Il est étonnant, il faut même dire scandaleux, que des bibliothèques soient aujourd'hui désertées. Sans doute, la jeune génération est-elle obnubilée par les nouvelles technologies dont l'Internet est une des caractéristiques les plus évidentes. Pour autant, les bibliothèques sont encore les authentiques demeures qui subliment la culture, - et, chez nous, de nos jours, elles doivent l'être plus que jamais. Par exemple, créée en 2011, la bibliothèque communale de Soûr El Ghouzlâne, bien située à Haï el Djebsa, au coeur d'une importante population de tout âge et de toute espérance, peut aisément être fréquentée comme un refuge et un lieu qui ouvre la conscience à l'intelligence de l'histoire de la cité et de sa région, et l'élève à créer les subtils instruments de son bel et précieux avenir parmi les métropoles de l'Algérie indépendante. Soûr El Ghouzlâne pourrait être un immense chantier de recherches constantes, d'études historiques et d'analyses scientifiques. J'aimerais, comme tout Ahl Soûr El Ghouzlâne - dont je salue vivement ici la noblesse de ses passions, que la bibliothèque devienne de plus en plus, par sa dotation en ouvrages et en archives, par son personnel formé et par ses équipements techniques modernes, un des lieux mémoriaux de la vaste haute plaine du mont Dirah, un site culturel parmi les plus sûrs de la conservation de la conscience historique la plus complète possible. Là, s'épanouira la jeune génération d'aujourd'hui et, de là, elle s'inspirera pour réaliser de beaux projets. Voici des extraits de présentation de quelques titres d'ouvrages dans Le Temps de lire (Saison 2014-2015): CHRONIQUE DES ANNEES DE GLOIRE de Mohamed Saïki, éd. Dar El Gharb, Oran, 2004, 500 pages (repris du Temps de lire du mercredi 29 septembre 2010): «Il est décédé le mercredi 21 janvier 2015 (Lire «Un grand moudjahid s'en va» in L'Expression du samedi 24 janvier 2015, p. 24). Je le revois vivant encore. Dans son livre Chronique des années de gloire (*), Mohamed Saïki, capitaine de l'ALN (surtout en Zone 4, Wilaya IV), dit, après quarante-deux ans, ce qu'il a vécu dans les maquis pendant la guerre de Libération nationale en y pensant, non sans y penser. Cette publication, qui comprend de nombreuses photos et cartes et en annexes divers documents, est la version française adaptée par Ali Goudjil, ancien recteur d'université, de l'ouvrage original en arabe intitulé «Chahâdat thâir min qalb el-Djazâir, Témoignage d'un révolutionnaire du cru de l'Algérie» (avec en ouverture, une lettre de félicitations du président Abdelaziz Bouteflika). Il écrit, «J'ai, pour ma part, eu l'honneur d'être l'un de ceux qui en ont vécu les péripéties, par la force des choses, ont eu des informations de première main sur des faits ou des événements qui ont eu des conséquences sur le cours de la Révolution dans cette partie du territoire national. J'estime qu'il est naturellement de mon devoir de témoigner, en mon âme et conscience, car il s'agit d'une responsabilité historique qui incombe à tous les moudjâhidîne de ma génération. J'ai vécu avec cette idée pendant quarante ans: écrire ces pages avec l'espoir qu'elles jetteront, un tant soit peu, un éclairage sur l'enchaînement des faits et qu'elles serviront à établir - ou à rétablir - certaines vérités, aidant ainsi le lecteur à mieux cerner cette période cruciale de l'histoire de notre pays. Je me suis efforcé, dans cette modeste contribution, de rappeler autant les faits connus que ceux qui, selon moi, ont été occultés sciemment ou de manière involontaire, avec l'espoir d'apporter des informations nouvelles aux chercheurs, érudits passionnés d'histoire, ou simplement aux profanes.» L'intention est donc claire et précise d'autant que ce grand moudjahid né en 1932 au lieu-dit «H'djar Djebel Dirah» à quelques kilomètres de Soûr El Ghouzlâne ne cesse d'appeler à la recherche de la vérité historique de la Geste révolutionnaire algérienne et à puiser dans les sources non altérées par une histoire tantôt magnifiée, tantôt diffamée, tantôt falsifiée de la Révolution. De même, il recommande de se méfier des déclarations que le temps incertain, les témoignages complices et répétés programment régulièrement pour dénigrer les acteurs de la Révolution, ainsi que des motivations inavouées qui poussent au soupçon et à la mise à l'index de nos héros de la lutte de Libération nationale.» QU'ATTENDENT LES SINGES de Yasmina Khadra, Casbah-Editions, Alger, 2014, 355 pages: «Savoir retrouver l'intelligence du singe... [...] les singes sont bien trop bons pour que l'homme puisse descendre d'eux», pensait Nietzsche dans OEuvres posthumes. [...] Quelle leçon de sciences humaines et de conscience morale, Yasmina Khadra se propose-t-il de tirer, pour ses lecteurs, de son expérience personnelle d'Algérien et de l'histoire de son peuple qu'il dit, ailleurs, «magnifique de patience et de longanimité»? Ici donc, seul l'auteur nous intéresse et nous sert de pierre de touche pour aborder son oeuvre où rien n'amuse. Toutefois, auparavant, et parce qu'il est insolite, que donne-t-il à comprendre ce titre «Qu'attendent les singes»? Pour le comprendre, il ne faut pas avoir l'esprit noué, car ce romancier n'est surtout pas un amuseur... C'est de nous qu'il parle, de nos bourbiers et même de nos rêves. Son livre contient autant sa responsabilité d'écrivain que notre espérance de lecteurs. [...] Au IXe siècle, Al Djâhidh (776-868, Bassora-Irak), fabuliste perspicace, zoologiste célèbre et philosophe à l'esprit scientifique ouvert, n'avait-il pas présenté «la théorie de l'évolution biologique»? Dans son Kitâb el hayawâne, Le Livre des Animaux (éd. Dar al-Gil/Dar al-Fikr, Beyrouth, 1988, Vol. IV, pp. 68-70), il notait en toute conviction que «Sur le maskh [c'est l'acte de la métamorphose dégradante] ont été émis des avis différents: il y a parmi eux ceux qui affirment que le maskh ne se transmet pas à la descendance, qu'il ne se perpétue pas, sauf pour servir de leçon et d'exhortation. C'est la position tranchée. Et puis, il y a ceux qui soutiennent que le maskh dure et se perpétue et a donné naissance à des espèces telles l'uromastix, l'anguille [djurriya], les lapins, les chiens et d'autres, des descendants de ces «peuples» qui se sont transformés en ces êtres et ont en acquis la (les) forme(s).» Poursuivant l'explication de ses hypothèses scientifiques, Al Djâhidh développait une thèse différente dans le même livre (Vol. IV, pp. 70-74), à propos de l'influence de l'environnement (la nature, le sol, l'eau, le soleil, la société, la culture, la politique, etc.): «... Peut-être, a-t-on trouvé que le marin nabatéen, dans beaucoup, ressemble aux singes. Et peut-être même qu'entre l'Homme du Maghreb et l'individu transformé [miskh, c'est le résultat de la métamorphose], il n'y a que peu de différences.» Al Djâhidh terminait son argumentaire par cette «Preuve de philosophie islamique»: «Et Abu Bakr al-Açam et Hishâm Ibn Ahkam disaient au sujet de la transformation: si Dieu veut transformer une graine de moutarde sans y ajouter de volume en longueur ou en largeur, il peut en faire autant d'un fils d'Adam, en le transformant en singe, sans en diminuer la taille.» Mais alors, se demande-t-on, «pourquoi l'homme ne pourrait-il pas compter que par ce qu'il obtient de lui-même selon la méthode sévère?» Ceci expliquant cela, l'intitulé «Qu'attendent les singes» est, dans ce cas, bel et bien une sorte de litote, laissant entendre plus qu'on ne dit.» LES PRESIDENTS ALGERIENS À L'EPREUVE DU POUVOIR de Badr'Eddine Mili, Casbah Editions, Alger, 2014, 158 pages: «Un rêve citoyen. À cet effet, Badr'Eddine Mili accorde à son travail deux parties distinctes, mais complémentaires en vue d'essayer de répondre au questionnement général pertinent que suscite l'intitulé de l'ouvrage Les Présidents algériens à l'épreuve du Pouvoir, période 1962-2014: La première partie s'oblige à poser quelques pré-requis et à faire quelques rappels: 1- L'Etat national entre révolution et contre-révolution. 2- Gauche, islamisme et démocratie. 3- Les élites algériennes d'hier à aujourd'hui. 4- La genèse des capitalismes algériens. La seconde partie s'attache à présenter, à travers des analyses de principe afin d'en dégager la personnalité, les profils des intervenants, en l'occurrence «les présidents algériens à l'épreuve du Pouvoir» et leurs actions; il s'agit par conséquent «Du pouvoir et des hommes», et les vocables utilisés dans les intitulés suivants sont très significatifs des intentions de l'auteur: 1- Ferhat Abbas, l'antihéros. 2- Ahmed Ben Bella, «le frère militant». 3- Houari Boumediene ou l'oeuvre inachevée. 4- Chadli Bendjedid: sujet ou objet de l'histoire? 5- Les trois morts de Mohamed Boudiaf. 6- Ali Kafi dans la tourmente des années noires. 7- Ce que l'Algérie doit à Liamine Zeroual. 8- Abdelaziz Bouteflika: le règne le plus long.» À suivre: La Petite bibliothèque de l'été 2015 dans Le Temps de lire du mercredi 2 septembre prochain.