Il y a un an, ils surprenaient leurs aînés en manifestant par centaines de milliers en Irak. Aujourd'hui, les jeunes et leur «révolution» continuent d'intéresser l'ancienne génération qui se rappelle ses propres soulèvements mais aussi ses déboires. Habitué de la célèbre rue des bouquinistes de Baghdad, al-Moutannabi, Jamil Mozzan, 76 ans, ne peut rester indifférent à l'approche du 25 octobre, premier anniversaire du début des grandes manifestations. «J'ai vécu plusieurs révolutions à mon époque» dans un Irak secoué par révoltes, coups d'Etat et soulèvements contre la dictature, «et j'ai fini par perdre toute illusion de changement», soupire-t-il. «Je suis sorti pour voir ce qui pourrait être différent cette fois-ci. Je suis trop vieux pour crier des slogans à tue-tête mais les jeunes ont toute ma sympathie.» Toutes les générations ont répondu l'année dernière à l'appel des jeunes pour réclamer la fin d'un système politique mis en place sous l'égide des Américains en 2003 après la chute de Saddam Hussein. La fin du système de répartition des postes en fonction des confessions et des ethnies. Et la fin de la corruption. La mobilisation s'est soldée par près de 600 morts, 30.000 blessés et un nouveau gouvernement qui, jusqu'ici, n'a mené aucune réforme dans un pays où un jeune sur trois est au chômage alors qu'ils représentent 60% de la population. Khayal al-Jawahiri, la sexagénaire, était elle aussi place Tahrir, épicentre de la contestation à Baghdad. Dès qu'elle est arrivée là-bas, elle a été accueillie par des vers de son père, le plus grand poète irakien, Mohammad al-Jawahiri, qui a fait ses classes lors d'une autre révolution, celle de 1920 contre le mandat britannique.»Des tréfonds du désespoir, une génération émergera (...) à la recherche de la vérité, forte et déterminée», a-t-elle lu sur un panneau. «Sa poésie racontait la souffrance des Irakiens.» Elle aussi rend hommage aux jeunes d'aujourd'hui. Un an après le début de leur mouvement, si le système politique est toujours là, «la nouvelle génération a acquis une conscience politique, ils ont été poussés par leurs conditions de vie difficiles créées par des politiciens accrochés au pouvoir», estime cette femme élégante». Quand Jawahiri ou un autre lançait une attaque particulièrement virulente contre la classe politique en public, il était impossible de détacher leurs mots du contexte social et cette tradition est toujours vivante», explique Kevin Jones, auteur d'un livre sur poésie et révolutions en Irak. Pour cet historien, «la poésie révolutionnaire continue d'exister même si les voix, l'esthétique et les espaces d'expression ont évolué», en référence notamment à Internet. Dans une tentative infructueuse d'étouffer les slogans et les images du bain de sang de la répression, l'Etat a coupé durant plusieurs semaines Internet l'année dernière. Pour Ali Riyadh, un militant et poète de 27 ans, l'ancienne génération d'intellectuels - la même que celle des politiciens au pouvoir - est élitiste et déconnectée de la réalité. La sienne a grandi prise en étau entre milices chiites toutes-puissantes et attentats de jihadistes accros à la propagande en ligne. Entre «des claviers d'ordinateur et des kalachnikovs», résume-t-il. Notre poésie «hurle et claque comme les balles parce qu'elle reflète notre destruction psychologique», explique-t-il.. L'année dernière, sur Tahrir, Ali et ses amis ont veillé à ce que la poésie soit là. Plus que Jawahiri, lui penche pour Muzaffar al-Nawab et Erian Sayed Khalaf, grands poètes communistes des années 1970. «C'était de vrais révolutionnaires, leurs poèmes sortaient des haut-parleurs sur Tahrir alors que les grenades lacrymogènes et les balles pleuvaient», dit-il.En 2020, l'anniversaire pourrait être moins épique, selon M. Mozzan. Si des appels à manifester ont été lancés, ils risquent de n'être que symboliques, selon lui. Le pays se prépare aux législatives anticipées promises en juin par le nouveau Premier ministre, Moustafa al-Kazimi. Mais avec un Parlement dominé par les pro-Iran qui dénonce chacune de ses timides promesses aux «jeunes d'octobre», peu d'Irakiens s'attendent à un nouveau système. «J'ai peur que la révolution d'octobre échoue car si ses objectifs sont nobles, elle n'a pas de leader», prévient M. Mozzan. «Mon conseil aux jeunes? N'abandonnez jamais vos valeurs.»