Quelques jours seulement nous séparent de la fête de l'Aïd Al Adha et le mouton du sacrifice se fait désirer. Malgré l'offre, plus que suffisante, les prix pratiqués sont presque inaccessibles pour les smicards et les revenus modérés. Ils oscillent entre 40 000 et 90 000 dinars, soit presque le double par rapport aux prix de l'année précédente. Nul ne comprend cette flambée qui reste pour le moins inexpliquée. La saison agricole a été dans l'ensemble satisfaisante mais les éleveurs la justifient par «le coût élevé de l'aliment du bétail et la diminution des aires de pâturage». Un argument jugé injustifié par les responsables de la chambre agricole de la wilaya de Tlemcen qui affirment «que les prix du quintal d'orge et de son n'ont pas été augmentés et tous les éleveurs sont approvisionnés régulièrement en fonction de l'importance de leur cheptel». Mais les plus avertis pointent du doigt les maquignons et les accusent d'être derrière cette flambée. «À l'approche de chaque Aïd, les maquignons se constituent en véritable cartel et achètent une part très importante du cheptel de toute la région et même des wilayas limitrophes. Ils contrôlent ainsi le marché et dictent leurs prix qui n'obéissent guère à la loi de l'offre et la demande. Ils ne sont guidés que par les bénéfices qu'ils réaliseront au détriment du pauvre citoyen». Les éleveurs sont complices de cette situation car ils encouragent le marché informel et donc la surenchère. Ce qui a indigné les responsables de la direction des services agricoles et ceux de la chambre agricole. «Les éleveurs ne prennent pas en compte que les prix des aliments du bétail sont subventionnés par l'Etat tout comme les vaccins». Et de s'insurger «contre certains éleveurs qui optent pour les solutions de facilités en cédant leur cheptel aux intermédiaires et autres spéculateurs sans se soucier de leurs concitoyens et sans prendre en compte les efforts de l'Etat en matière de soutien et d'aides à leur filière». En attendant, de nombreux pères et mères de familles vont certainement sacrifier ce rituel car il intervient juste après le mois sacré de Ramadhan et les vacances estivales et avant les rentrées scolaires et leurs frais particuliers et lourds. Pour certains ménages, le recours à l'endettement ou à la vente de certains objets précieux est devenu coutumier pour satisfaire leur progéniture et leur éviter la vexation. Un mère de famille, employée au dmig, a trouvé les justes mots pour qualifier cette situation : «Ce rituel devient de plus en plus dur à célébrer et j'ai du brader le microportable de ma famille pour leur acheter un petit Kbiyech». Et de souligner ironiquement : «On est arrivés malheureusement à sacrifier les outils culturels et de savoir pour notre ventre et ne me dites surtout pas que les uns et les autres observent cette sounna par conviction.» Une constatation qui est partagée par de nombreux mères ou pères qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts pour subvenir aux besoins quotidiens de leurs familles. Les uns gagent leurs précieux bijoux et d'autres se font des crédits pour empêcher une vexation certaine de leurs petits enfants. Malgré la bonne volonté de nombreux bienfaiteurs qui prennent en charge certains nécessiteux, une grande majorité de smicards, de chômeurs et même de la classe moyenne se sont abstenus, cette année à l'achat du mouton car, affirment-ils, «leurs moyens ne leur permettent pas après avoir déboursé l'équivalent du prix du mouton en effets vestimentaires et fournitures scolaires». L'Aïd est-il devenu la fête de toutes les vexations et de tous les sacrifices ? C'est une réalité sociale à laquelle nul ne peut échapper. Par ailleurs, il est sacrifié chaque année plus de 5 millions de têtes ovines à l'occasion de l'Aïd, en plus de celles des mariages et des nombreuses fêtes familiales. Ce qui compromet la préservation du cheptel en Algérie, estimé à plus de 12 millions de têtes, et maintient le prix de la viande à un prix toujours élevé. C'est dans ce cadre que nos ulémas devraient intervenir pour, d'un côté empêcher le sacrifice du patrimoine ovin et bovin, et trouver une voie plus objective, telle les sacrifices collectifs, pour mettre un terme à l'angoisse de milliers de familles. Les politiques menées à coups de milliards de dinars pour le développement du cheptel ne serviront à rien si chaque année on sacrifie cet énorme investissement pour un rituel qui n'est qu'une sounna.