Le président turc Recep Tayyip Erdogan sera de nouveau à Moscou, aujourd'hui, pour une rencontre cruciale avec le président russe Vladimir Poutine au sujet de la situation particulièrement tendue au nord de la Syrie, notamment dans la province d'Idlib où se trouvent plusieurs postes d'observation de l'armée turque, résultant de l'accord de Sotchi que les factions terroristes et rebelles n'ont jamais respecté depuis. La récente offensive de l'armée syrienne sur Idlib, après des mois d'intenses bombardements des positions terroristes dans la région, a mis les forces turques présentes sur des charbons ardents, et cela au moment où Ankara a trouvé un accord pourtant improbable avec Washington pour l'instauration d'une autre zone de sécurité, concernant cette fois les combattants kurdes des FDS-YPG soutenus et armés par les Etats-Unis ainsi que d'autres puissances occidentales membres de la coalition internationale. A Idlib, non seulement la Russie soutient cette offensive du régime syrien pour reprendre le contrôle de la région, afin d' « en finir avec les groupes terroristes »- l'expression est celle du président Poutine lui-même, en réponse à l'oukase de son hôte français le président Macron qui réclamait un cessez-le-feu « immédiat » dans la région d'Idlib -, mais elle combat activement aux côtés des forces syriennes afin d'affranchir le nord du pays de la lèpre terroriste exploitée par nombre de pays pour pérenniser leur présence illégitime sur le sol syrien. Comme à Sotchi, en mai 2018, au lendemain d'un sommet tripartite à Téhéran où Ankara n'avait pas obtenu l'arrêt de la grande offensive prévue par Damas pour libérer Idlib, malgré un tollé général poussant les puissances occidentales et l'ONU à prédire une « catastrophe humanitaire sans précédent », comme si les souffrances et les pertes du peuple syrien, depuis l'agression de 2011, assortie d'une ruée régionale et internationale sur un cadavre supposé, ne sont rien en comparaison, il se peut qu'une nouvelle fois, Erdogan rentre en Turquie avec une ultime concession. La chose est d'autant plus envisageable que le rapprochement entre les deux capitales russe et turque, au cours des dernières années, témoigne des multiples intérêts mutuels qu'ils voudront nécessairement préserver. Moscou et Ankara ont, avec l'Iran, un rôle essentiel à jouer aussi bien en ce qui concerne la Syrie que la région proche orientale où les enjeux sont à la fois complexes et contradictoires. Mais la marge de manœuvre du président turc est beaucoup plus réduite. En effet, la Russie n'a pas d'autres bases dans la région du Moyen-Orient que celle navale de Tartous, fortement menacée par la progression de Daesh et des autres groupes terroristes en 2015, et plus récemment celle aérienne de Hmeimim, au cœur du fief de Lattaquié de la famille al Assad, toutes deux ciblées par les terroristes d'Idlib. Et le fait est qu'aujourd'hui, à Idlib, la situation n'est guère différente de celle d'octobre 2015 lorsque le président Poutine, convaincu par les discussions en juin, en août et en septembre 2015, entre le ministre de la défense Sergueï Choïgou et le chef d'état-major Valery Guerrassimov, d'une part, et le général iranien, chef de la force spéciale El Qods des Gardiens de la révolution, Kassem Souleimani, d'autre part, a brusquement décidé une intervention massive en Syrie pour changer en profondeur le rapport de forces imposé par la coalition internationale. Et pour cause, dans le nord-ouest syrien, la région d'Idlib est largement dominée par les terroristes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS, ex Al Nosra, branche syrienne d'Al-Qaïda), à laquelle se greffent plusieurs groupes rebelles soutenus par Ankara. Et les attaques incessantes dans cette province impactent directement celles voisines d'Alep et Lattaquié, voire même Hama. L'offensive du 8 août qui a permis la reprise de la ville stratégique de Khan Cheikhoun est à ce titre impérative et toute concession en faveur des groupes rebelles, alliés objectifs de Hayat Tahrir al Cham, sera profondément préjudiciable à la Syrie et à ses alliés, Russie comprise. Ankara n'a pas pu, ou n'a pas voulu, imposer les termes de l'accord sur la zone démilitarisée, convenus à Sotchi, et aujourd'hui Damas a parfaitement le droit d'estimer que « les développements sur le terrain (...) imposent une révision de l'accord » que les factions extrémistes, de quelque nature qu'elles se présentent, ont sans cesse piétiné.