avec l'avidit� de la gloriole. En ajustant son lancer de savates sur Bush, il voulait frapper le Grand Satan � la t�te et lui signifier qu'il le tenait pour comptable de �la responsabilit� de tous les orphelins dont les p�res ont �t� tu�s� en Irak. Le lanceur de pompes a acquis une renomm�e aussi instantan�e que mirifique. Son mode op�ratoire aura, et �a se comprend, suscit� toutes sortes de jeux de mots dont celui-ci, succulent : �La chaussure est ce qui nous reste quand on a tout perdu.� Le pr�sident am�ricain le plus calamiteux de l'histoire de ce pays a eu, pour une fois, un peu d'humour. �La seule chose que je sais, c'est que c'est du 43�, a-t-il dit dans le feu de l'esquive. Bravo pour la perspicacit� ! Laquelle est bien sup�rieure � celle qui a fait d�faut lorsqu'il s'est agi de d�cider de l'invasion de l'Irak. A propos de cette invasion, les psychologues continuent de s'interroger pour savoir si Bush a �t� mu par la c�cit� ou le masochisme. La preuve de cette alternative est administr�e tous les jours. En faisant parler ses chaussures, le journaliste irakien n'a fait qu'exprimer la violence que ressentent les envahis � l'�gard des envahisseurs. Il a agi avec le seul instrument de protestation qu'il avait sous la main. Dans un autre contexte, un chef d'Etat avait d�j� fait jouer � sa chaussure un r�le dans les relations internationales. Le 31 octobre 1963, Nikita Khrouchtchev avait manifest� son m�contentement � l'ONU en frappant sur le bureau avec son talon� Qu'y a-t-il de commun entre le geste du secr�taire g�n�ral du PCUS et celui du journaliste irakien ? Hormis le fait d'avoir �lev� le d�bat en se servant de leurs chaussures, rien d'autre. S'agissant de Za�di, on ne sait pas vraiment si son coup de col�re ne se distingue pas plut�t par l'originalit� que par le fait de hisser les termes du d�bat. A moins que la phrase lanc�e en m�me temps que ses chaussures ne soit d�j� un palier sup�rieur du d�bat. S'adressant � Bush en arabe, Za�di a cri� : �C'est le baiser d'adieu de l'Irak, esp�ce de chien !� Khrouchtchev a remis sa godasse apr�s l'avoir cogn�e sur la table. Za�di, lui, a quitt� la salle o� se d�roulait la conf�rence de presse pieds nus et entre les mains de gorilles de la s�curit� irakienne dont la r�putation est de ne pas faire dans la dentelle. Son fr�re indiquait � la presse que Za�di avait �t� transport� � l'h�pital avec un bras et des c�tes cass�s. Ses nombreuses contusions parlent d'elles-m�mes de l'infinie d�licatesse des dentelliers irakiens. Il risque jusqu'� sept ans de prison pour �a. D�lit ? Offense � chef de l'Etat. Bush, lui, n'encourt rien pour infiniment pire. Le geste de Za�di a fait de lui non seulement un h�ros mais aussi un rassembleur. Les partisans du leader chiite Moqtada al-Sadr autant que les oul�ma sunnites qui, de temps � autre, se tapent dessus sans quartier et sans sommation sous l'�il ravi des occupants am�ricains, consid�rent le jeteur de godasses comme une �ic�ne de la r�sistance contre l'occupation �. Plus de 200 avocats se sont propos�s pour assurer gratuitement sa d�fense. La cha�ne de t�l�vision libanaise New TV lui fait une offre en or. Il sera salari� � �compter de l'instant o� la premi�re chaussure a �t� lanc�e �. A�cha Khadafi, la fille de son p�re, promet � Za�di �l'ordre du courage �, une d�coration libyenne. La fille du Guide accompagne son engagement de cette sagace parole : �Une mauvaise politique ne r�coltera que davantage d'�checs et de chaussures. � Un petit malin bas� en Grande-Bretagne , semble-t-il, a imm�diatement mis en ligne sur Sock and Awe (Chaussures et effroi), en r�f�rence � l'op�ration �Shock and Awe� lanc�e en Irak par l'arm�e am�ricaine, un site bien nomm�, un jeu qui consiste � jeter des chaussures virtuelles sur un Bush qui se cache derri�re une tribune. Des milliers de manifestants sont descendus dans la rue pour r�clamer la lib�ration de Za�di partout en Irak et dans d'autres pays. A Nadjaf, des chaussures ont vol� en direction des militaires am�ricains. A Lahore (Pakistan), son portrait est brandi par des centaines de femmes et d'hommes en col�re contre les Etats-Unis. Le geste de Za�di, pr�m�dit� selon ses proches, augure peut-�tre de l'entr�e de la savate dans les relations internationales. Quand les grandes puissances font marcher les peuples, que reste-t-il � ces derniers sinon leurs chaussures ? Au fond, Za�di, en balan�ant son calibre 43 sur le pr�sident am�ricain, �prouve cette sentence �nonc�e par l'�crivain italien Erri De Luca : �Toute notre histoire est une chaussure qui nous d�tache du sol du monde.�