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"La derdja est une langue: le maghribi"
ABDOU ELIMAM, LINGUISTE-CHERCHEUR, À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 25 - 05 - 2016

«Il pèse sur nous une sorte de pression inhibitrice que les sociolinguistes ont nommé auto-odi ou haine de soi-même»
Dans cet entretien, Abdou Elimam, linguiste algérien né à Oran et auteur de plusieurs ouvrages, revient sur l'évolution de sa thèse sur les origines puniques de «la derdja» et sur l'impact qu'aurait sa reconnaissance comme langue à part entière sur l'émancipation identitaire, culturelle et psychologique des populations de la région.
Vous avez écrit un livre, Le maghribi, alias «ed-derja» (la langue consensuelle du Maghreb) qui est à sa troisième vie éditoriale. Vous y défendez la thèse selon laquelle la derdja algérienne descend non pas de l'arabe, mais du punique. Quel bilan faites-vous de l'évolution de votre thèse depuis la première parution du livre à la fin des années 1990?
Oui, la première livraison de cette thèse remonte à la fin de 1997 - cela va donc faire bientôt 20 ans. Quel bel âge, n'est-ce pas? Il n'était pas aisé, à cette époque (durant la décennie noire, ne l'oublions pas) d'oser une telle aventure éditoriale. Effectivement, la teneur du livre interpellait aussi bien les partisans d'une arabité linguistique sans nuance, d'une part, que les défenseurs d'une origine amazighe exclusive, de l'autre. Il ne faut pas croire que l'arabophonie exclusive était du seul côté des extrémistes islamiques. Non, malheureusement, bien d'autres courants (nationalistes panarabistes, en gros) s'affichaient résolument contre mes thèses. Certains en sont revenus et je m'en réjouis. Du côté berbériste, par contre, il n'y a pas eu d'opposition. Il y a eu, disons, de l'embarras. En fait ma sympathie agissante pour l'émancipation du berbère était notoire - il n'y avait donc pas de raison de suspecter dans ma démarche une visée inamicale. Bien au contraire j'espérais - et espère toujours - une convergence des luttes pour la démocratie linguistique dans notre pays. Or il se trouve que certains compatriotes berbérophones redoutent bien plus la «derdja» que l'arabe scolaire (pour reprendre l'expression de mon ami le professeur A. Dourari). Ce qui explique certains comportements de repli et de réserve.
Cela étant dit, le fait d'apporter la preuve matérielle que la langue majoritaire de ce pays hérite avant tout de la langue punique était un réel pavé lancé dans la mare. Dans notre imaginaire, il n'y a pas d'Histoire avant l'avènement de l'islam. C'est ce déni de l'histoire qui occulte toute vision d'ouverture sur le monde anté-islamique. Et pourtant cette dimension historique traverse de fond en comble le texte coranique, par exemple! Mon initiative a donc contribué à repousser les murs qui nous séparent du reste de l'humanité.
En termes de bilan, je dois dire qu'en une petite vingtaine d'années, nos origines linguistiques puniques se sont imposées aux esprits - même si résistance il y a. Et cette reconnaissance dépasse largement le cadre algérien puisque le livre a eu un impact réel aussi bien au Maroc qu'en Tunisie. Il a été repris par de nombreux chercheurs de par le monde et plus particulièrement aux Etats-Unis d'Amérique et en Europe. La thèse centrale du livre a donc réussi à s'inscrire dans le paysage culturel et c'est là une grande victoire pour moi. Cela étant dit «nul n'est prophète dans son pays», comme on le dit.
Pourquoi existe-t-il une résistance farouche à la reconnaissance de la «derdja», comme langue à part entière en Algérie, aussi bien à l'échelle institutionnelle que sociale?
Permettez-moi d'attirer votre attention sur le fait que cette langue, je l'appelle le «maghribi» et non pas «derdja», comme vous le dites. Le fait de parvenir à nommer sa propre langue est pour moi un premier pas vers l'émancipation identitaire. Donc, si vous le voulez bien, appelons cette langue par son nom et non pas par un attribut. En effet «être un attribut de X» n'est pas pareil que «s'appeler X».
En fait, il n'y a aucune espèce de résistance puisque cette langue n'est imposée à personne et que c'est celle qui s'impose de fait dans l'espace social des échanges. Y compris dans les zones berbérophones, le «maghribi» prend place, tout naturellement, dans les marchés et autres espaces collectifs de commerce. La seule résistance notoire provient de l'Institution avec le paradoxe que ceux qui la rejettent le disent... en «maghribi»! Je dirais donc que du point de vue de la norme sociale, le «maghribi» est dominant. Mais que du point de vue de la norme d'Etat, le «maghribi» est minoré. Ajoutons tout de même que la minoration de cet héritage social et culturel dont les profondeurs sont ancrées depuis des siècles dans nos gènes historiques, est relayée par des arguments fallacieux. Je pense à ces déclarations sur une pseudo inexistence de «règles de grammaire», de «dictionnaires», de «littérature», etc. Alors qu'il existe des dizaines de dictionnaires et de manuels de grammaire. Quant à sa littérature, le «maghribi» peut -sans avoir à en rougir - se prévaloir d'un corpus littérature multiséculaire. En effet les productions réalisées au Maghreb et en Andalousie avant le XVe siècle puis celles diffusées entre le XVe et le XXe siècle au Maghreb constituent un trésor immense que nous nous refusons à hériter. Bien des joyaux de cette littérature et de cette prose (textes politiques, religieux, scientifiques et juridiques) sont jalousement conservés dans des musées et des bibliothèques en Turquie, en Egypte, en Espagne et en France. Qui se charge de récupérer ces biens immatériels? Une ancienne ministre de la Culture m'avait fait dire à ce propos que ma quête relevait d'une recherche personnelle... «circulez rien à voir!».
La langue est donc bien parée et ses moyens sont manifestes. Ses locuteurs sont natifs (car ils en héritent par la naissance). Ce qui manque à cette langue c'est une volonté politique d'acceptation de soi et de valorisation de notre héritage culturel et historique. Posez la question suivante autour de vous: «Que dis-tu si l'enseignement était en derdja''?». Et vous pourrez en mesurer l'ancrage vital notamment chez les plus jeunes.
Vous appelez «la derdja»parlée dans les pays du Maghreb «le maghribi» sans nulle distinction. Or, selon certains observateurs, cette «derdja» n'est pas la même dans tous les pays. Les parlers algérien, tunisien, marocain sont-ils les mêmes? Ont-ils la même structure?
Les sociolinguistes parlent de langues polynomiques pour désigner justement ces idiomes partagés par des locuteurs qui se revendiquent d'une même identité linguistique. Il se trouve que les parlers en usage à Malte, en Tunisie, en Algérie et au Maroc partagent un fond syntaxique, phonologique et lexical prédominant. Les variantes idiolectales sont souvent de nature phonétique. En fait, les différences lexicales sont plus symboliques que réellement distinctives. «Tawa en-dji» (en Tunisie), «Darwak en-dji» (en Algérie), «Daba en-dji» (au Maroc) expriment, à mes yeux, la richesse morphologique du «maghribi» plutôt que sa dispersion. Pourquoi un tel phénomène est-il crédité au compte de la «richesse» quand il s'agit des «grandes langues» et pas dans le cas de nos langues? Cela devrait nous inviter à une introspection.
Ce qui fait l'unité d'une langue, c'est précisément son système. Et les formes parlées dans les pays du Maghreb prennent ancrage dans un système grammatical et phonologique quasi identique. D'ailleurs vus de l'extérieur, ces parlers-là relèvent d'une même souche; en Palestine où j'ai vécu quelques années, on désigne ces parlers par le vocable de «lahj al-maghribi» - parler «maghribi». L'autre nous attribue une identité que nous nous refusons: quel comble!
Certains disent que «la derdja» est une variante vulgaire de l'arabe, une sorte de sous-langue. Or, elle est langue officielle à Malte et langue de l'Union européenne à côté du français, de l'allemand, de l'italien, de l'espagnol, etc. Quelle lecture faites-vous de ces éléments? Cela ne veut-il pas dire que «le maghribi» peut assumer une fonction institutionnelle?
Le maltais est une variante du «maghribi» car les deux langues partagent un passé punique commun. Le fait qu'elles sont très proches l'une de l'autre de nos jours - et pourtant l'influence linguistique arabe est quasi nulle en maltais - témoigne de leur vitalité. Là où le maltais l'emprunte à l'anglais et à l'italien, nous empruntons à l'arabe et au français, pour l'essentiel.
Pour ce qui nous concerne, le rapprochement avec la langue arabe ne commence à prendre corps qu'à partir du IXème; voire Xème siècle. Mais à cette époque-là nos ancêtres parlaient bien quelque chose! Ils parlaient effectivement des variantes berbères d'un côté et un néo-punique attesté, de l'autre. Les berbérophones ont continué de parler leur langue maternelle et les punicophones ont fait évoluer leur langue au contact de l'arabe bien plus que ne l'ont fait les berbérophones. La raison est simple: le punique et l'arabe étant des langues génétiquement apparentées, elles partagent bien des éléments (fond lexical, schèmes grammaticaux, etc.) qui, avec le temps, finissent par se ressembler. C'est pourquoi le «maghribi» rappelle l'arabe par certains aspects, mais s'en distingue par bien d'autres, aussi. Ce qui est clair, c'est que nous n'avons pas affaire à une «excroissance» de l'une par rapport à l'autre; nous avons affaire à deux entités pleines et entières.
Il est clair qu'à l'instar de n'importe quelle langue naturelle, le «maghribi» est en mesure d'assumer une fonction institutionnelle. Pour faire face à ses différentes fonctions, elle devra faire des emprunts, comme toutes les langues de prestige - imaginez ce que serait le français sans les apports latin et grec!
«Le maghribi» est la langue la plus parlée en Algérie. Mais elle n'a aucune existence dans les médias, y compris les médias privés. Pourquoi les médias n'utilisent pas la seule langue que tous les Algériens parlent et comprennent contrairement à nos voisins tunisiens et marocains qui s'adressent en «maghribi» à leurs auditeurs et téléspectateurs?
Il pèse sur nous une sorte de pression inhibitrice que les sociolinguistes ont nommé «auto-odi» ou «haine de soi-même». Nous n'osons pas mettre en scène notre langue maternelle tant elle a été stigmatisée comme sous-langue; voire une pseudo-langue. Il est vrai que des énoncés tels que «krazatu tomobil» etc. et qui sont réellement minoritaires sont avancés pour réfuter la «pureté» de la langue. Mais comment peut-on exclure de notre patrimoine 10 siècles de littérature «maghribie»? Comment peut-on insulter le raffinement de nos ancêtres dont la caractéristique principale de leur langage était précisément sa nature poétique et rhétorique? On peut amèrement regretter l'absence d'enseignement de cette littérature par l'Ecole algérienne. Car si l'institution de l'Education nationale assumait cette identité linguistique, il est à parier que bien des comportements auto-odiques laisseraient place à l'émergence d'une esthétique linguistique qui ferait écho à celle que nous auront léguée nos anciens.
Quel est le coût culturel, psychologique, et politique de la non-intégration du «maghribi», notamment à l'école, et de sa non-utilisation dans les médias?
Le coût est bien élevé car le sujet algérien maghribiphone - plus particulièrement - est en quelque sorte écervelé. On lui a fait se haïr parce que sa langue est présentée comme un attribut peu honorable. A l'école, il doit ruser pour réussir - donc faire «comme si» la langue scolaire est effectivement «sa» langue. Il s'en sort en recourant massivement au «par-coeurisme».
Certes, les efforts de mémorisation vont lui permettre de traverser sa scolarité, bon an mal an. Mais au bout du chemin nous obtenons le profil d'un sujet qui se hait, qui dévalorise son identité effective et tente de s'accrocher à une identité mythique. C'est donc une coquille vidée de son potentiel socio-culturel du terroir que l'institution éducative (scolaire et religieuse, s'entend) propulse dans un espace sans bornes et sans profondeur historique.
Les ferments de la violence sont donc bel et bien réunis chez ce sujet qui se renie, renie les siens et leurs visions du monde. Il n'est pas étonnant que les extrémistes que l'on a vu émerger sur la scène publique notamment lors de la décennie noire soient de fait: anti-nationaux, islamo-réformateurs, et hostiles à tout débat contradictoire.
Je pense que le coût de cet aveuglement sur la question identitaire linguistique aura tant pesé sur notre destinée en tant que nation qu'il faudra attendre quelques générations avant de retrouver la voie de la sérénité. Mais les responsables ne seront plus là pour rendre compte de leurs méfaits pour cause de refus de se mettre à l'écoute de la raison.


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