A la veille de l'Aïd El-Adha, Djouher Amhis-Ouksel s'est éteinte chez elle à Alger, à l'âge de 97 ans. Cette figure discrète mais incontournable de la scène intellectuelle algérienne laisse derrière elle un parcours riche, guidé par un seul fil conducteur : la transmission du savoir.Née en 1928 dans le village d'Ath Yenni, dans la wilaya de Tizi- ouzou, elle a consacré sa vie à former, à écrire, à éveiller, à transmettre, sans jamais chercher la lumière, mais toujours soucieuse d'en offrir aux autres. Elle entame très tôt une carrière dans l'enseignement, après avoir intégré en 1945 l'école normale de Miliana. D'abord professeure des écoles à Thénia, elle enseigne ensuite les lettres au lycée de Médéa. Puis, en 1968, elle est promue inspectrice de l'Education nationale, une fonction qu'elle exercera avec rigueur et passion jusqu'à sa retraite en 1983. Mais ce départ de l'institution ne sera pas une fin, mais plutôt le début d'un autre engagement : celui de l'écriture, de la pédagogie par les livres, de l'incitation à la lecture, notamment chez les jeunes. Son œuvre littéraire est traversée par cette même exigence de transmission. Elle n'a jamais cherché à briller en solitaire, mais plutôt à tendre la main aux jeunes générations, à leur ouvrir les portes d'un patrimoine littéraire souvent méconnu. Sa série d'ouvrages intitulée Lectures, parue principalement chez Casbah Editions, en est l'illustration la plus éloquente. Dans chacun de ces livres, elle décortique, analyse, rend accessibles les grandes œuvres d'auteurs algériens majeurs. Elle y parle de Mouloud Mammeri, Mohammed Dib, Mouloud Feraoun, Assia Djebar, Taos Amrouche, Kateb Yacine, Tahar Djaout, Abdelhamid Benhadouga ou encore Rachid Mimouni. Toujours avec le même souci : ne pas se substituer à l'œuvre, mais donner envie de s'y plonger, avec curiosité, avec plaisir, et non sous la contrainte. Elle a également porté un regard tendre et exigeant sur la littérature amazighe, sa poésie, sa mémoire. Son livre Le Chant de la sitelle, publié en 2012, mêle autobiographie et poèmes. C'est un retour aux racines, une déclaration d'amour à sa culture d'origine, et en même temps une méditation sur le temps, la langue et la transmission. Son engagement n'a pas été ignoré. En 2012, elle reçoit le prix Mahfoud-Boucebci, saluant l'ensemble de sa carrière et son action en faveur de la jeunesse. L'année suivante, la fondation Nedjma l'honore à son tour. Deux hommages artistiques majeurs lui sont consacrés : un documentaire intitulé El Djouher Amhis, une femme d'exception en 2016, réalisé par M'hamed Amrouche, puis un clip poétique en 2018, signé Rachid Rezagui. Na El Djoher n'a jamais cherché la notoriété, mais ceux qui ont croisé son chemin, ses élèves, ses lecteurs, les enseignants qu'elle a accompagnés ou formés, gardent le souvenir d'une femme à la fois douce et intransigeante, discrète mais déterminée. Elle croyait profondément en la capacité des jeunes à comprendre, à aimer, à apprendre, à condition qu'on sache leur parler, qu'on leur tende les bons livres, qu'on leur laisse le temps. À la fin de l'année 2024, son village natal d'Ath Yenni lui a rendu hommage, en présence de nombreux écrivains, artistes, poètes et associations culturelles. Elle avait su rester fidèle à ses origines, à son village, à sa langue, à ses valeurs, tout en s'inscrivant dans un projet profondément tourné vers l'avenir : celui de la culture partagée et vivante. Djouher Amhis-Ouksel a été inhumée à Alger, au cimetière de Sidi Yahia, le 6 juin 2025, jour de l'Aïd El-Adha, après la prière de l'Asr. Une date symbolique, presque poétique, pour celle qui a toujours vu dans la langue, dans la littérature et dans le geste d'enseigner un acte de foi, de lumière et de générosité.