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L'homme d'Etat et l'homme de Dieu
L'EMIR ABDELKADER
Publié dans L'Expression le 28 - 05 - 2005

Les Musulmans se répètent le mot d'Abdelkader montrant en 1848, la planchette des écoliers arabes : «C'est le seul fusil qui nous reste».
Abd El-Kader B. Muhyi l-Din Al-Hasani, né en 1808 à la Guetna de l'Oued Al-Hammam, à l'ouest de Mascara appartenait à une famille d'origine chérifienne qui dirigeait la zaouia de la confrérie des Kadiriyya. L'invasion de l'Algérie le transforma en guerrier. Bugeaud tente de définir dans une lettre du 1er janvier 1846 : «C'est une espèce de prophète, c'est l'espérance de tous les musulmans fervents». Devenu soldat pour défendre son pays, sa tentative de créer un Etat indépendant devait laisser un souvenir prestigieux: il est célébré aujourd'hui comme le fondateur de la nation algérienne. Jusqu'en 1838, il put asseoir sa souveraineté sur les deux tiers de l'Algérie. Abd El-Kader étendit son autorité dans les provinces d'Oran, d'Alger, du Titteri et jusque dans le Constantinois et organiser un Etat. Il commença à unifier l'Etat algerien, en le fortifiant et en le dotant d'une armée de 10.000 volontaires rétribués, d'une ligne de places fortes et d'une capitale, «Tagdempt».
Il est intéressant de remarquer que même, pendant sa lutte qui devait durer plus de quinze ans, contre l'envahisseur français, l'Emir a ressenti très tôt la nécessité du renforcement du «système éducatif» des populations de l'Etat, (ouest et centre de l'Algérie). Dès son intronisation, comme l'écrit A. Boutaleb : «L'éducation des masses était parmi les préoccupations de l'Emir, ce qui n'étonne pas, de la part, d'un homme épris de culture, depuis son plus jeune âge. Son effort d'unification, allait donc de pair avec l'établissement d'un système d'éducation générale. Aussi bien dans les villes, que dans les campagnes, furent créées des écoles où des enfants apprenaient l'arithmétique. Cet enseignement était gratuit, de même que celui dispensé dans les zaouias et les mosquées d'un niveau plus élevé».(1)
Churchill rapporte l'attachement de l'Emir à l'éducation et ce dernier aurait écrit : «On envoyait, gratuitement, dans les zaouias et les mosquées, ceux qui désiraient pousser leurs études et plus en avant leur éducation. Ils y trouvaient des tolbas, en mesure de les instruire, dans l'histoire et la théologie. J'attribuai aux tolbas, un traitement régulier dont le montant variait, avec leur savoir et leurs mérites. Encourager l'instruction paraissait tellement primordial à mes yeux, qu'il m'arriva plus d'une fois, de faire grâce à un criminel, d'une condamnation à mort pour la seule raison qu'il était taleb».(2)
Une importante bibliothèque fut ainsi créée par la collation des manuscrits. Cette bibliothèque inestimable sera détruite, lors de prise de la Smala de l'Emir, par les troupes françaises en 1843. Ce trophée est allé enrichir le butin personnel de Bugeaud, qui pour la première fois a été exposé lors de «l'Année de l'Algérie en France».
Après les bombardements de Tanger et de Mogador et la défaite de l'armée marocaine à la bataille de l'Isly (14 août 1844), l'armée française, forte de 106.000 hommes répartis en dix-huit colonnes opérant simultanément, amena l'Emir des croyants malgré une résistance héroïque à déposer les armes sous réserve de plusieurs promesses, le 23 décembre 1847. Manquant à la promesse qui lui avait été faite de le transporter avec les siens à Alexandrie, le gouvernement de Guizot, puis ceux de la IIe République, tout aussi méfiants, le retinrent prisonnier en France à Toulon puis au château d'Amboise. Plus de vingt personnes sur la centaine de personnes de la maison de l'Emir moururent en captivité. Le 16 octobre 1852, Louis-Napoléon vint, lui-même, annoncer à l'émir et à sa mère sa mise en liberté pour s'établir à Brousse en Turquie.
La dimension mystique de l'Emir
Plus tard, en août 1865, Napoléon III, qui pensait toujours à faire de la Méditerranée une zone d'influence française, le fit sonder «au sujet de la constitution en Syrie d'un Etat arabe indépendant dont il aurait été le souverain». Abd El-Kader répondit que depuis 1847 «sa mission était finie : Dieu lui-même lui avait ordonné de déposer les armes». Abd El-Kader agissait en mystique que Dieu avait arraché au monde de la politique. Il mourut à Damas le 26 mai 1883. Après l'indépendance de l'Algérie, son corps a été transporté au cimetière des martyrs d'El Alia à Alger.(2)
On se souvient que la nuit noire de l'inquisition dominait le Moyen-Age européen par suite d'une hégémonie sans égal de l'église sur le mouvement des idées. Trois événements majeurs permettent d'expliquer le réveil de l'Europe. Il y avait, avant tout, la formidable proximité de la civilisation musulmane d'Espagne. Pendant, en effet, près de huit siècles et d'une façon lente mais sûre, des lettrés européens, se mirent à l'école musulmane. Même les gens d'église se mirent à lire Averroès, et Avicenne, s'imprégnant, ainsi, indirectement de l'héritage culturel grec transmis et approfondi par les savants arabes. Il y eut ensuite, les grandes découvertes, l'Europe et l'église se sentant à l'étroit devaient trouver de nouvelles terres à exploiter et de nouvelles âmes à évangéliser ....Les conquêtes ont été faites au nom de l'église.
Cependant, le troisième évènement est la révolution majeure apportée par la Réforme avec Luther. Le protestantisme a secoué le joug de l'église et permit de libérer la pensée. Le vaste mouvement d'idées qui en découla allait changer la face du monde. Il fut appelé «Enlightment» en Angleterre, «Lumières» en France, «Aufkhlarrung» en Allemagne, cette effervescence intellectuelle va donner naissance à une nouvelle conception de l'homme dans la nature, qui n'est plus anthropocentrique. L'homme cessait d'être fait à l'image de Dieu. Progressivement la science prenait ses distances d'avec la religion se posant même et souvent en compétitrice pour tenter d'expliquer rationnellement l'angoisse métaphysique de l'homme face au mystère de la nature.
On fit, alors, table rase du passé. La raison seule présidait à «l'administration des choses et au gouvernement des hommes», et dictait les vertus civiques ainsi que les nouvelles règles morales. Le rationalisme prit les dimensions d'une idéologie, et à l'époque de l'Emir Abdelkader dans certains pays européens, on dériva vers le scientisme qui consistait à ne prendre véritablement en considération que ce qui était mesurable et quantifiable.( 3)
C'est à l'un de ces pays- là, écrit Hadj Hirèche ; la France, que l'Emir, et un peu plus tard d'autres régions de l'aire arabo-islamique furent confrontés. Dès la fin du 18e siècle, l'expédition bonapartiste en Egypte annonça le renversement des rapports de force Orient-Occident. A partir de cette époque la oumma était sur la défensive. Elle se trouva partout en situation d'infériorité ; de multiples questionnements agitaient les esprits, tant sur le plan militaire, politique et économique que sur le plan spirituel... C'est dans ce contexte qu'Abdelkader eut à assumer le choc des deux civilisations, des deux modernités dont l'une était en passe de supplanter l'autre. Sur le terrain, ce choc prit la forme d'une lutte armée dans un combat inégal où seule la bravoure permettait de sauver l'honneur. C'est lors de son exil au Moyen-Orient que l'Emir prit la véritable mesure du «choc des civilisations». Ce choc se traduisit chez lui par une confrontation d'idées et de concepts, exprimés dans son «autobiographie», et pour l'essentiel dans un ouvrage traduit sous le titre de Lettre aux Français, écrit en 1855 à Brousse en Turquie.
En homme enfin libre, en intellectuel accompli, en mystique de haute spiritualité, en chef militaire et politique victime de diverses trahisons, l'Emir, à ce moment de sa vie, a dû beaucoup méditer. Il venait d'endurer, lui et les siens, le traitement infligé par l'administration d'une nation dite moderne dont les chefs ne respectaient pas la parole donnée, à l'instar du général Bugeaud qui avait une appréciation singulière du respect des traités.
Dans ses écrits, l'Emir prend nettement ses distances avec la nouvelle vision «séculariste» du monde selon laquelle les affaires humaines relèvent du domaine exclusif de la raison. L'Emir s'émerveille des progrès réalisés par les savants européens usant de leur «esprit d'application pratique». Il ajoute que si la science est neutre en elle-même, elle est à condamner lorsque celui qui l'utilise se propose un but qui dépasse celui auquel elle ne peut raisonnablement prétendre. Se trouve ainsi posée la problématique de l'éthique en matière de progrès, qui est au centre des débats en ce début de 21° siècle.(4)
Pour Jacques Berque: «Les écrits d'Abdelkader nous incitent à poser une question sur l'histoire littéraire, sur la renaissance arabo- musulmane et répondre qu'Abdelkader fut le précurseur de la Nahda, car il fut l'un de ceux qui ont contribué dès lors, au renouvellement de la pensée, c'est-à-dire l'un des promoteurs de la première Renaissance qui a dû servir dans le futur».(5)
Il semble bien que l'Emir ait parfaitement perçu dès cette époque, les rouages de la civilisation industrielle, entraînée, observe-t-il par la recherche de profits toujours plus élevés, par l'accumulation incessante de capitaux, par la spéculation financière effrénée, par l'application débridée de la science à tout ce qui est de bon rapport.
Si son combat pour défendre sa patrie et essayer de créer un Etat indépendant lui a valu d'être considéré comme le vrai fondateur de l'Algérie contemporaine, son parcours spirituel d'homme de la voie lui a valu d'être considéré comme l'un des plus fidèles héritiers et l'excellent transmetteur de la doctrine du Doctor Maximus, de la gnose islamique Ibn El-Arabi mort à Damas en 638 h/1240, auprès duquel Abdelkader est inhumé.
De 1852 à 1883 l'Emir, s'établit au Proche-Orient. A Damas, l'Emir prit sous sa protection la communauté chrétienne maronites victimes des intrigues françaises et anglaises qui en faisaient leurs protégés, lors des émeutes de Juillet 1860. Il permit, ainsi, à plus de 12.000 chrétiens d'échapper aux massacres face à une foule déchaînée. Répondant aux remerciements de tous les grands de l'époque et du pape Pie IX, il écrit en juillet 1862 : «Ce que nous avons fait de bien avec les chrétiens, nous nous devions de le faire, par fidélité à la foi musulmane et pour respecter les droits de l'humanité. Notre Dieu et le Dieu de toutes les communautés opposées à la nôtre est véritablement un Dieu unique...Il s'est manifesté aux Mohammadiens au-delà de toutes formes, tout en se manifestant en toute forme, sans que cela entraîne incarnation, union ou mélange... Aux chrétiens, Il s'est manifesté dans la personne du Christ et des moines. Aux juifs, Il s'est manifesté sous la forme de Uzayr et des rabbins, aux mazdéens sous la forme du feu, et aux dualistes dans la lumière et les ténèbres. Et Il s'est manifesté à tout adorateur d'une chose quelconque... sous la forme de cette chose, car nul adorateur d'une chose limitée ne l'adore pour elle-même. Ce qu'il adore, c'est l'Epiphanie, en cette forme, du Dieu Vrai».
Dès le début de son installation à Damas, l'Emir devient le pôle d'un cercle de maîtres spirituels de différentes confréries et d'intellectuels, et son enseignement fut recueilli par ses disciples. Une partie de cet enseignement fut consigné par écrit dans son ouvrage Le livre des Haltes. l'Emir n'a cessé à travers ce livre de proclamer son rattachement spirituel à l'un des plus grands maîtres de l'histoire humaine, le Cheikh Al-Akbar, Ibn Arabi.
Dans sa quête oecuménique, l'Emir: «En moi est toute l'attente et l'espérance des hommes ; pour qui le veut «Coran» (totalisateur) ; pour qui le veut «Livre discriminateur» ; pour qui le veut : «Torah» ; pour tel autre, «Evangile», flûte du Roi - Prophète ; «Psaume ou révélation». Ceci rejoint les vers de Djallal Eddine Erroumi ou ceux d'Ibn Arabi : «Mon coeur est devenu apte à revêtir toutes les formes. Il est pâturage pour les gazelles et couvent pour les moines. Temple pour les idoles et Kaâba pour le pèlerin. Il est les tables de la Torah et le livre du Coran. Je professe la religion de l'amour, quel que soit le lieu vers lequel se dirige ses caravanes. Et l'amour est ma loi et ma foi».
Sagesse et puissance
Pour conclure, dans une vision prophétique l'émir, écrivait dans El Maoukef : «Plutôt que d'interroger, nous nous interrogeons sur l'avenir de l'homme en général et sur celui de l'Occident en particulier puisque c'est lui qui dominera le monde matériel. Cet Occident est malade de son intelligence. Il a beau être savant il n'arrive pas à saisir une vérité essentielle tant il est vrai qu'il est assoiffé de pouvoir et de conquête aveugle par l'illusion de sa puissance prônant l'argent pour Dieu. Il oublie pourtant de privilégier l'essentiel, à savoir l'esprit. S'il parvient à guérir son intelligence, s'il admet que ce monde est le plus parfait de tous les mondes, alors, il parviendra à la perfection absolue. Son bonheur sera alors à la mesure de sa science, c'est-à-dire une science qui illumine tous les états de l'être. Dans le cas contraire, son malheur sera à la mesure de son ignorance. Et c'est son esprit sourd et aveugle qui l'aura fait atteindre ce but. Celui qui est amer trouvera amers, malgré leur goût de miel, les propos du plus grand parmi les sages».
L'Emir met, ainsi en cause, des principes fondamentaux de la nouvelle civilisation. Il estime que l'Occident qui a acquis de puissants moyens de domination n'a pas toute la sagesse (celle qui relève du spirituel) pour régenter le monde. Il ne mesure pas nous dit-il, les conséquences de ses décisions qui pourraient bien se retourner contre lui et contre le reste de l'humanité : jugement prémonitoire s'il en fût ! C'est toute la mondialisation sans éthique, «le moneytheisme»: la religion de l'argent, ainsi pointée du doigt. L'homme saura-t-il comme l'invite l'Emir à surmonter sa dimension matérialiste pour aller vers l'absolu?(6).
(*) Ecole Polytechnique
1. A. Boutaleb. L'Emir Abdelkader et la formation de la nation algérienne. p.109. Editions Dahlab. (1990).
2. Ch. H. Churchill. La vie d'Abdelkader. Traductions et notes de M. Habard. p.167.Eds Sned. (1974).
3. Hadj Habib Hiréche site Oumma.com lundi 14 juillet (2003)
4. Abdelkader.html
5. J. Berque. Conférence prononcée à Alger (1985).
6.C.E. Chitour La mondialisation ; espérance ou chaos ? Editions Anep.(2002).


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