Béjaïa reste à la traîne Abandonnés, dans leur majorité, par les agriculteurs, donc infertiles, les terrains agricoles constituent-ils la solution au développement de la région ou plutôt un frein à son essor? Le développement local constitue, aujourd'hui, un défi majeur pour mettre en valeur le pays et impulser, par là même, une croissance forte et durable de l'économie nationale, à travers l'exploitation de tous les atouts et ressources plurielles que recèlent les différentes régions. Dans cette perspective, la question de l'offre et de la demande en foncier reste déterminante dans la conduite des investissements au niveau local, régional et national. Elle fait désormais partie des facteurs essentiels d'encouragement et de facilitation au profit des investisseurs. Et c'est dans cet objectif que les pouvoirs publics ont décidé de réaliser des zones industrielles. Celles-ci sont destinées à structurer un maillage cohérent de tissu industriel et à contribuer à l'accélération du développement qui nécessite de nombreux investissements pour doter l'économie locale et nationale de nouvelles capacités de production de biens et services et faire bénéficier, ainsi, nos régions de toutes les retombées économiques et sociales. Toutefois, même si le gouvernement a programmé la réalisation de pas moins de 36 zones industrielles et a consacré le régime de la concession, afin d'améliorer l'offre du foncier industriel au profit des opérateurs et investisseurs et de réduire les comportements spéculatifs qui ont longtemps pénalisé les candidats à la création ou à l'extension d'entreprise, il n'en demeure pas moins que certaines wilayas souffrent de la rareté du foncier industriel. Exemple: la wilaya de Béjaïa. Des terres agricoles déclassées Ville côtière par excellence, la région de la basse Kabylie s'est offert ces dernières années la réputation d'être une ville qui souffre du manque de foncier. Paradoxe. Alors que les squatters s'adjugent des terrains forestiers et domaniaux à leur guise et se font régulariser quelque temps plus tard à la faveur de lois et circulaires pondues périodiquement, des équipements d'utilité publique et autres projets de développement sont, souvent, confrontés à la rareté du foncier. Cependant, y a-t-il réellement un problème de foncier dans la wilaya de Béjaïa? Enfin...! Ce qui est sûr, c'est qu'au niveau central, on a pris au sérieux cette contrainte. Pour solutionner ce problème, les pouvoirs publics avaient proposé au gouvernement de déclasser des hectares de terres agricoles. On admet que plusieurs terrains à vocation agricole sont, présentement, de faible rendement. Mais la problématique du blocage des projets demeure telle quelle. La distraction se fait lente et Béjaïa continue d'enregistrer une multitude de cas. Interrogé à ce sujet, un cadre de la direction des services agricoles de la wilaya de Béjaïa a été catégorique: «À notre niveau, nous ne faisons qu'une description du terrain tout en y émettant un simple avis. C'est au comité interministériel de décider de la distraction». Plusieurs projets sont compromis par l'absence d'assiettes de terrain et le fameux sésame du ministère qui tarde à venir. Le centre hospitalo-universitaire, le centre anticancer, le nouveau stade et le complexe pétrochimique que sont, entre autres, les principaux projets sont assez illustratifs. Le CHU, prévu à Djebira, dans la commune de Boukhelifa et le centre anticancer, prévu à Amizour, attendent la fameuse distraction pour être lancés du fait que toutes les procédures et études ont été finalisées. Le choix du site d'implantation du 3e plus grand complexe pétrochimique d'Algérie, l'un des projets les plus structurants de la wilaya de Béjaïa, a été confronté au diktat de la distraction. Vu la rareté du foncier à Béjaïa, le choix s'est, également, porté sur un terrain agricole à rendement moyen, situé à El Kseur, lequel a été soumis à la procédure de déclassement. Néanmoins, le ministère de l'Agriculture a apposé son veto sous prétexte que ledit terrain est à haut rendement agricole. C'est ainsi que la procédure de déclassement n'a pas eu lieu, laissant encore une fois place au doute quant à la réalisation de ce projet. Dès lors qu'un projet est inscrit à l'indicatif de la wilaya de Béjaïa, le problème du foncier surgit. Alors commence la procédure de levée des contraintes, procédure qui dure plus que les délais impartis à la réalisation du projet. Que de retards dans les procédures! Abandonnés, dans leur majorité, par les agriculteurs, donc infertiles, les terrains agricoles constituent-ils la solution au développement de la région ou plutôt un frein à son essor? La question restera longtemps posée. Dans la réalité ce n'est guère le cas. Les spécialistes sont catégoriques. Un responsable d'un bureau d'études et d'architecture, très connu sur la place publique et enfant de la région réfute tous ces motifs. D'emblée, il reconnaît que la ville de Béjaïa souffre du manque d'infrastructures sociales et d'équipements économiques, mais rejette l'argument selon lequel «le motif avancé souvent par les autorités est le manque de foncier urbain». Il est vrai que la ville de Béjaïa, sur le plan urbanistique, selon le point de vue de beaucoup de responsables, est saturée et doit s'étendre au-delà de ses frontières administratives, notamment du côté de Oued Ghir. En effet, la mer du côté est et sud-est, le parc de Gouraya du côté nord, l'oued Soummam du côté sud et les quartiers du côté ouest, sont considérés comme des limites infranchissables. «Mais cet argument, est totalement faux, car la ville de Béjaïa dispose d'un portefeuille important en foncier urbain qui est très mal exploité. Elle peut disposer d'une superficie de 400 ha, si certaines zones urbaines sont restructurées», avance Nacer Boutrid, responsable du bureau d'études «Axxam». «La zone industrielle qui occupe une position centrale constitue une vraie rupture urbaine entre les différents quartiers qui l'entourent. Ce que prévoit le Pdau En fait, la zone industrielle ne crée aucune plus-value dès lors qu'elle n'est qu'une zone de dépôt, qui ne crée que des nuisances et des dangers à la sécurité et au bien-être des populations», ajoute-t-il. Dans les faits, celle-ci occupe une superficie de 100 ha environ. «Le Pdau de Béjaïa, approuvé depuis 2009, a préconisé la délocalisation des activités qui s'y trouvent vers la zone industrielle d'El Kseur et récupérer toutes les friches industrielles pour les verser à l'urbanisme, par une étude de restructuration, afin de pallier la carence de la ville en matière d'équipements d'utilité publique et générale, de la décongestionner de toute la circulation de poids lourds qui y transitent», rappelle-t-il encore. Le Pdau prévoit également des études de restructuration pour les zones extra-portuaires, aujourd'hui occupées par des constructions vétustes datant de l'époque coloniale et dont l'activité n'est plus compatible avec la fonction de la ville, et constitue aussi une entité de rupture avec la trame vicariante existante. «Cette zone doit être versée à la ville, pour en faire une zone de centralité avec des activités de service polyfonctionnelles. La superficie de 85 ha qu'elle occupe, peut tout de suite être aménagée pour recevoir des équipements, dont la nécessité s'impose sur le territoire d'un chef-lieu de wilaya, juge notre interlocuteur, visiblement très au fait de la réalité du terrain. En dehors de la ville, il évoque, les berges de la Soummam, qui «sont aujourd'hui plus une nuisance qu'une attractivité et occupent 80 ha sur le territoire de la commune de Béjaïa». «Elles sont complètement ignorées alors qu'elles disposent de potentialités insoupçonnées en matière d'espaces de détente et de loisir», souligne-t-il, sans oublier de mentionner l'axe des crêtes qui n'a rien d'un boulevard urbain aujourd'hui, qui va de Sidi Ouali à Ighil El Bordj. «En grignotant une bande de 50 m en moyenne du parc de Gouraya, on peut libérer une superficie de 80 ha également pour en faire un boulevard belvédère unique en son genre», suggère Nacer Boutrid. En matière de nouveaux aménagements, Le plateau de Sidi Boudrahem, d'une capacité, de 200ha, est agressé de toutes parts par des constructions anarchiques et illicites sans que les autorités concernées ne réagissent. Ce plateau d'une capacité de 9000 logements et une vingtaine d'équipements sociaux et économiques, «a bénéficié d'une étude en tant que nouveau pôle urbain et dont les travaux sont à l'arrêt depuis quatre années», révèle-t-il encore. Mais l'extension de la ville de Béjaïa, est naturellement le pôle touristique Tazeboudjt-Boulimat-Saket, qui malheureusement ne dispose d'aucune viabilité. Entre l'avis des uns et des autres, Béjaïa reste à la traîne. Les infrastructures publiques ne trouvent pas d'assiettes pour l'implantation, les investissements privés et publics sont à l'arrêt, la réalité est pleine d'amertume. La solution viendra-t-elle un jour? La question reste posée.