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«Le traumatisme Mémoriel s'est transmis»
Benjamin Stora à L'Expression
Publié dans L'Expression le 28 - 03 - 2022

L'Expression: Vous qui connaissez bien le contexte historique et politique de l'époque de la tenue des accords d'Evian, pourriez-vous revenir sur cet événement avec force détails?
Benjamin Stora: Les accords politiques, signés dans la ville d'Evian, entendaient mettre fin à la guerre d'Algérie par la signature d'un cessez- le- feu. La conférence d'Evian s'ouvre officiellement le 7 mars 1962. Les négociations, entre le GPRA emmené par Krim Belkacem et Louis Joxe représentant le gouvernement français, permettent d'arriver à un accord, en forme de compromis, entre la France et l'Algérie, pour la mise en place de l'indépendance par l'organisation d'un référendum. Le 18 mars 1962 sont signés les «accords d'Evian», mis en oeuvre le 19 mars, 93 pages de textes d'accords, 111 articles complétés par de très nombreux chapitres, titres et annexes. «Un cessez-le-feu est conclu. Il sera mis fin aux opérations militaires et à la lutte armée sur l'ensemble du territoire algérien le 19 mars à midi». La guerre est ainsi reconnue au moment où l'on signe sa fin. «Les citoyens français d'Algérie auront une juste et authentique participation aux affaires publiques. Leurs droits de propriété seront respectés. Aucune mesure de dépossession ne sera prise à leur encontre sans l'octroi d'une indemnité équitable préalablement fixée.». Mais la signature des accords d'Evian ne marque pas la fin de la guerre d'Algérie, et les termes de l'accord voleront en éclats, en particulier à cause du départ en masse des Européens, suite aux politiques de terreur des groupes de choc de l'OAS (par exemple, l'incendie de la grande bibliothèque d'Alger).
Qu'en est-il de la stratégie des négociateurs du GPRA, lors de ces négociations?
À Evian, les négociateurs du GPRA ont eu pour objectif principal d'éviter la partition du pays, et de maintenir son unité et intégrité territoriales. Ils ont fait des concessions concernant les droits des Européens (double nationalité pendant 3 ans, puis option pour la nationalité algérienne, ou un statut de résident étranger privilégié), le régime du Sahara (droit de préférence dans la distribution des permis de recherche et d'exploitation par les sociétés françaises pendant six ans, paiement des hydrocarbures algériens en francs français) et les bases militaires (Mers el-Kébir reste à la France pour une période de 15 ans et les installations du Sahara pendant 5 ans). En contrepartie, la France se déclare disposée à apporter son aide économique et financière à l'Algérie indépendante, notamment en continuant la réalisation du plan de Constantine lancé en 1958, et à développer la coopération culturelle.
Est-il exact, comme le signalent des chercheurs, des acteurs politiques et des médias algériens ou français, que depuis les années 1970, il y a des clauses ou des annexes relatives aux accords d'Evian, concernant les essais des armes nucléaires et chimiques dans le sud algérien qui demeurent à ce jour classées secrètes?
À ma connaissance, la plupart des clauses des accords d'Evian ont été révélées. Mais peut-être que de nouvelles générations de chercheurs pourront encore découvrir des choses dans l'avenir, par l'ouverture de nouvelles archives, en France et en Algérie.
Vous ne trouvez pas qu'il y a beaucoup de groupes de mémoires en France très puissants: les appelés de l'armée en Algérie, les Européens d'Algérie, les harkis et les émigrés d'Algérie en France, 60 ans après les accords d'Evian, et chacun de ces groupes de mémoire se renferme dans son rapport avec leur propre rapport au passé? N'y a-t-il pas une certaine communautarisation des mémoires?
Ces dernières années, nous sommes passés d'une période d'amnésie française envers cette séquence à une hypermnésie traduite par une inflation de toute sorte de documentaires, films, romans, autobiographies, etc. Mais cela ne traduit pas pour autant une réelle connaissance de l'histoire. C'est cette hypermnésie nouvelle qui nous fait assister à une sorte d'éclatement, de fragmentation de la mémoire. Les mémoires s'opposent et ont chacune une conception ainsi qu'une vision différente de l'histoire, ce qui se concrétise par exemple par la divergence au niveau des dates de commémoration.
Fondamentalement, les conflits de mémoire se portent sur la date de fin de la guerre. En France, toute une partie symbolisée par les anciens combattants, les appelés, retient les accords d'Evian du 18 mars 1962. En revanche, les immigrés algériens qui vivent en France voient la tragédie de la manifestation du FLN à Paris le 17 octobre 1961 comme symbole tragique de la fin du conflit. On voit donc bien qu'il y a une séparation des mémoires, d'une rive à l'autre de la Méditerranée, mais également d'un même côté, avec des différences entre les mémoires. Cette fragmentation des mémoires est due à un déficit des récits d'histoire. Il n'y a pas de consensus mémoriel. Au contraire, on assiste à une séparation mémorielle: d'un côté des groupes veulent renoncer à toute forme de culpabilité vis- à- vis de la colonisation, qu'ils jugent positive. En Algérie, on est au contraire dans l'attente d'excuses pour la longue période coloniale. C'est là toute la difficulté.
L'argument de la fin du conflit mémoriel avec la disparition de la génération de la guerre ne tient plus, si l'on se réfère aux tenants du conflit des mémoires en France comme en Algérie, qui n'ont pas vécu la colonisation. Pouvons-nous parler de transmission des haines?
On a cru à un moment que le passage des générations allait effacer le traumatisme. En fait, il s'est transmis. Il s'est parfois exacerbé. Cela a même fabriqué des identités fermées pour certains groupes. Les vertus réconciliatrices sont indispensables pour éviter la violence et rester dans le champ politique. Mais, en même temps, il ne faut pas hésiter à dire le réel. C'est très douloureux de dire les choses, les vérités sont parfois cruelles, mais on ne peut pas en faire l'économie, en particulier sur la question coloniale. Face aux blessures mémorielles, il faut faire de l'Histoire.
En matière de recherche universitaire, du monde de l'édition, des médias, des colloques et débats...etc., quelle est la place réservée en France aux questions de mémoires et d'histoires communes entre l'Algérie et la France, ces dernières années? A-t-on facilité l'accès aux archives et aux moyens à la disposition de chercheurs, de journalistes, en France comme en Algérie?
Je dois préciser que mon rapport a produit des effets en France dans le monde de l'édition, des médias. Pour citer quelques réalisations: la reconnaissance par la France de l'assassinat de maître Ali Boumendjel (à la suite de la reconnaissance de l'assassinat de Maurice Audin); l'ouverture plus large des archives françaises; l'hommage rendu par le président français aux militants algériens tués à Paris le 17 octobre 1961; la relance du projet de mise en oeuvre d'un Musée d'histoire de la France et de l'Algérie à Montpellier; la tenue d'un grand colloque à la BNF et à l'IMA consacré à des figures qui se sont opposées à la colonisation, et qui a rassemblé près de 500 participants, avec les contributions de 30 universitaires; la reconnaissance de l'assassinat des neuf militants français tués au métro Charonne dans une manifestation anti-OAS; le discours de pardon aux harkis, abandonnés par le gouvernement français en 1962; l'inauguration d'une stèle à Amboise en hommage à l'Emir Abdelkader; la pose d'une plaque devant le camp de Thol dans l'Ain, où étaient emprisonnés, sans jugements, les militants algériens entre 1957 et 1962, l'hommage rendu à l'écrivain Mouloud Feraoun et ses compagnons assassinés à Alger le 15 mars 1962...
Les reproches n'ont pas manqué sur tel ou tel discours ou des actes accomplis en France, mais il a été réalisé en un an, plus de gestes qu'en 60 ans de Présidence française pour dénoncer la colonisation. C'est un travail de pédagogie difficile mais essentiel, autour de lieux, de personnages, d'événements, qui commence, je l'espère, en dépit des discours très violents de l'extrême droite contre mon rapport.


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