«J'ai toujours aimé peindre la séculaire Casbah qui constitue pour moi une inaltérable source d'inspiration», confie-t-il. Mohamed Salah Nejar est né le 20 décembre 1936, aujourd'hui âgé de 77 ans, et «je regorge toujours de jeunesse», nous confie-t-il avec un rayonnant rire. Après un périple de formations entre l'Ecole municipale des arts industriels et décoratifs (1964-1965) et la Grande Chaumière de Paris (1974), il intègre l'éducation spécialisée dans un centre d'enfants handicapés. L'itinéraire plastique de ce contemporain d'Ali Mesly, Issiakhem, Khadda et Koraïchi, il le partagera dans la ferveur de l'Union nationale des arts plastiques (Unap) et l'engouement de «l'art du peuple». Armé d'une centaine d'oeuvres, entre toiles et fresques collectives, M.-S.Nejar se place volontairement au cénacle des maîtres de l'art plastique algérien. Mais «Khali», ainsi le dénomment les natifs de l'antique Tidelès avec toute la mystique que porte l'interpellation de l'oncle maternel porteur d'amour et de sensibilité pour les simples gens, pose problème pour tout amateur non averti en art au premier regard de cet imposant espace bleuâtre qui emplit la majorité de ses toiles à huile, rappelant l'infini, certes, mais plutôt la nature dans sa matérialité intériorisée par le maître-artiste. Fraîcheur et sensibilitée se mêlent à la valeur des nuances d'un marron avec un brun-ambre, brun-chaudron, brun-tabac ou encore brun-acajou. L'exemple de son oeuvre, intitulée Le marché, la scène offre un effet le rapprochement entre les 15 personnages dans un grand espace aux couleurs de la terre, les gens au marché ont plutôt la tête pendante au regard d'objets en total absence, il n'y a rien à acheter, c'est bien la rencontre sociale qui s'échange. Chez M.-S. Nejar, le pinceau nourri d'huile se dilue dans le geste des doigts que dirige le souvenir, cette inépuisable matière qui décrypte la mémoire et nous offre une Casbah d'Alger, autre oeuvre charnière, dominée par les traits de sa doublure, la Casbah à Dellys, un titre qui ne peut échapper à un observateur avertie ou encore mieux cette Notre-Dame d'Afrique aux reliefs d'un retour sur son lieu de prédilection: Dellys la meurtrie. Le dôme de la cathédrale domine la ligne d'horizon gauche de la toile, tel un sémaphore d'une spiritualité côtoyée par le minaret d'un vieux Dellys arpentant les ruelles du souvenir de l'enfance agitée. Une opinion figée dans l'observation superficielle des quatre toiles portant le titre de Casbah d'Alger, dénonçait «cet aspect trop lourd de scènes et types, omettant une notion bien artistique que celle de l'artiste partant à la saisie de l'instant, de mettre en figure le moment de l'évasive légèreté et de dénoncer le temps qui fuit, un mécanisme bien étrillé dans le domaine de l'art plastique, et pourtant un illustre l'avait rappelé auparavant «le peintre ne doit pas faire ce qu'il voit, mais ce qui sera vu». (Paul Valéry) C'est toute la réussite de M-S Nejar à nous l'enseigner. Une autre opinion, ô! combien fastidieuse, conseille à l'artiste de mener «un jeu de formes dans les édifices (de la Casbah) pour laisser la lumière façonner le reste». Le reste... Un moment inquiétant qui ranime nos ignorances. Peut-on donner des conseils à un artiste et lui imposer notre regard dysfonctionné par les rides d'un aveugle quotidien? Nullement, certes. En étudiant la perspective des oeuvres de M-S. Nejar, nous relevons deux signatures bien personnelles à l'artiste: 1 - les personnages des scènes sociales sont vues de dos, des regardés de l'insolite aux dimensions énigmatiques, comme pour dire qu'ils se prennent au dépourvu avec une touche d'ignorer le regardant; 2 - le bleu dégradé, une couleur omniprésente dans l'ensemble de sa production et préférant un travail sur le périmètre en complexifiant la sémiotique des formes. L'artiste ne ménage aucun objet pour en faire un nouveau strate à son vécu, Notre-Dame d'Afrique se transforme sous la tension de sa palette, en Notre-Dame de Dellys où la figuration des formes et des lieux invoque le passage de l'enfant-artiste traversant le temps vers l'élévation et la graduation des couleurs, cette immense tranche de vie. «C'est la peur de n'aller pas assez vite, de laisser échapper le fantôme avant que la synthèse n'en soit extraite et saisie; c'est cette terrible peur... qui fait désirer (aux artistes); de s'approprier tous les moyens d'expression, pour que jamais les ordres de l'esprit ne soient altérés par les hésitations de la main; pour que finalement l'exécution idéale devienne aussi inconsciente, aussi coulante que l'est la digestion pour le cerveau de l'homme bien portant qui a dîné.» Charles Baudelaire dans Le peintre de la vie moderne.