C'est le récit du plus beau jour de l'histoire du football algérien. On est le jeudi 26 juin 2014. Pour les quelque 7000 algériens présents dans l'impressionnant Arena da Baixada Stadium de Curitiba, le grand jour est arrivé. Après avoir échoué durant leurs trois participations au mondial à accéder au deuxième tour (1982, 1986 et 2010), c'est le moment ou jamais pour les Verts d'entrer dans l'histoire. Le public algérien qui a défilé durant toute la matinée dans les rues de la capitale de l'état du Paraná, sait qu'il a un grand rôle à jouer. Quelques heures avant le coup d'envoi, les supporters algériens sont confiants, très confiants même au point ou ils attendaient les résultats de la double opposition qui a mis aux prises l'Allemagne aux USA et le Portugal au Ghana pour connaitre ce qui devait être le futur adversaire de l'EN en huitièmes de finale de la coupe du monde. Finalement, la victoire de la Mannschaft sur les Yanks qu'ils avaient suivi sur les écrans du stade, fait penser déjà à un remake Algérie-Allemagne du mondial 82. " Attention, on n'est pas encore qualifiés. Il faut d'abord passer la Russie pour penser ensuite à l'Allemagne " prévient Mohamed, un sexagénaire de Boumerdes. 16h55 heure locale. Les 22 acteurs entrent sur le terrain, Kassaman est entonné fièrement par la galerie algérienne. Certains fans craquent sous le poids de l'émotion. " c'est le plus beau hymne national de la compétition " nous fait savoir Houari d'Oran. L'absence du capitaine Madjd Bougherra fait peur aux algériens. " Déjà durant les deux premiers matches, la défense a été le maillon faible. Imaginez alors sans lui " se plaint d'emblée Farouk de Hussein Dey. C'est parti le match commence. Les coéquipiers de Sofiane Feghouli vont montrer durant ces premières minutes qu'ils n'ont pas l'intention de se contenter du point du nul qui leur ouvrira les portes des huitièmes. Kokorine sème le doute Mais comble de malchance, sur leur première action, les russes vont faire mouche suite à une superbe tête de Kokorine qui ne laisse aucune chance à Mbolhi. C'est la stupeur dans le camp algérien. " c'est le pire scenario qui puisse nous arriver " se lamente Driss, un émigré de Paris. A ce moment là, les algériens commencent a douter. d'autant plus que les hommes de Halilhodzic ne réagissent pas rapidement a cette ouverture du score qui les met pour le moment hors course du mondial. Plus les minutes s'écroulent, plus le public algérien devient de plus en plus nerveux. Il va même bouder la superbe hola qui est exécutée dans les tribunes par les supporters russes et brésiliens. Ces derniers n'apprécient pas l'attitude de leurs homologues algériens. Ils vont même les huer puis en les taquinant en scandant " Russia, Russia ". Mais le public des Verts ne réagit pas à cette provocation. En fait, il a d'autres chats à fouetter. Pour le moment, il a attend a ce que ses favoris lui donne une lueur d'espoir qui hélas n'est jamais venue durant cette première mi-temps à l'exception peut-être d'une tête de Slimani facilement captée par le gardien russe (43'). L'arbitre siffle la mi-temps avec un score logique en faveur des protégés de FabioCapello. Profitant de la pause, des groupes de supporters font l'analyse de cette première mi-temps dans les couloires alors que des dizaines de supporters russes passent. Certains affichent même un sourire comme pour dire que les carottes sont bel et bien cuites pour nos capés. " Notre équipe nationale est méconnaissable. Elle ne joue pas de la même manière comme elle l'a fait contre la Corée du Sud " note Slimane de Akbou. Il est vite rassurer par son ami Ahcen qui lui fait rappeler qu'il reste quand même 45 minutes ou tout peut arriver ; " il n'y a qu'un seul but à remonter. Et nos joueurs vont pouvoir le faire " lui assure t-il. Bachir qui suivait la conversation en sirotant une boisson gazeuse va se montrer encore plus rassurant. " D'habitude notre équipe joue bien en premiére mi-temps et accuse le coup en deuxième mi-temps. Cette fois-ci ça va être le contraire " promet-il. Slimani tête d'or La deuxième mi-temps commence. Les hommes de Vahid Halilhodzic rentrent sur le terrain avec une plus grande détermination. Mais d'emblée la Russie s'offre une grosse occasion par le biais de Samedov qui donne des sueurs froides au public algérien. Fort heureusement Mbolhi veille au gain. " C'est un signe du ciel. Le bon dieu nous aime " réagit Moussa de Souk Ahras après le sauvetage miraculeux du gardien des Verts. Le match s'emballe. Les supporters algériens se mettent debout sur leur chaise pour donner de la voix a leurs joueurs. Tant pis si certains malheureux spectateurs ne voient plus le terrain. Les stadiers ne peuvent plus rien faire face à leurs doléances tellement que les supporters algériens sont déchainés. " Allez les Verts, allez les Verts ". Ces derniers crient fort, plus fort qu'on a l'impression que tout le stade est acquis à leur cause. Les coéquipiers de Sofiane Feghouli sont dopés par la poussée de leur public. On joue la 60ème minute de jeu. Djabou tente une incursion sur le coté gauche. Il va se battre comme un lion pour récupère un ballon qui lui a été subtilisé par son vis-à-vis russe. Il parvient à le faire, mais ce dernier est obligé de commettre une faute sur lui assorti d'un carton jaune. Ça donne un mini corner intéressant. " il faut profiter des balles arrêtées. C'est notre point fort " nous dit Fatah de Blida. Le coup franc en question est superbement exécuté par Yacine Brahimi qui place le cuir sur la tête de Islam Slimani qui saute plus haut que le gardien russe. C'est l'égalisation ! Les tribunes algériennes s'embrasent. On allume même des fumigènes. Un fait inédit dans une coupe du monde puisque ce dispositif est strictement prohibé par la FIFA. Comment les supporters ont pu l'introduire dans le stade malgré les strictes fouilles auxquelles ils ont été soumis ? Ce n'est pas important. «Le chrono ne veut pas avancer» L'Algérie vient de remettre les pendules à l'heure. Et cette égalisation lui donne le droit d'affronter l'Allemagne en huitièmes de finale. Les brésiliens ne sont pas en reste. Ils vont montrer de la sympathie pour cette belle équipe d'Algéri en la soutenant a fond pour ce qui resteà jouer. Les fans russes, quant à eux, n'en reviennent pas. Leurs chants vont ralentir pour ensuite s'estomper. Il reste encore une bonne demi-heure à jouer. Un temps qui passe rapidement pour les coéquipiers de Kozlov. En revanche, ces 30 minutes semblent être une éternité pour les algériens. «On dirait que le chrono ne veut pas avancer», déclare un supporter. Mais les russes vont jeter toutes leurs forces dans la bataille pour ajouter un deuxième but. Ils essayent de passer par les ailes pour contourner la défense algérienne bien articulée autour de l'imposant Mbolhi. En vain. Dans les dernières minutes de la rencontre, il faut avoir vraiment le cœur bien accroché pour ne pas être pris de vertige. «Cette fin de match est insoutenable. Je sens que mon cœur va cesser de battre», nous lance un autre mordu de l'EN. Il va pousser des cris d'orfraie lorsque le quatrième arbitre annonce quatre minutes de temps additionnel. «Quoi ? quatre minutes de temps additionnels ? il veut nous tuer cet arbitre ! Une autre éternité, quoi !» Mais le temps additionnel s'est enfin écoulé et l'arbitre turc Cakir peut enfin siffler la fin du match. C'est la délivrance. «Je n'arrive pas à croire que nous sommes qualifiés en huitièmes de finale. Quand je serai vieux, je dirai à mes petits- enfants que j'étais témoin dans ce stade de cet événement historique», nous lâche Amine de Annaba. Euphorie à Annaba L'euphorie est générale. Dans les tribunes du stade Arena da Baixada Stadium, la colonie algérienne n'est que larmes et embrassades. Tout le monde plonge dans un délire collectif. On assiste à des scènes d'hystérie cent fois plus que ceux aperçus chez ces mêmes supporters face à la Corée du Sud. Des supporters brésiliens se sont mêlés aux algériens en scandant «Algéria, Algéria». En tribune de presse, les journalistes algériens se congratulent. Ils sont eux aussi fous de joie. Certains n'ont pas pu retenir leurs larmes. Les héros de Curitiba n'ont pas oublié l'apport précieux du public. Ils vont se diriger vers lui pour lui rendre un vibrant hommage. Le troisième gardien de but Si Mohamed Cédric est le premier à offrir quelque chose au public en balançant ses gants à la foule. Les joueurs ont presque envie de monter dans les tribunes pour danser avec leurs supporters. Mais ils vont être rapidement dissuadés par les stadiers. «Ces joueurs viennent de rentrer dans l'histoire du football algérien. ce sont les héros de toute une nation. Nous sommes très fiers d'eux», s'exprime avec émotion Mourad de Biskra. Certains inconditionnels des Verts ont déjà la tête à la prochaine confrontation face à la grande Allemagne lundi prochain à Porto Alegre. Mais l'adversaire ne les effraie pas outre mesure. «Notre objectif est désormais atteint. Nous n'avons plus rien à perdre. La pression sera beaucoup plus du côté des allemands qui veulent certainement venger leurs aînés de 1982», nous déclare un fan. Les festivités vont se poursuivre encore à l'intérieur du stade avec une rare intensité. Le bonheur des TV Ce qui a fait le bonheur des télévisions locales et étrangères qui vont même consacrer un direct pour immortaliser ce moment historique. Pour le dernier match du mondial dans leur ville, les habitants de Curitiba revendiquent le droit de prendre part à la grande fête. Ils vont former avec les supporters algériens une interminable marée verte qui va sillonner les principales artères de la métropole du sud-est brésilien. «Je ne trouve pas les mots pour décrire ma joie. J'habite à Sao Paolo et je peux vous assurer qu'avant le mondial, peu de gens ici au Brésil connaissaient l'Algérie. Dieu merci, à présent, notre pays est sous les feux des projecteurs grâce à sa grande équipe de football», nous confie avec fierté la jeune Sarah, une Algérienne établie dans le pays de la samba parmi quelques milliers de compatriotes. Cette historique qualification de l'équipe nationale en huitièmes de finale de la Coupe du monde est fêtée à Curitiba jusqu'à une heure tardive dans une joie immense et commune, qu'aucun article ne pourra vraiment mettre en exergue.
