La rumeur qui fait courir En 2016, obtenir un passeport en Algérie c'est aller au front, gilet pare-balles, tenue de camouflage et masque à oxygène sont de mise... S'il y a bien des gens qui attendent avec impatience la fin de l'année, ce sont les employés de l'état civil dans les tribunaux et les mairies! Ce n'est pas pour leurs primes de fin d'année, mais pour la fin du calvaire des interminables chaînes humaines qui investissent leur lieu de travail pour faire ou refaire leur passeport avant le début de l'année 2017! En effet, l'adoption de la loi de finances 2017 par le gouvernement a été suivie d'une série de rumeurs. Parmi elles, l'augmentation du prix du timbre fiscal pour le passeport biométrique ordinaire qui passait de 6000 dinars à 25.000 dinars. Une information qui a poussé les citoyens à prendre d'assaut les services de délivrance du passeport afin d'obtenir le précieux document avant le début de l'année prochaine. Les autorités ont vite démenti, expliquant que ce n'était qu'une erreur d'interprétation de la part des médias. Les nouvelles taxes sont uniquement applicables pour le service premium de délivrance du passeport. C'est-à-dire, le paiement d'un timbre de 25.000 DA pour un livret d'urgence de 28 pages et de 60.000 DA pour celui de 48 pages. C'était néanmoins, trop tard! Le coup était déjà parti! La ruée vers les tribunaux et les mairies continue! Dans certains endroits, il faut même se lever aux aurores pour espérer obtenir les fameux sésames! Le parcours du combattant commence ainsi au niveau des Palais de justice qui sont devenus trop exigus pour accueillir la grosse foule qui les envahit, tous les jours. On cite le tribunal d'El Harrach qui a trouvé le moyen de s'adapter en faisant même participer les policiers pour aider les greffiers dans leur périlleuse mission. Le matin ils gèrent la foule et le soir ils distribuent les certificats de nationalité en criant les noms comme dans une classe de cours. Au même moment, les greffiers travaillent comme des robots pour satisfaire cette incessante demande. «Ce matin j'ai fait la queue pendant trois heures pour déposer ma demande, et cela fait déjà deux heures que j'attends que l'on crie mon nom pour récupérer mon certificat de nationalité», lance ce quinquagénaire pris au milieu d'une immense foule. Rumeur, rumeur quand tu nous tiens! Il faut dire qu'il faut s'équiper en conséquence pour affronter l'épreuve du Palais de justice. Gilet pare-balles, tenue de camouflage et masque à oxygène sont obligatoires pour pouvoir aller y combattre. «Je ne comprends vraiment pas les gens. Ils vivent de rumeur et de pénuries. Je suis prêt à parier que la majorité qui est ici n'a pas besoin de passeport. Mais elle va le faire pour prendre les devants. C'est un peu comme ce qui s'est passé l'an dernier avec l'assaut des pompes à essence à la veille de l'augmentation», estime de son côté Fethi qui était venu récupérer son certificat de nationalité pour accéder à un emploi. «Regardez maintenant les gens comme moi qui ont vraiment besoin de ces documents, ils se retrouvent coincés», peste-t-il avant de «plonger» au milieu de la foule croyant avoir entendu son nom. Du côté du tribunal de Rouiba, la situation n'est guère meilleure! Heureusement qu'il est assez vaste ce qui a permis aux responsables de consacrer une des salles d'audience pour la circonstance. Malgré cela, elle a vite été trop exiguë pour tout le monde. «On n'en peut plus, on a beau expliquer aux citoyens que le prix du passeport ne changera pas, ils ne nous croient pas!», confie un employé de ce tribunal qui a requis l'anonymat. «Depuis que l'annonce a été faite par les médias, c'est le cauchemar. Pis encore, nos téléphones ne s'arrêtent pas du fait que nos connaissances nous harcèlent pour qu'on leur fasse sortir un certificat de nationalité», ajoute-t-il d'un air désespéré. Mais quid de l'utilisation d'Internet pour retirer ces documents? Les TIC sont pourtant là... L'obtention du certificat de nationalité est en principe devenue très facile, grâce à la modernisation du secteur de la justice que mène Tayeb Louh en parallèle à celui de l'administration. Ces deux documents ne prennent que cinq minutes pour être délivrés sur Internet à la faveur de la mise en place de la Banque nationale centrale des données. «Le retrait de documents par Internet n'a pas encore été vulgarisé chez les citoyens. Ce geste n'est pas encore une habitude chez eux car cela leur fait encore peur», souligne un greffier. Il faut dire que ce n'est pas facile de changer les mentalités dans un pays où la bureaucratie faisait foi. Ce qui donne les images auxquelles on assiste ces jours-ci. Néanmoins, l'épreuve du tribunal n'est pas la fin du calvaire! Les citoyens doivent encore déposer leurs dossiers au niveau des mairies qui, depuis un moment, s'occupent de la délivrance des passeports à la place des daïras. Là aussi, il faut se lever à l'aube pour espérer passer. A 6 heures du matin, on trouve déjà une grosse foule amassée devant des bureaux qui n'ouvrent qu'à 9h! Aux environs de 7h30, les agents de sécurité arrivent pour la distribution de tickets. L'attente semblait interminable! «Après avoir obtenu un ticket indiquant mon tour, j'ai dû attendre un bon moment avant de pouvoir déposer mon dossier de renouvellement du document, car plus d'une trentaine de personnes devaient passer avant moi», explique Sihem au bord de la crise de nerfs. Notre interlocuteur signale cependant quelques désagréments quant aux conditions d'accueil et sur le comportement de certains agents. «Certains font de l'excès de zèle en nous traitant comme du bétail. D'autres font passer leurs connaissances alors que nous on poireaute depuis des heures. C'est un vrai calvaire...», dénonce t-il. «On se croirait en état de guerre où l'on doit tous quitter le pays..», s'étonne «Dda Belaïd», un homme d'un certain âge de passage devant cette mairie, excédé par ce spectacle d'une autre époque. En 2016, obtenir un passeport en Algérie c'est aller au front...