L'Expression: Pensez-vous que l'histoire de l'Algérie est réellement écrite sur la haine de la France, comme l'a déclaré le président Emmanuel Macron, il y a quelques jours, lors d'une cérémonie à laquelle vous avez pris part ? Karim Amellal: Je ne pense pas que le président Macron ait dit exactement cela. Il a dit qu'il y avait en Algérie, des personnes qui exploitaient la mémoire, parfois qui l'instrumentalisaient. Je dirais qu'en France, il y en a aussi, en particulier à l'extrême droite, qui font, aussi, un commerce régulier de l'histoire, souvent en la déformant comme au sujet de Vichy et parfois cela se fait sur le dos de l'Algérie. Ce qui est certain, c'est que depuis un moment, la France est sérieusement attaquée, vilipendée, parfois insultée en Algérie. Il y a un climat, une atmosphère, des propos qui ne sont pas admissibles. Je rappelle que quelqu'un a, récemment, parlé de la France comme d'une «ennemie éternelle». Mais laissons là tout cela. C'est arrivé par le passé et cela arrivera encore. S'il n'y avait pas ces sautes d'humeur, ces hauts et ces bas, ces émotions, ce ne serait pas la relation entre la France et l'Algérie, qui est cousue de passions. Cela est lié, justement, à l'histoire, au passé, à la colonisation. C'est pour cela qu'il nous faut avancer sur tous ces sujets et, si possible, avancer ensemble. C'est ce que souhaite le président Macron, qui a tendu la main à l'Algérie pour mener ce travail de mémoire. C'est aussi pour cela que nous voulons avancer sur ces sujets, en France, avec des choses concrètes, comme lorsque le président Macron a reconnu la responsabilité de la France dans l'assassinat de Maurice Audin puis d'Ali Boumendjel. Cette politique de reconnaissance continuera et elle portera ses fruits. Nous en avons besoin. Il faut rompre avec l'oubli, l'occultation délibérée du passé ou, pire, le travestissement de l'histoire. La France a besoin de regarder son histoire en face, toute son histoire et c'est exactement ce que le président Macron souhaite faire. En émettant des doutes sur l'existence même de la nation algérienne, le président Emmanuel Macron n'a-t-il pas reproduit le fameux poncif colonial qui justifie la colonisation par l'absence d'une construction étatique? Emmanuel Macron a énormément de respect et d'amitié pour l'Algérie et les Algériens. Il considère que c'est une très grande nation, avec laquelle la France doit avoir des relations aussi apaisées et équilibrées que possible. Dans les propos qui lui ont été attribués et que vous évoquez, j'observe que le président Macron pose une question, dans une discussion ouverte avec des jeunes. Il pose la question de ce qu'il y avait avant la colonisation française. Il n'y a aucun doute, sur le plan historique, qu'il y a eu une nation algérienne avant la colonisation française, que celle-ci a méthodiquement détruite durant 130 ans. Mais ce que le président voulait dire faisait référence aux autres formes de domination que l'Algérie a connues par le passé, notamment la domination ottomane, même si les deux périodes n'ont rien à voir l'une avec l'autre. La colonisation française fut une colonisation de peuplement, qui instaura un système d'oppression et de ségrégation en Algérie, dont le peuple algérien, courageusement, se libéra. J'ajoute que le président turc - et non les Turcs bien entendu - a l'habitude, depuis plusieurs années, de pointer du doigt la colonisation française, à juste titre, mais en oubliant que l'empire ottoman instaura aussi, ailleurs, des formes de domination, parfois d'oppression, qui furent également très dures. C'est dans ce contexte, à l'aune, notamment des propos et attaques récurrentes du président turc contre la France, qu'il faut comprendre les propos attribués au président français. Enfin, il n'est pas admissible, ni pour l'Algérie ni pour la France, de subir des attaques, des insultes, de voir des personnes de bonne volonté se faire régulièrement calomnier dans des organes de presse. Il faut cesser cela, apaiser les tensions. La France comme l'Algérie ont besoin d'une relation aussi dépassionnée et sereine que possible. Lors de sa rencontre avec les médias, le président algérien assure que la relation entre son pays et la France reste particulière évoquant ainsi les accords d'Evian et de 1968. Qu'en est-il de votre lecture? Le président algérien a parfaitement raison de dire que la relation entre l'Algérie et la France est particulière, spéciale. Comment pourrait-il en être autrement avec autant de liens, une si longue histoire commune? La relation entre nos deux pays est dictée par cela et elle ne peut être tout à fait normale. Où aboutira cette crise diplomatique entre Paris et Alger? Va-t-elle s'estomper ou au contraire s'exacerber avec la montée en puissance de la campagne électorale aux couleurs de l'extrême droite pour la présidentielle d'avril prochain? Je suis confiant et optimiste. La relation entre nos deux pays, nos intérêts communs, nos innombrables liens sont plus forts que ce qui nous divise. Par ailleurs, je crois aussi qu'il peut être sain, parfois, de se dire les choses. Il y a certaines choses qui ne vont pas, du point de vue français et il est important d'en parler, comme au sujet des reconduites à la frontière, des difficultés que rencontrent nos entreprises, de certains blocages, de ce climat et de ces attaques récurrentes que j'évoquais plus haut. Et cela n'a rien à voir avec l'extrême droite ou la campagne électorale. Je vous rappelle que c'est en pleine campagne électorale, en février 2017, que le candidat Macron a déclaré que la colonisation était un crime contre l'humanité et, à ce moment-là, l'extrême droite était en réalité beaucoup plus forte qu'aujourd'hui dans les intentions de vote. Les mauvais esprits diront, sans doute, qu'alors, Macron voulait récolter les voix des Franco-Algériens... La vérité c'est que c'est un procès d'intention absurde. Quoique le président français dise, de toutes façons, sur l'Algérie, certains lui en feront le reproche. Comme si, du reste, à l'heure de la pandémie, où il y a des enjeux économiques considérables, l'Algérie était un sujet fondamental pour l'opinion publique française qui allait dicter l'issue d'une élection à 7 mois de celle-ci... Ça n'a franchement aucun sens! Enfin, de manière symétrique, nous comprenons que les Algériens se montrent insatisfaits sur certains sujets. Chaque position est légitime et ce qu'il convient de faire, alors, c'est de se parler, de mettre tous ces sujets sur la table pour trouver des compromis, des accords. Je crois que c'est ainsi que, entre deux pays, on règle des différends. Ni par l'invective ni par la surenchère. Mais je suis absolument certain que la tension redescendra très vite, parce que nous y avons tous intérêt, parce que notre relation est trop importante pour qu'il en soit autrement.